Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Révolution culturelle prolétarienne (Grande) (suite)

Après les premiers mois d’effervescence, la Révolution culturelle va connaître pendant quelque temps une sorte de passage à vide. C’est que les mots d’ordre, avancés en particulier dans les seize points, ne sont pas encore appliqués partout. Il est probable, d’autre part, que les résistances freinent le mouvement, et celui-ci n’échappe pas à une certaine confusion. Ainsi voit-on un membre du Bureau politique, Tao Zhu (T’ao Tchou), prendre des responsabilités croissantes dans les organismes directeurs de la Révolution culturelle. Sa chute, quelques mois plus tard, n’en sera que plus retentissante.

La deuxième grande offensive maoïste s’ouvre à l’automne avec les attaques directes, sur des « dazibao », de Liu Shaoqi et du secrétaire général du parti, Deng Xiao ping (Teng Siao-p’ing). Les luttes entre factions se font de plus en plus violentes. Fait intéressant, l’une d’entre elles traite (déjà !) Lin Biao de conspirateur et de « nouveau Khrouchtchev ».

Après le 26 novembre, date du dernier rassemblement de gardes rouges sur la place Tian’anmen, on ne verra plus Liu Shaoqi mais celui-ci continuera, néanmoins, de symboliser la ligne réactionnaire, que dénoncent alors des millions et des millions de Chinois avec une violence jusque-là inégalée. En janvier 1967, le centre de gravité de la Révolution culturelle se déplace vers Shanghai. Après un long conflit, où les ouvriers de la grande cité industrielle sont partie prenante, les tenants de la Révolution culturelle prennent le pouvoir. L’ancienne municipalité et les anciens cadres, auxquels on reproche surtout leur « économisme », sont écartés. De nouveaux jeunes leaders se singularisent. Outre Yao Wen-yuan, déjà fort célèbre, d’autres noms apparaissent. Parmi eux, ceux de Zhang Chunqiao (Tchang tch’ouen-ts’iao) et de Wang Hongwen (Wang Hong-wen). Le 5 février 1967, la « Commune » de Shanghai est proclamée. Elle sera, plus tard, remplacée par les « comités révolutionnaires », constitués par la triple alliance des masses, de cadres du parti et de l’armée populaire de libération.

En fait, à partir de cette époque, le rôle de l’armée ira croissant. Comme aux temps héroïques, c’est elle qui, bien souvent, prend en main la direction des opérations. Son entrée en lice s’effectue à un moment critique de la Révolution culturelle. Les « prises de pouvoir » se déroulent souvent dans la plus grande confusion, et la vague de critiques et d’accusations atteint un niveau sans précédent. De nouveaux clivages surgissent. Pour les maoïstes, il semble, alors, que la « démocratie » prend dangereusement le pas sur le « centralisme ». En fait, les affrontements se font de plus en plus violents. Au Sichuan (Sseu-tch’ouan), en particulier, on compte des centaines de morts.

Au sein même du groupe chargé de la Révolution culturelle, une tendance dure met en cause non seulement la tendance de Liu Shaoqi, mais certains dirigeants, dont Zhou Enlai lui-même.

En juillet 1967 se déroule à Wuhan (Wou-han) l’un des épisodes les plus dramatiques de la Révolution culturelle. Les médiateurs venus de Pékin sont pris à partie ; des combats sanglants s’engagent. Il faudra tout le poids de Mao Zedong pour arrêter les affrontements.

Cependant, à Canton, on est au bord de la guerre civile. En août, certaines « batailles » font des centaines de morts. Le chef militaire de la ville, Huang Yongsheng (Houang Yong-sheng), celui-là même qui disparaîtra quatre ans plus tard avec Lin Piao, est vivement attaqué par des opposants qui semblent avoir eu partie liée avec Tao Zhu (T’ao Tchou), ex-responsable de la Révolution culturelle. Finalement, Huang Yongsheng et ses alliés réussiront à ramener le calme dans Canton.

D’ailleurs, à partir de l’automne 1967, l’heure est à l’apaisement. Si la droite reçoit toujours des coups, l’extrême gauche est écartée des instances de direction. Les suspicions jetées sur l’armée — elle avait joué un rôle conservateur au cours des événements de Wuhan — sont levées. Des appels à la production sont lancés à plusieurs reprises. Mao Zedong, un instant disparu, revient dans la capitale pour affirmer son soutien à Zhou Enlai.

Les « comités révolutionnaires » se multiplient sur l’ensemble du pays durant les premiers mois de 1968. Les attaques contre le président de la République reprennent une nouvelle fois. Dans les universités, les échauffourées continuent. Des groupes d’ouvriers sont chargés d’y mettre bon ordre. Les gardes rouges quittent définitivement le devant de la scène. Ce sont en effet les ouvriers qui, désormais, avec l’appui de l’armée populaire de libération, devront diriger la Révolution culturelle. En octobre, le douzième plénum du Comité central du parti communiste chinois se réunit. Après l’élimination des éléments « bourgeois », le parti sort « régénéré ». Toutes les conditions requises pour la convocation du IXe Congrès du P. C. C. sont assurées. Liu Shaoqi est destitué. Le succès de la Révolution culturelle est alors proclamé.

Pendant l’hiver 1968-69, de grandes réformes d’ordre pédagogique, déjà amorcées au début du mouvement, commencent à entrer en application. Les examens sont supprimés, le redoublement n’existe plus, la scolarité dans l’enseignement supérieur est notoirement réduite. Mais, surtout, l’accès de l’école et de l’université est franchement et par priorité ouvert aux enfants du prolétariat. D’autre part, le travail manuel et le travail intellectuel sont systématiquement associés.

Dans les administrations, le personnel est réduit. Beaucoup de fonctionnaires et d’étudiants s’en vont vers les campagnes, et certains dans des régions fort éloignées de leur pays d’origine. Nombre de dirigeants du parti font des stages dans les « écoles du 7 mai », communautés rurales qu’ils doivent construire de leurs propres mains.

Du 1er au 24 avril 1969 se tient le IXe Congrès du parti communiste chinois. Dans les nouveaux statuts publiés à cette occasion, les fondements théoriques — le marxisme-léninisme et la pensée de Mao Zedong —, comme la nécessité de continuer la lutte des classes, figurent en bonne place. Apparemment, l’heure des grands conflits est passée. La victoire du vieux révolutionnaire paraît totale. Lin Biao devient le seul vice-président du Comité central. Il est même officiellement désigné comme successeur de Mao Zedong. Le comité permanent du Bureau politique comprend, outre Mao et Lin Biao, Chen Boda (Tch’en Po-ta, né en 1904), Zhou Enlai et Kang Sheng (K’ang Cheng, 1899-1975). La « triple union » qui siégeait au sein des comités révolutionnaires (c’est-à-dire « les masses », les cadres du parti sortis indemnes du débat et les soldats de l’A. P. L.) se voit progressivement remplacée par les comités du parti. On en revient donc au statu quo ante la Révolution culturelle, à la différence, toutefois, que les effectifs de la grande organisation ont été sensiblement renouvelés. Mais le rôle des masses reste prépondérant dans bien des domaines de la vie publique et professionnelle.