Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Révolutions d’Angleterre (suite)

Le second principe auquel lient le Parlement est celui de la reconnaissance de ses privilèges. A priori, le roi serait plus accommodant sur ce point, acceptant même en 1628 la Petition of Right, qui limite les possibilités du roi de faire arrêter qui bon lui semble. Sans être spécifiquement destiné à protéger les parlementaires, ce texte représente néanmoins un net recul de l’arbitraire royal ; en réalité, l’arrestation des leaders de l’opposition l’année suivante (John Eliot, qui est pratiquement assassiné par manque de nourriture dans sa prison ; Denzil Holles) montre que les concessions royales ne sont que de pure forme. Certes, dans le déroulement des séances, les députés réussissent à s’affranchir à peu près de l’intervention royale : le « speaker » des Communes, à l’origine représentant du roi et chargé par lui de diriger les séances, perd ces caractéristiques. C’est le Parlement qui tranche en matière d’élections contestées, et non plus la justice royale. Ces succès incontestables ne doivent pas cacher le fait que, sur le plan général des libertés publiques, le Parlement est impuissant à obtenir du souverain qu’il consente à limiter ses prérogatives, et ce d’autant que les Stuarts, à partir de la destitution d’Edward Coke, Chief Justice of the King’s Bench, en 1616, ont réussi à prendre le contrôle de la justice.

Ce lourd contentieux entre le roi et le Parlement s’aggrave encore du fait de conflits secondaires, qui sont les conséquences de la lutte menée sur le terrain financier et constitutionnel, et qui sont au moins aussi importants aux yeux de l’opinion publique. Le premier concerne la politique étrangère : protestante, l’Angleterre aurait voulu voir son souverain voler au secours des protestants allemands, menacés par la contre-attaque catholique. Or, le souverain Stuart est peu désireux de s’engager dans une guerre, même populaire, qui réduirait à néant ses efforts pour s’affranchir du Parlement en l’obligeant à lui demander des subsides. De même, sa pauvreté lui interdit d’entretenir correctement la marine britannique : les Anglais ont bien du mal à commercer sur des mers dominées par les Espagnols et par la formidable flotte hollandaise. Au reste, les raisons financières ne sont pas les seules à expliquer la tiédeur des Stuarts à l’égard des puissances protestantes : celles-ci heurtent en effet les conceptions autoritaires du roi anglais. Jacques Ier et Charles Ier sont, au fond, assez d’accord avec l’empereur lorsque celui-ci considère les princes protestants allemands et les Hollandais comme de vulgaires rebelles. Le bon droit leur paraît incontestablement impérial et espagnol. Et, pendant tout leur règne, ils entretiendront des relations suivies et assidues avec l’Espagne, même si ces relations resteront parfois secrètes. Quant à la guerre avec l’Espagne provoquée par le mariage manqué de Charles et de l’infante Maria, elle n’ira pas bien loin...

En fait, et c’est plus grave encore aux yeux de l’opinion, la tiédeur des Stuarts à l’égard des pays protestants s’explique aussi pour des raisons religieuses. Sur ce terrain aussi s’est développé un conflit entre le roi et le peuple anglais, conflit particulièrement aigu et directement responsable de la haine et du mépris éprouvés par beaucoup d’Anglais à l’égard de Charles Ier. Ce dernier est même accuse d’incliner secrètement vers le catholicisme : de fait, les catholiques sont nombreux à la Cour, surtout après le mariage de Charles et d’Henriette-Marie de France, autour de qui se forme une véritable camarilla catholique. Des conversions retentissantes accentuent encore l’impression que la Cour est un repère papiste. Pourtant, Charles Ier est probablement un sincère protestant ; mais il est épiscopalien, alors que, pour l’essentiel, l’Angleterre voit le protestantisme à travers un presbytérianisme plus ou moins avancé. Les évêques sont des alliés naturels de l’autoritarisme royal : leur poids à la Chambre des lords, leur pouvoir sur le clergé anglican sont utilisés au profit du roi. En contrepartie, la législation religieuse des Stuarts, et plus particulièrement celle de Charles Ier, guidé en la matière par l’archevêque de Canterbury William Laud, est, avant tout, destinée à renforcer l’autorité épiscopale et à étendre les compétences des évêques. Parallèlement, elle interdit les pratiques recommandées par les puritains et même les presbytériens. Le nombre des procès intentés devant les cours de justice ecclésiastiques va en augmentant tout au long des années 1600-1640 : l’Église épiscopalienne apparaît bien comme l’auxiliaire dévoué de l’absolutisme des Stuarts, et il ne faut pas s’étonner que ce soit la tentative d’étendre à l’Écosse presbytérienne l’usage du livre de prières (Prayer Book) mis au point par Laud en 1637 qui mette le feu aux poudres.


Les forces en présence

Il ne faut pas, cependant, s’arrêter sur un diagnostic trop simpliste attribuant à la maladresse de la politique royale la responsabilité des événements. Nous l’avons dit, tous les États européens ont été confrontés au même problème financier ; seule la monarchie anglaise a provoqué en retour une telle réaction. Qui plus est, le prélèvement fiscal était en Angleterre plus faible qu’ailleurs : pas plus du cinquième (tous expédients compris) du prélèvement fiscal français. Il est donc impossible de prétendre que ce prélèvement était insupportable par son ampleur : le problème est qu’il a été ressenti comme tel. Tout, en réalité, tient au fait que le roi anglais avait des interlocuteurs déterminés et qu’il n’a pu l’emporter sur eux.

Par contre, au sein même de la gentry, on pourrait distinguer sans doute deux couches relativement différentes. À côté d’une « gentry traditionnelle », tantôt attachée à une agriculture ancienne et à un certain type de relations avec la paysannerie, tantôt adonnée à l’élevage intensif du mouton après avoir enclos ses terres et transformé les communaux en pâturages privés, ce qui a forcé nombre de paysans à abandonner leurs terres, s’est développée une « nouvelle gentry », où l’on trouve aussi bien des industriels et des marchands que des propriétaires terriens qui se sont tournés vers l’agriculture spéculative, et plus particulièrement vers la production céréalière, destinée au marché urbain, en pleine extension du fait de la poussée démographique et de l’exode rural. C’est précisément sous l’impulsion de cette « nouvelle gentry » que s’est accélérée à partir de la seconde moitié du xvie s. la mise en place des formes capitalistes de production.