Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

Rhin (le) (suite)

La traversée du Massif schisteux

La traversée de la moyenne montagne rhénane ne se fait pas sans difficulté. Le Massif schisteux en se soulevant jusqu’au Quaternaire a provoqué l’encaissement du Rhin. Celui-ci a été facilité par les données structurales : l’existence, au moins depuis le Tertiaire, de la « baie géologique de Cologne ». Le fleuve est accompagné d’une série de terrasses, dont la plus haute se confond avec le sommet du plateau. Les terrasses plus récentes s’inclinent vers le nord, marquant la subsidence de la plaine bas-rhénane. Toutes, sauf la plus basse, sont généralement saupoudrées de lœss. Dans la traversée du massif schisteux, il ne reste que des lambeaux des terrasses, car l’érosion les a fortement démantelées. Aussi, les affleurements rocheux, si pittoresques, impriment-ils leurs marques au paysage. Les vignes s’accrochent aux chicots rocheux, qu’on a souvent équipés de terrassettes artificielles. Le sol de beaucoup de vignes est rapporté. À partir de Coblence, après la confluence de la Lahn et surtout de la Moselle, la vallée s’élargit, le plateau bordier s’abaisse. Le Siebengebirge des environs de Bonn forme les derniers reliefs de quelque importance. Après Bonn, le Rhin entre dans les pays bas-rhénans.


La plaine du Rhin inférieur

La « baie de Cologne » marque la transition avec la plaine germano-hollandaise, vaste zone de subsidence. La pente s’abaisse jusqu’à 0,10 p. 1 000. La zone inondable avait, jadis, plusieurs kilomètres de large. Les terrasses plongent vers le nord et encadrent la plaine d’inondation actuelle. Le Rhin s’enrichit des affluents de la Wupper, de la Ruhr et de la Lippe sur la rive droite, et de l’Eft sur la rive gauche. La plaine s’ouvre plus largement à l’ouest, à partir de Cologne, qu’à l’est. De ce fait, les affluences rhénanes ont pénétré très tôt jusque dans les environs d’Aix-la-Chapelle.

La région est favorisée par l’abondance de l’eau, tant celle du fleuve que celle de la nappe souterraine. Le régime plus régulier a aussi éveillé précocement la navigation fluviale. À partir de la frontière germano-hollandaise, on entre pratiquement dans la zone du delta (v. Pays-Bas).

Arrivé aux Pays-Bas, le Rhin coule sur ses propres alluvions. La faible pente a favorisé la division en bras, avant que l’homme ne fixe le tracé définitif de ces derniers (Waal, Lek, Neder Rijn).

Les marées de forte amplitude de la mer du Nord semblent avoir avantagé le Waal. L’histoire des Pays-Bas est profondément liée au fleuve et à son aménagement.


L’aménagement du Rhin

Par certains côtés, le Rhin et sa vallée sont une création humaine.

Le Rhin, à de nombreux endroits, était une limite, une barrière, plus par les zones amphibies que déterminait son cours indécis que par le volume d’eau déplacé. Dans la zone alpine, les fantaisies du torrent n’étaient pas moins redoutables pour les riverains. Les cônes de déjection des affluents, en provoquant le déplacement du fleuve naissant, accentuaient l’instabilité. Aussi, nombreuses furent les communes qui dès le Moyen Âge, dans la haute vallée du Rhin, durent se protéger contre les eaux par la construction de digues. Cependant, ces mesures, trop ponctuelles, restaient inefficaces, faute d’un plan d’ensemble. Ce n’est qu’au xviiie s., en 1788, que le prince de Liechtenstein et les comtes de Werdenberg s’entendirent pour fixer la largeur du fleuve ; des actions communes étaient prévues pour lutter contre les débordements et l’élargissement de ce dernier. N’étant pas navigable pour des péniches importantes, le Rhin, sur son parcours suisse, ne connut pas le même genre de travaux que sur sa partie moyenne. Endiguement, drainage, lutte contre l’érosion, irrigation prédominèrent en Suisse. Dans le Vorarlberg, on construisit des digues au xixe s. ; de même au Liechtenstein. En Suisse, c’est surtout après l’inondation de 1856 qu’on opéra la régularisation du cours d’eau. Il a même fallu déplacer hors du territoire suisse l’embouchure principale du Rhin dans le lac de Constance, en 1900. À certains endroits, les digues ont une largeur de 40 m à la base et une hauteur de 9 m, rappelant les gigantesques aménagements des polders hollandais. Des canaux latéraux ont été creusés de chaque côté, évacuant les hautes eaux torrentielles. À la sortie du lac de Constance, d’autres travaux ont fixé l’« Oberrhein », entaillé dans des terrasses alluviales.

Le Rhin moyen et inférieur a subi des corrections plus grandioses. On peut dire qu’il a été, à certains endroits, entièrement remodelé. Sans ces travaux, on ne comprendrait pas l’extension récente de villes comme Strasbourg, Karlsruhe, Ludwigshafen, Mannheim, Coblence, Cologne, Leverkusen, Düsseldorf, pour en nommer seulement quelques-unes. L’entretien du chenal de navigation était laissé jadis aux corporations de bateliers. Le xviiie s. fut marqué par une série de travaux, notamment dans la partie inférieure. À l’initiative de Frédéric II, une Direction des travaux fluviaux fut chargée de l’aménagement du secteur Duisburg-frontière hollandaise. Les résultats ne furent pas satisfaisants. À la fin du xviiie s., Philippe Henri, marquis de Ségur (1724-1801), lança l’idée de réunir tous les bras du fleuve en un seul. C’est sous l’Empire, en 1812, qu’on publia le premier plan complet de correction du Rhin moyen. L’auteur était un ingénieur badois, Johann Gottfried Tulla (1770-1828), d’origine hollandaise, surnommé souvent le « père du Rhin moderne ». L’entreprise ne fut pas facile. Les rivalités politiques sur les bords du fleuve la retardèrent à maintes reprises. L’accord entre le grand duché de Bade et la Bavière (à cause du Palatinat bavarois) permit le début des travaux en 1817. L’inondation de 1824 prouva la justesse de la conception. De nombreux méandres furent recoupés. Les cartes topographiques et surtout les photographies aériennes révèlent encore l’ampleur des travaux. L’accord avec la France n’intervint qu’en 1840. Les travaux les plus importants concernèrent la région de Mannheim, avec le confluent du Neckar. L’extension de Mannheim ainsi que celle de Ludwigshafen n’étaient possibles qu’avec l’amélioration de la navigation, encore que le lacis de méandres facilitait la défense militaire. Mais le développement industriel des deux villes était en relation avec les grands travaux. Le Rhin fut emprisonné entre deux berges fixes. Le sommet de celles-ci mesure de 3,5 à 4 m de large. Des épis partant des berges sont revêtus d’un perré incliné. À distance, des digues de hautes eaux renferment les bras morts du Vieux Rhin. Après l’inondation de 1876, les digues ont été relevées de 0,80 m. Les bras morts servent de déversoirs en période de forte crue. Les travaux devaient se poursuivre jusqu’en 1895. Le résultat fut un raccourcissement du fleuve : 14 p. 100 de Bâle à Lauterbourg et 37 p. 100 de là à Mannheim ; 10 000 ha de terres furent récupérés, 40 000 améliorés. Les « Ried » marécageux, infestés de moustiques, purent, en partie, être gagnés à la culture ; les parties humides virent s’étendre la « Auenwald ». Cependant, les calculs des ingénieurs avaient méconnu la force érosive du fleuve, qui fut accentuée du fait du raccourcissement de celui-ci. À Neuenburg, le Rhin s’est enfoncé de 6 cm par an. Aux environs d’Istein, le niveau du fleuve s’est abaissé de 4,40 m entre 1882 et 1949. Certains moulins à eau durent arrêter leurs activités faute d’eau. Le corollaire fut l’abaissement de la nappe phréatique, entraînant un assèchement des terres agricoles. Ainsi, les « Ried » s’asséchèrent. L’assèchement des étangs et des bras morts, en provoquant la disparition progressive de la faune aquatique, a détourné les cigognes vers d’autres régions où la nature a été moins remaniée par l’homme.