Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

Richard Ier Cœur de Lion (suite)

Le roi d’Angleterre (1189-1199)

• Le gouvernement de l’Empire anglais. Révolté hier, roi aujourd’hui, Richard Ier se rend aussitôt en Angleterre. Il est reconnu sans contestation par l’Église et par le baronnage et se fait sacrer au cours d’une cérémonie d’un faste exceptionnel qui fixe pour des siècles le rituel du couronnement.

Regagnant aussitôt le continent, il laisse le gouvernement de son royaume à des officiers compétents et fidèles, les uns civils (sheriffs), les autres clercs. Ces derniers sont les plus nombreux ; ils occupent la chancellerie, peuplent la cour du Roi (dix sur douze membres environ) et contribuent à l’amélioration des relations de la monarchie avec l’Église. Après le chancelier William Longchamp (1189-1191), le plus célèbre de ces clercs est Hubert Gautier (en angl. Hubert Walter). Nommé archevêque de Canterbury et grand justicier en 1193, Hubert Gautier brise, avec le soutien des barons, du maître et des bourgeois de Londres la révolte de Jean* sans Terre, à qui son frère Richard a eu le tort de confier, avant son départ pour la troisième croisade, une demi-douzaine de comtés exempts de tout droit envers l’Échiquier. En même temps, il entreprend une importante réforme de la chancellerie. Imposant le plus souvent ses candidats aux sièges épiscopaux sur le continent, Richard y choisit, avec autant de discernement qu’en Angleterre, ses serviteurs ; il élimine les officiers peu sûrs, tel le sénéchal d’Anjou Étienne de Marsai en 1189 et confie en particulier la garde des sénéchaussées de Poitou et de Gascogne à deux fidèles serviteurs, Pierre Bertin et Geoffroi de La Celle.

• La politique méditerranéenne. Richard se croise en 1190, avec Philippe Auguste, qui lui a restitué à son avènement le Maine et la Touraine. Il réunit une armée de chevaliers et de sergents originaires de tous les pays d’Occident, gagne par mer la Sicile, où son attitude arrogante lui aliène l’amitié de l’empereur Henri VI, puis s’empare au passage de l’île de Chypre, dont le despote Isaac Ange Comnène a eu le tort de séquestrer sa fiancée, Bérengère de Navarre, lors du naufrage de son navire sur ses côtes, en avril 1191. Il débarque enfin en Palestine, où il s’empare de Saint-Jean-d’Acre en juillet 1191, mais se brouille avec Philippe Auguste et avec le duc Léopold d’Autriche. Ces derniers regagnent avant lui l’Occident et conspirent contre lui avec Jean sans Terre, qui donne à Philippe Auguste la haute Normandie et la Touraine. Richard cède l’île de Chypre tour à tour aux Templiers en 1191, puis à Gui de Lusignan en mai 1192, tente de régler la succession du royaume de Jérusalem et conclut un accord avec Saladin en septembre 1192. Il regagne ensuite l’Occident pour prévenir les conséquences du complot ourdi contre lui. Mais, fait prisonnier en décembre au cours de son voyage de retour par le due Léopold d’Autriche, livré par ce dernier à son suzerain l’empereur Henri VI, il ne retrouve la liberté, le 4 février 1194, qu’après avoir prêté hommage et versé à ce dernier une énorme rançon dont le montant n’a pu être réuni que grâce au dévouement d’Hubert Gautier.

• Le conflit avec Philippe Auguste (1194-1199). Disposant de ressources financières plus abondantes et plus régulièrement perçues (écuage, impôt foncier dit « charruage », dont il est l’inventeur) que celles du Capétien, ayant fait en outre confirmer sa légitimité par un second couronnement au cours d’un second et dernier séjour en Angleterre qui lui permet d’abolir la commune de Londres, mais non pas son maire élu en vertu de la Charte de 1191, Richard entame la lutte décisive contre Philippe Auguste.

Il écrase les forces de son adversaire à Fréteval en Vendômois en juillet 1194, puis à Courcelles, près de Gisors, en septembre 1198, interdit l’entrée de la haute Normandie par la construction de Château-Gaillard et noue enfin des relations avec les vassaux du Capétien. Richard Cœur de Lion semble sur le point de dominer définitivement Philippe Auguste lorsque le pape Innocent III, préoccupé d’organiser une nouvelle croisade en Orient, impose la cessation des hostilités. Rêvant de délivrer la Terre sainte et de ceindre la couronne impériale à Constantinople, Richard accepte alors de signer le 13 janvier 1199 la trêve de Vernon, d’une durée de cinq ans. Trois mois plus tard, sa mort sans enfants lors du siège du château de Châlus, siège entrepris pour châtier le vicomte de Limoges, qui s’est allié à Philippe Auguste, sauve définitivement le roi de France d’un désastre certain.

Ainsi disparaît en pleine gloire et en pleine force de l’âge l’un des plus populaires mais des moins anglais des rois d’Angleterre.

P. T.

➙ Angleterre / Aquitaine / Chypre / Croisades / Henri II Plantagenêt / Jean sans Terre / Normandie / Philippe II Auguste / Plantagenêt.

 C. Petit-Dutaillis, la Monarchie féodale en France et en Angleterre. xe-xiiie siècle (la Renaissance du livre, coll. « Évolution de l’humanité », 1933 ; nouv. éd., A. Michel, 1950). / C. Petit-Dutaillis et P. Guinard, l’Essor des États d’Occident (France, Angleterre, péninsule Ibérique) [P. U. F., 1936 ; 2e éd., 1944].

Richardson (Samuel)

Romancier anglais (Mackworth, Derbyshire, 1689 - Londres 1761).


Si, avec Addison*, la bienséance acquiert droit de cité dans les mœurs, on peut dire qu’avec Richardson la moralité s’installe solidement, qui régnera sans partage sur les lettres victoriennes. Fils à la réputation exemplaire d’un modeste menuisier, Richardson connaîtra deux épouses. Et une foule d’admiratrices. À treize ans déjà, il rédigeait les lettres d’amour des jeunes dames du voisinage. Mais la seule vraie « dame » des pensées de ce bourgeois-chevalier reste celle qui à onze ans pousse « Gravity » — ainsi que l’appelaient ses camarades — à écrire une lettre moralisatrice à une veuve médisante. Après de brèves études, apprenti imprimeur en 1706, il ouvre son propre atelier en 1719. De sa presse sortent notamment une traduction du Traité de l’éducation des filles de Fénelon (1721) ; Remarks on Mr. Pope’s Rape of the Lock (1728) de J. Dennis, un des ennemis de Pope, et Britannia (1729) du poète préromantique J. Thomson. Éventail caractéristique d’un esprit cherchant d’abord à enseigner, mais à l’origine aussi d’une forme de sensibilité qui libérera les vannes du romantisme européen. Avec The Apprentice’s Vademecum, or Young Man’s Pocket Companion (1733), on se trouve d’emblée au centre des préoccupations de Richardson. La longue suite de préceptes moralisateurs à l’usage de son neveu Thomas Verren annonce en effet le combat contre la « dégénérescence du temps », l’« impiété », l’« immoralité », qu’il va poursuivre dans son genre nouveau. Il s’y voit conduit presque par hasard. À la demande d’amis, cet impénitent épistolier entreprend Familiar Letters (1741). Cent soixante-treize lettres modèles à usage de toutes les circonstances de la vie assaisonnées par l’incorrigible de conseils moraux. Ainsi naît l’idée de Pamela ; or Virtue Rewarded. Et cette « Vertu récompensée » au succès énorme (4 vol. : Ire partie, 1740 ; IIe, 1741) va engendrer non pas un, mais deux auteurs. Non des moindres : les deux piliers du nouvel art — le roman —, dont ils scellent les bases durables. Richardson agace Fielding*. La chaste mais quelque peu pharisaïque Pamela sécrète, pourrait-on dire, Joseph Andrews (1742), qui la tourne en ridicule, et Joseph Andrews marque le départ d’un long et acharné marathon littéraire arrêté seulement par la mort de Fielding, en 1754. Mais, là où Fielding apporte vitalité, mouvement, grand air, Richardson s’enferme dans les mouvements complexes de l’âme et du sentiment, la touche psychologique minutieuse. Faisant de l’âme féminine son terrain de prédilection, Richardson prépare la voie au roman de la femme. Femme nouvelle, loin des bergères comme les rêve Honoré d’Urfé et de la princesse de Mme de La Fayette, la femme de Richardson appartient à la commune humanité. Pourtant, même servante, elle n’en témoigne pas moins de la noblesse de son âme, cette Pamela qui lance à son maître par trop entreprenant : « Je peux bien oublier que je suis votre servante, quand vous oubliez l’attitude qui sied à un maître. » Clarissa ; or The History of a Young Lady (7 vol., 1747-48) et The History of Sir Charles Grandison (7 vol., 1753-54) semblent former la suite d’un long et identique tableau de la peinture de la jeune fille de l’époque face à l’homme. Confrontée à la brutalité du mâle souvent esclave de ses instincts, elle ne doit compter sur personne qu’elle-même. Ainsi, les parents de Clarissa ne songent qu’à lui faire épouser le riche mais peu intéressant Solmes. Et quand elle se confie au trop fameux Lovelace pour obtenir sa protection, celui-ci abuse d’elle. Alors, il ne demeure à ces jeunes femmes que la force de leur vertu. Le mariage récompensera celle de Pamela comme celle de Harriet Byron, épousée par le peu convaincant gentilhomme modèle sir Charles. Mais, au-delà de l’exaltation de la vertu, le lecteur retiendra de ces héroïnes de Richardson l’extraordinaire intensité de leur vie intérieure et de leur sensibilité. L’Europe de la fin du xviiie s., mûre pour l’effusion sentimentale, reçoit l’œuvre de Richardson comme un message. L’abbé Prévost la traduit dès 1742. Diderot écrit en forme de dithyrambe son Éloge de Richardson (1761). Partout, émotion, morale, prédiction, introspection, vie bourgeoise vont désormais et pour longtemps dominer une littérature hantée par les lettres des Saint-Preux et Julie et des Werther.

D. S.-F.

 C. Pons, Richardson et la littérature bourgeoise en Angleterre (Ophrys, Gap, 1969). / C. Pons et J. Dulck, Samuel Richardson « Pamela » ; H. Fielding « Joseph Andrews » (A. Colin, 1970). / T. C. D. Eaves et B. D. Kimpel, Richardson, a Biography (Oxford, 1971).