assemblage (suite)
Réalisme et irréalisme
Il semblerait que, ce faisant, ce soit une sorte de réalisme élémentaire qui l’emporte, puisque les choses elles-mêmes tendent à se substituer à leur représentation par les techniques traditionnelles. De quoi certains ont conclu un peu trop vite que l’art et la vie commençaient à se confondre, et que, de ce fait, le premier était appelé à une prompte élimination. C’était méconnaître la signification fondamentale de l’activité artistique que d’oublier son pouvoir permanent de métamorphose. Ou bien il faudrait admettre que l’intrusion du journal dans le tableau de Picasso ou du ticket de tramway dans celui de Schwitters aurait signifié la disparition de la peinture au profit de la presse quotidienne ou des transports en commun ! Au contraire, les papiers collés eux-mêmes, dont les historiens du cubisme affirment qu’ils furent pour Braque et Picasso un moyen de se rapprocher de la réalité quotidienne, allaient presque aussitôt engendrer les conséquences les plus irrationnelles avec Dada et le surréalisme. Il semble que ce soit à cause de l’ambiguïté fondamentale du procédé ; l’élément extérieur introduit dans l’œuvre d’art n’obéit que partiellement à la volonté de l’artiste qui lui assigne un rôle précis. Il est à la fois cela et autre chose. Débordant l’intention esthétique par sa richesse de significations, l’assemblage permet à la création artistique de passer du stade de l’œuvre fermée, entièrement contrôlée par son auteur, au stade de l’œuvre ouverte, où les interprétations ne s’excluent pas les unes les autres.
Hétérogénéité et homogénéité
Encore faut-il reconnaître que les artistes n’ont pas toujours voulu s’accommoder de cette situation. En gros, on distingue deux tendances parmi ceux qui eurent (ou ont aujourd’hui) recours aux solutions de l’assemblage : ceux qui ne voulurent pas abdiquer leur mission souveraine et prétendirent plier à leurs desseins les formules employées (Braque et Dubuffet* en seraient de bons exemples) ; ceux qui, en revanche, ont tout espéré du bon vouloir de ces esclaves équivoques (Picasso et Max Ernst). Chez les premiers, les éléments étrangers s’assujettissent à une homogénéité tellement contraignante qu’ils y perdent peut-être le plus clair de leur charme, et jusqu’à leur étrangeté même. Chez les autres, la multiplicité interne des éléments maintient une sorte de tension, qui se vérifie d’ailleurs même lorsque les œuvres ne procèdent pas directement de l’assemblage : la vitalité de la peinture de Picasso et de Max Ernst, si contraire à son figement caractéristique chez Braque et Dubuffet, n’a sans doute pas d’autre secret... L’hétérogénéité de principe de l’assemblage serait ainsi garante du dynamisme de la création.
J. P.
➙ Collage / Environnement / Happening.
L. Aragon, la Peinture au défi (Corti, 1930) ; les Collages (Herrmann, 1965). / W. C. Seitz, The Art of Assemblage (New York, 1961). / H. Janis et R. Blesh, Collage (New York et Philadelphie, 1962). / H. Wescher, Collages (Cologne, 1968).
Chronologie succincte de l’assemblage
1912En avril, Umberto Boccioni (v. futurisme) publie le Manifeste technique de la sculpture futuriste, véritable charte de l’assemblage, qui se réfère à des constructions de l’année précédente, perdues depuis. L’été, à Sorgues, Braque* compose les premiers papiers collés. En octobre (?), premier collage, dû à Picasso*, qui, peu après, fabrique ses premières constructions en matériaux divers (carton, bois, etc.), comme, au même moment, Archipenko*.
1914Après avoir vu ces constructions, Tatline* crée ses reliefs et contre-reliefs, d’où naîtra le constructivisme. Duchamp invente ses premiers ready-mades (roue de bicyclette, égouttoir à bouteilles). Le collage conduit Malevitch* au suprématisme.
1915Du cubisme et du futurisme (complexes plastiques de Giacomo Balla et Fortunato Depero), l’assemblage s’étend aux futurs animateurs de Dada : Arp* et Picabia*.
1916Au cabaret Voltaire, à Zurich, premières manifestations dada*, ancêtres des happenings.
1919Les dadaïstes allemands créent de nouvelles formules d’assemblage : photomontage à Berlin, Merzbau et Merzbild a Hanovre (Schwitters*), collage présurréaliste à Cologne (Max Ernst*).
1920Le constructivisme russe préconise l’emploi de matériaux divers dans la sculpture (feuilles de métal, bois, plastiques).
1924Le surréalisme entraîne le développement d’une peinture irrationnelle qui emprunte au collage certains de ses effets.
1927Julio González* ouvre de nouvelles possibilités à l’assemblage en sculpture par l’emploi systématique de la soudure.
1930Premiers objets surréalistes (Giacometti, Dalí, Breton) et poèmes-objets.
1932Premiers mobiles de Calder*, munis de moteurs. Premières « boîtes » de Joseph Cornell.
1935Enrico Prampolini, avec ses Polimaterici, emploie des matériaux divers dans la tradition du futurisme.
1938L’Exposition internationale du surréalisme, à Paris, constitue le premier environnement important créé à des fins poétiques (sous la direction de Breton et Duchamp).
1942L’Exposition internationale du surréalisme, à New York, est le premier environnement (conçu par Duchamp) réalisé aux États-Unis.
1952Le sculpteur Ettore Colla reprend la sculpture soudée au point où Julio González l’avait laissée.
1953Premiers combine-paintings de Rauschenberg. L’influence du compositeur John Cage*, dont l’esthétique est fondée sur le collage, est décisive à partir de cette date sur l’art aux États-Unis.
1955Le groupe japonais Gutaï présente les premiers happenings. La sculpture soudée se développe avec force en Europe et aux États-Unis.
1958Premiers happenings new-yorkais.
1960Le nouveau réalisme (tableaux-pièges, accumulations, affiches lacérées). Tinguely* : Hommage à New York (assemblage qui s’autodétruit). Aux États-Unis, l’esprit du pop’art* procède directement de l’assemblage.
1965En Californie, le « funk* art » use de matériaux nouveaux et colorés dans la composition d’œuvres délirantes.
1966L’« arte povera » (v. conceptuel [art]) recourt aux matériaux sans valeur et sans éclat pour ses environnements.
1968« Process art » aux États-Unis (Richard Serra, Robert Morris).