Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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République (IVe) (suite)

De la reconstruction à l’expansion

Malgré cette instabilité politique, la période se caractérise tout à la fois par une amélioration de la production, surtout industrielle, et par la persistance de tendances inflationnistes, que les gouvernements tentent, en vain, de maîtriser. René Mayer, ministre des Finances de Robert Schuman, entreprend, en 1947-48, de les briser par des mesures en grande partie déflationnistes : relèvement des prix des produits de base ; dévaluation du franc de 44,44 p. 100 le 25 janvier 1948 (le « franc Mayer est à 4,212 mg d’or fin) ; réductions des subventions, des investissements et même de la consommation par le blocage des billets de 5 000 francs le 29 janvier 1948 ; retour au marché libre de l’or le 2 février 1948. Poursuivie par un modéré, Maurice Petsche, secrétaire d’État au Budget en septembre 1948, puis ministre des Finances en février 1949, cette politique déclenche une seconde dévaluation de 22,27 p. 100 le 19 septembre 1949. Le « franc Petsche » ne pèse plus que 2,545 mg d’or fin. Les exportations, freinées par l’insuffisante capacité de production de l’économie française, ne tirent pas les bénéfices escomptés de ces opérations monétaires. Certes, le déficit de la balance commerciale est presque annulé (1 451 millions de dollars en 1947 ; 78 en 1950), mais celui de la balance des paiements reste important (1 674 en 1947 ; 237 en 1950).

En fait, ce déficit n’est comblé que par l’aide américaine (accords franco-américains du 28 février 1945 ; accord Blum-Byrnes du 28 mai 1946 pour l’ouverture d’un crédit de 650 milliards de dollars ; tirages sur le F. M. I. [Fonds monétaire international] ; octroi de crédits divers et surtout contre-valeur de l’aide Marshall, qui entre en vigueur le 3 avril 1948). Au total, les États-Unis procurent en trois ans 2 118 millions de dollars à la France, remédiant ainsi au « Dollar gap » (manque de dollars), dont elle souffre, mais Paris est désormais dans la dépendance totale de Washington.

Conditionnée, en effet, par les crédits américains et donc compromise un moment par la récession américaine de 1948-49, l’exécution du premier plan, dit « plan Monnet » (1947-1950), est entravé par les troubles sociaux, par le déficit constant des charges extérieures, par les charges coloniales. Aussi le Commissariat au plan décide-t-il de faire coïncider son terme avec celui de l’aide Marshall en 1952, ce qui permet d’achever pour l’essentiel la reconstruction et d’amorcer l’expansion de l’économie française, dont l’agriculture a retrouvé, dès 1950, le niveau de production de 1938, tandis que l’industrie le dépassait de 28 p. 100. En fait, cet accroissement s’est fait au profit de l’infrastructure, aux dépens des biens de consommation, et le niveau de vie des Français ne s’est guère amélioré depuis 1938. Certes, la guerre de Corée* (25 juin 1950 - 27 juill. 1953) entraîne bien en France, comme dans le reste du monde, une vive reprise de l’activité économique à la suite des efforts de réarmement. Mais, outre que ces derniers pèsent lourdement sur le budget, ils provoquent en quelques mois une hausse de 40 p. 100 du prix des matières premières, puis une hausse des salaires qui stimulent la production, mais relancent l’inflation, cette fois non plus par la demande, mais par les coûts. La signature de l’armistice américano-nord-coréen de Kaesong (ou Kä-sŏng) le 10 juillet 1951 renverse alors la tendance. Aussi la baisse mondiale des prix, qui se fait sentir en France à partir de décembre 1951, facilite-t-elle l’exécution du plan Pinay de stabilisation des prix en 1952. Mais ce plan provoque une légère récession, qui fait tomber l’augmentation de l’indice de la production industrielle de 12,5 p. 100 en 1951 à 1 p. 100 en 1952. Ainsi arrivé à son terme, le premier plan ne dépasse ses objectifs qu’en ce qui concerne l’électricité (112 p. 100) ; il les réalise seulement à 91 p. 100 pour l’acier, à 84 p. 100 pour le charbon et même à 66 p. 100 pour le ciment, l’industrie du bâtiment, comme l’industrie textile, étant en crise. Les perspectives à long terme ne sont pourtant pas mauvaises : l’augmentation de la productivité permet à la France d’assumer la lourde charge d’une forte reprise de la natalité, dont le taux se maintient à un niveau élevé (20,5 p. 1 000 en 1950, 19,3 p. 1 000 en 1952, au lieu de 14,5 p. 1 000 en 1938), et de retrouver en 1950 (41 830 000), puis de dépasser en 1952 (42 460 000) le chiffre de population atteint en 1938 (41 960 000). Liée financièrement et économiquement aux États-Unis, la France accepte naturellement le leadership américain au lendemain du « coup de Prague » du 24 février 1948, qui marque le début de la guerre froide. Aussi signe-t-elle le 17 mars 1948 le pacte d’assistance réciproque de Bruxelles avec la Grande-Bretagne et les trois pays membres du Benelux (Union de l’Europe occidentale), et surtout le 4 avril 1949 le pacte atlantique, qui intègre ses forces armées nationales dans l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (O. T. A. N.), placée sous commandement américain. La politique française de rigueur vis-à-vis de l’Allemagne est abandonnée. Sous l’impulsion du M. R. P. et de l’un de ses leaders, Robert Schuman, elle s’attache, désormais, à construire l’Europe avec elle. Dès le 5 mai 1949, le Conseil de l’Europe est créé. Puis, le 9 mai 1950, le lancement du plan Schuman-Monnet aboutit à la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (C. E. C. A.) par le traité de Paris que signent les Six le 18 avril 1951 : l’Europe* économique est née. La guerre de Corée achève de poser la question du réarmement allemand, que favorisent les Américains. René Pleven propose alors, le 24 octobre, d’intégrer l’armée allemande dans une armée européenne : c’est le début de la querelle de la C. E. D. (Communauté européenne de défense).

Désormais, ce sont les problèmes extérieurs, plus que les problèmes intérieurs, qui alimentent l’opposition entre les partis. Outre-mer, leur politique apparaît déjà affrontée à de multiples contradictions, dont la portée réelle, méconnue du public, n’appelle pas encore son attention. L’affaire indochinoise pourrit lentement : à partir de 1947, la guerre contre le Viêt-minh s’installe ; la France tente alors de jouer Bao Dai contre Hô Chi Minh. En vain, car la victoire de Mao Zedong (Mao Tsö-tong) en Chine en 1950 apporte à celui-ci un appui politique et militaire décisif. Haut-commissaire de France en Indochine le 6 décembre 1950, le général de Lattre* de Tassigny réussit à stabiliser la situation en 1951. Sa mort, le 11 janvier 1952, coïncide avec une détérioration des positions françaises. Parallèlement, en Afrique du Nord, la France substitue une politique d’intransigeance à une politique libérale, notamment en Tunisie*, où Ḥabīb Bourguiba* est arrêté le 18 janvier 1952, et au Maroc*, où la revendication de l’indépendance le 18 novembre 1952 par le sultan Muḥammad V contribue à la grève qui éclate à Casablanca le 7 décembre et qui est réprimée par la force.