Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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République (IVe) (suite)

Le discours de Bayeux

Prononcé par le général de Gaulle à Bayeux le 16 juin 1946 à l’occasion du second anniversaire de la libération de cette ville, le « discours de Bayeux » comporte condamnation du projet constitutionnel déjà rejeté par le corps électoral le 5 mai 1946. À celui-ci, l’homme du 18 juin propose de substituer le sien.

Ses deux principes essentiels — séparation réelle des pouvoirs, responsabilité du gouvernement devant le Parlement — ont inspiré les rédacteurs de la Constitution de 1958, compte tenu du fait qu’« au-dessus des contingences [doit être] établi un arbitrage national [...] [et que, par conséquent], c’est [...] du chef de l’État placé au-dessus des partis [...] que doit procéder le pouvoir exécutif ».


La mise en place du régime et la rupture du tripartisme (1947)

L’Assemblée nationale, qui fut élue le 10 novembre 1946, comprend une majorité de députés appartenant aux trois partis qui ont dominé les deux Constituantes, et qui semblent condamnés à s’associer pour gouverner : le P. C. F., qui devient le premier parti de France (169 députés) ; la S. F. I. O., dont le recul s’accentue (101 élus) ; le M. R. P., qui régresse au second rang (164 élus). Élu à son tour le 24 novembre, le Conseil de la République a une composition politique plus modérée.

Mais, en attendant que l’Assemblée nationale se réunisse le deuxième mardi de janvier 1947, un dernier gouvernement provisoire se constitue sous la présidence de Léon Blum* (16 déc. 1946 - 16 janv. 1947). Il est composé uniquement de socialistes, et chargé de gérer les seules affaires courantes. Il élabore néanmoins avec le travailliste Ernest Bevin le texte du traité franco-britannique qui sera signé le 4 mars 1947. En même temps, il tente de briser l’inflation en décidant une baisse autoritaire des prix de 5 à 10 p. 100. Mais surtout il prépare la réunion du congrès de Versailles, qui, le 16 janvier 1947, élit président de la République le président de l’Assemblée nationale, Vincent Auriol. Membre de la S. F. I. O., le nouveau chef de l’État (16 janv. 1947 - 16 janv. 1954) désigne un autre socialiste, Paul Ramadier, comme président du Conseil (22 janv. - 19 nov. 1947). Trois radicaux, deux U. D. S. R. (Union démocratique et socialiste de la Résistance) et deux indépendants se joignent à leurs collègues appartenant aux trois partis dominants pour constituer un ministère dit « d’accord général », qui se heurte d’abord à l’opposition du général de Gaulle ; celui-ci, le 30 mars 1947, condamne la Constitution dans son discours de Bruneval et, le 7 avril à Strasbourg, est fondé le Rassemblement du peuple français, « qui va promouvoir et faire triompher [...] le grand effort de salut commun et de réforme profonde de l’État ». Paul Ramadier entre en conflit avec ses ministres communistes, dont la présence au gouvernement est indirectement critiquée par le président Harry Truman dans son discours du 15 mars 1947. Refusant, le 20 mars, de voter les crédits militaires destinés à financer la guerre contre le Viêt-minh, hostiles par ailleurs à la répression violente de l’insurrection malgache, qui débute dans la nuit du 29 au 30 mars, les ministres communistes votent même le 4 mai contre le gouvernement afin de soutenir la grève des usines Renault (25 avr. - 16 mai), dont le déclenchement a été favorisé par les difficultés économiques (manque de charbon ; décision de réduire la ration journalière de pain à 250 g à partir du 1er mai). En choisissant, le 4 mai, de renvoyer les ministres communistes pour manquement à la solidarité gouvernementale, Paul Ramadier met un terme définitif à l’ère du tripartisme et « marque vraiment, selon Jacques Fauvet, l’avènement de la IVe République ». Celle-ci semble renouer dès lors des liens solides avec la IIIe, puisque cinq radicaux ayant fait carrière sous cette dernière obtiendront tour à tour les présidences de l’Assemblée nationale, (Édouard Herriot*, 21 janv. 1947 - 12 janv. 1954), du Conseil de la République, redevenu le Sénat en 1958 (Gaston Monnerville, 18 mars 1947 - 3 oct. 1968), du gouvernement (Henri Queuille, 11 sept. 1948 - 5 oct. 1949), de l’Assemblée de l’Union française (Albert Sarraut, 5 juill. 1951 - 9 déc. 1958), enfin, du Conseil économique, devenu en 1959 le Conseil économique et social (Émile Roche depuis le 9 mai 1954).


Au temps de la Troisième Force (1947-1952)


L’impossible majorité

L’éviction des communistes du gouvernement entraîne la constitution d’une coalition du centre, la Troisième Force, qui groupe jusqu’en 1952 les socialistes, le M. R. P., des radicaux et des modérés, et qui s’oppose au P. C. F. et au R. P. F. (hostile au « régime des partis »). L’existence de deux blocs opposés dans le monde apparaît avec l’annonce du plan Marshall (juin 1947) et le « coup de Prague » du 24 février 1948. L’anticommunisme devient une constante de la vie politique et explique le raz de marée du R. P. F. aux élections municipales des 19 et 26 octobre 1947. Le président du Conseil, Paul Ramadier, se retire le 19 novembre. Son successeur, Robert Schuman*, constitue alors un gouvernement dominé par le M. R. P. (24 nov. 1947 - 19 juill. 1948), mais confie le ministère de l’Intérieur à un socialiste, Jules Moch, qui s’oppose aux importantes grèves du 5 novembre au 10 décembre 1947. Ces grèves sont condamnées par un certain nombre de syndicalistes cégétistes qui, le 19 décembre, constituent la C. G. T.-F. O. (Force ouvrière). L’impossibilité de constituer une majorité cohérente en raison des divergences existant entre les socialistes dirigistes, les radicaux et surtout les modérés libéraux a pour conséquence une très grande instabilité gouvernementale.

Les problèmes financiers font tomber le premier gouvernement Robert Schuman (24 nov. 1947 - 19 juill. 1948) [question des crédits militaires], le ministère André Marie (26 juill. - 28 août), où les projets de Paul Reynaud suscitent l’hostilité de Léon Blum, et le second gouvernement Robert Schuman (5-7 sept.), où la présence d’un socialiste rue de Rivoli entraîne l’opposition des libéraux. Le problème de l’équilibre des salaires et des prix entraîne le retrait du premier gouvernement Henry Queuille (11 sept. 1948 - 5 oct. 1949), auquel le R. P. F. reproche, entre autres, l’ajournement des élections cantonales d’octobre 1948 aux 20 et 27 mars 1949. Le vote de la réforme électorale qui, le 7 mai 1951, institue les apparentements a pour objet d’assurer le succès de la majorité sortante aux élections du 17 juin, aux dépens du R. P. F. et surtout du P. C. F. Sa réussite est réelle : les deux tiers des sièges vont aux partis de la Troisième Force, malgré l’échec du M. R. P., qui est le grand vaincu des élections (85 députés au lieu de 143) avec les communistes (99 élus au lieu de 167). Quant au R. P. F., premier groupe de l’Assemblée (121 élus), il ne peut imposer ses vues au gouvernement. Le vote définitif de la loi Marie-Barangé d’aide à l’enseignement privé le 21 septembre entraîne le passage progressif des socialistes à l’opposition et, par contrecoup, la dislocation de la Troisième Force ; les deux premiers gouvernements de la législature (René Pleven, 10 août 1951 - 7 janv. ; Edgar Faure, 20 janv. - 29 févr. 1952) sont constitués avec le soutien des socialistes, mais sans leur participation.