Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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revue (suite)

Cette fonction, informatrice plutôt que critique, c’est bien elle que met en avant le programme rédigé par Denis de Sallo pour le Journal des savants, ce périodique dont il fait paraître le premier numéro à Paris le 5 janvier 1665. « Le dessein de ce journal, indique en effet ce programme, étant de faire savoir ce qui se passe de nouveau dans la république des lettres, il sera composé d’un catalogue exact des principaux livres qui s’imprimeront dans l’Europe ; et on ne se contentera pas de donner de simples titres comme ont fait jusqu’à présent la plupart des bibliographies, mais, de plus, on dira de quoi ils traitent et à quoi ils peuvent être utiles. Quand il viendra à mourir quelque personne célèbre par sa doctrine ou par ses ouvrages, on en fera l’éloge [...]. On fera connaître les expériences de physique et de chimie [...], les nouvelles découvertes qui se font dans les sciences et dans les arts [...]. On tâchera en un mot de faire en sorte qu’il ne se passe rien dans l’Europe, digne de la curiosité des gens de lettres, qu’on ne puisse apprendre par ce journal. »

La Gazette — le journal que Théophraste Renaudot avait créé en 1631 — ne donnait en effet pour sa part aucune information relevant de la rubrique qu’aujourd’hui nous appelons culturelle : rien qui concernait le livre, la scène ou les sciences. Toutes les nouvelles étaient politiques, diplomatiques, militaires ou mondaines. Ainsi s’esquissait, dès l’origine, entre le journal et la revue, une répartition des fonctions.

Malgré des oppositions — inévitables en dépit du parti pris d’informer plutôt que de critiquer —, et d’abord celle des Jésuites, qui parvinrent à faire suspendre momentanément la revue avant qu’elle n’eût fini sa première année et obtinrent un changement de direction, malgré les inévitables susceptibilités blessées, et grâce à l’appui du pouvoir (Colbert soutenait et suivait d’assez près l’entreprise, et en 1701 l’État achètera la revue) et surtout au privilège royal qui élimina pratiquement toute concurrence à l’intérieur de la France, le Journal des savants fut la plus durable des publications périodiques qui préparèrent, au xviiie s., le terrain aux revues. Il dura jusqu’à la Révolution. Plusieurs fois, il changea de directeur (Denis de Sallo, l’abbé Gallois, l’abbé de La Roque, Louis Cousin, l’abbé Jean-Paul Bignon, etc.). Selon le temps que ses directeurs successifs consacrèrent à l’importante tâche de lecture et de rédaction qu’il demandait, il fut plus ou moins régulier (avec l’abbé Gallois, 42 numéros paraissent en 1666, 16 en 1667, 13 en 1668, 4 en 1669, 1 en 1670, 3 en 1671, 8 en 1672, aucun en 1673 ; avec La Roque, 2 numéros mensuels pendant douze ans). Il était, au début, l’œuvre pratiquement d’un seul (le directeur remaniant les articles de ses collaborateurs occasionnels) ; Bignon s’adjoignit, par la suite, une équipe régulière de collaborateurs spécialisés.

Malgré son privilège, le Journal des savants dut connaître pourtant la concurrence. Ce fut d’abord une concurrence étrangère, pour laquelle ce privilège ne jouait pas. À vrai dire, la concurrence des revues en langue étrangère (comme les Philosophical Transactions, qui commencèrent à paraître, à Londres, la même année que le Journal des savants, ou comme les Acta eruditorum, qui parurent à Leipzig à partir de 1682) n’était pas dangereuse, mais il y avait toutes les revues qui paraissaient en français en dehors de France, aux Pays-Bas en particulier, où s’étaient réfugiés beaucoup de calvinistes. Ces publications étaient en général beaucoup plus critiques, elles ne s’en tenaient pas à la neutralité informative du Journal des savants. La plus célèbre était celle que Bayle* avait fondée à Amsterdam en 1684 et qu’il dirigea, c’est-à-dire qu’il rédigea seul, jusqu’en 1687 : les Nouvelles de la République des lettres. Il faut citer également le Mercure savant de Nicolas de Blégny et la Bibliothèque universelle et historique de Jean Le Clerc, qui parut, à Amsterdam aussi, de 1686 à 1727.

Mais le Journal des savants connut aussi une concurrence en France même malgré le privilège royal qui devait l’en protéger. D’assez nombreuses publications parvinrent à contourner cet obstacle. On ne comptera pas parmi elles le Mercure galant de Jean Donneau de Visé, qui parut à partir de 1672 (un volume de 300 pages in-12o par trimestre) ; ce n’était pas à proprement parler un concurrent ; s’il avait, comme le Journal des savants, entre autres prétentions, celle de donner des informations « culturelles », la nature anecdotique de ces informations le rattachait plutôt à la Gazette. Sa rubrique littéraire s’insérait dans un recueil beaucoup plus conséquent d’anecdotes mondaines, de chansons, de remarques sur la mode, etc. D’une légèreté qui provoqua toute une série de querelles (avec Molière, Corneille, Racine, La Bruyère), il était aussi trop versatile pour qu’aucune dure trop longtemps, à l’exception de la querelle des Anciens* et des Modernes, dans laquelle le Mercure galant se fit le porte-parole de ces derniers.

Le grand concurrent du Journal des savants fut le Journal de Trévoux, que deux jésuites, les pères Lallemant et Le Tellier, firent paraître, à Trévoux, dans la principauté des Dombes, à partir de 1701, sous le titre de Mémoires pour servir à l’histoire des sciences et des arts. Ce périodique se proposait de contrecarrer à la fois le jansénisme latent qu’il diagnostiquait derrière le ton neutre du Journal et les propositions franchement hérétiques diffusées par les publications venues des Pays-Bas. Quelle qu’ait été pourtant sa tolérance passagère, aussi large qu’ait été aussi l’éventail de ses collaborateurs, cette publication n’en resta pas moins la place forte d’où sont parties les attaques contre l’Encyclopédie* et contre les philosophes. Combat dans lequel viendront l’appuyer plus tard d’autres publications comme les Observations sur les écrits modernes de Pierre François Guyot-Desfontaines en 1735 et, en 1746, les Lettres de Mme la Comtesse de*** sur quelques écrits modernes du célèbre Élie Fréron, qui devinrent, en 1749, les Lettres sur quelques écrits de ce temps. Voltaire, qui était la bête noire de Fréron, parvint à faire interdire son journal en 1752, mais, en 1754, Fréron récidiva avec l’Année littéraire.

Il n’a donc pas fallu un siècle pour que ces publications périodiques assument ouvertement l’activité critique — et non plus simplement informative — qui fait d’elles les préfigurations de nos revues. Lieux de polémiques, elles permettent des échanges plus vifs que le livre ; d’un numéro à l’autre, critiques et victimes se répondent.