Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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République (IIIe) (suite)

Cette crise de Fachoda est le signal d’un très net redressement naval, qui accompagnera, face à la montée menaçante de la marine allemande de Tirpitz*, la négociation de l’Entente cordiale franco-britannique (1904). L’état-major de la marine (créé en 1890) prend en main l’élaboration d’un véritable programme de 6 cuirassés de 18 000 t et de 5 croiseurs de 15 000 t que fera adopter en 1901 le ministre Jean-Marie de Lanessan (1843-1919). Grâce à l’appui de Delcassé*, qui veut donner à la France la marine de sa politique, la loi navale de 1912 prévoit la construction de 28 cuirassés, de 52 torpilleurs et de 94 sous-marins. Cet effort est trop tardif ; la France aborde la guerre en 1914 avec une marine de 780 000 t, qui occupe le quatrième rang des marines mondiales, après la Grande-Bretagne, l’Allemagne et les États-Unis. Outre 72 sous-marins, la force principale de la marine française est constituée par l’armée navale de l’amiral Augustin Boue de Lapeyrère (1852-1924), qui a été ministre de 1909 à 1911 et auquel la convention technique franco-britannique du 10 février 1913 a confié le commandement en chef des marines alliées en Méditerranée occidentale. Basée à Toulon, l’armée navale comprend 6 Danton (18 000 t), 5 Patrie (15 000 t) et les deux seuls dreadnoughts de la marine française, le Courbet et le Jean-Bart (23 000 t), datant de 1911.

La marine de Leygues et de Darlan (1919-1939)

Au lendemain d’une victoire où l’opinion n’a guère perçu l’importance, pourtant essentielle, du facteur naval, la France de 1920 met sa marine « en veilleuse ». Aussi acceptera-t-elle de voir le tonnage de ses bâtiments de ligne limité à 175 000 t et aligné sur celui de l’Italie par le traité de Washington, qui, en 1922, consacre l’hégémonie navale britannique et américaine comme l’ascension du Japon (v. marine).

De façon assez surprenante, ce moment de repli sera suivi d’un extraordinaire renouveau de la marine française, dont le principal artisan sera Georges Leygues (1857-1933), ministre de la Marine de Clemenceau en 1917 et qui retrouvera ce portefeuille dans dix autres gouvernements (nov. 1925 - févr. 1930 et juin 1932 - sept. 1933). Grâce à l’effort le plus continu et le mieux coordonné qu’elle ait connu au cours de sa longue histoire, la flotte française se verra attribuer par le Parlement seize tranches de construction navale et dix contingents de navires auxiliaires, soit un programme de 705 000 t de bâtiments de combat, qui sera près d’être terminé en 1939. « Négligée en 1920, à peine écoutée en 1925 », la marine prend à partir de 1930, où elle bénéficie de plus de 20 p. 100 des crédits militaires, une place de choix dans les conseils de défense nationale. L’action de son ministre est amplifiée et prolongée par celle de l’état-major de la marine, dirigé en 1927 par l’amiral Louis Violette (1869-1950), à qui succèdent en 1931 l’amiral Georges Durand-Viel (1875-1959), puis en 1936 l’amiral Darlan*, qui, filleul de Leygues, a été directeur de son cabinet de 1929 à 1934. Cette renaissance de la marine française inquiète la Grande-Bretagne, qui, le 18 juin 1935, signe avec le Reich hitlérien un traité séparé lui accordant le droit de construire une marine égale à 35 p. 100 de la Royal Navy. En 1938-39, la montée de la menace allemande rapproche la France et la Grande-Bretagne, et, comme en 1913-14, des accords fixent la coopération des deux flottes. Avec 660 000 t de navires (dont 110 000 en construction), parmi lesquels on citera le sous-marin Surcouf (1934), de 2 400 t, les cuirassés Dunkerque (1937), Strasbourg (1938), de 26 500 t, et Richelieu (1939), de 35 000 t, ainsi que les croiseurs de 8 000 t du type Galissonnière (1935-1939), la marine française est, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, la marine la plus moderne et la plus puissante que la France ait possédée.

P. D.


Les deux derniers présidents du conseil de la IIIe République


Édouard Daladier

(Carpentras 1884 - Paris 1970). Fils d’un boulanger, agrégé d’histoire, il professa tout en s’engageant dans le journalisme de combat et la lutte politique : en 1911, il constitua une liste radicale qui triompha aux élections municipales et il devint maire de Carpentras. Mobilisé en 1914, il termina la guerre comme officier. En 1919, nommé professeur au lycée Condorcet, il s’installa à Paris ; mais, sollicité par les radicaux de Vaucluse, il se présenta aux élections législatives du 16 novembre et fut élu. Lors des élections le 1924, le Cartel* des gauches le chargea de rédiger le chapitre de son programme relatif à la défense : celle-ci, à ses yeux, devait être liée aux progrès de l’industrie. Dans le premier cabinet Herriot (juin 1924 - avr. 1925), Daladier se vit confier le portefeuille des Colonies. Après un bref passage à la Guerre (3e cabinet Painlevé, oct.-nov. 1925), puis à l’Instruction publique (8e cabinet Briand, nov. 1925 - mars 1926, et 2e cabinet Herriot, juill. 1926), il suivit dans leur défaite les membres du Cartel : l’unité du parti radical ne fut alors sauvée que par son élection à la présidence (1927). Daladier devait assumer cette charge jusqu’en 1931 et, de nouveau, entre 1936 et 1939 (v. radicalisme).

Du 21 février 1930 au 14 décembre 1932, il fut par trois fois et d’une manière éphémère ministre des Travaux publics. Durant cette période d’instabilité ministérielle, son autorité grandit. Sa compétence en matière de défense nationale était reconnue. Aussi Paul-Boncour lui confia-t-il le portefeuille de la Guerre (déc. 1932 - janv. 1933) : ce poste, Daladier allait l’occuper encore dans neuf cabinets entre le 31 janvier 1933 et le 18 mai 1940, dont trois fois dans un ministère formé et présidé par lui-même.

Le premier cabinet Daladier (31 janv. - 24 oct. 1933) fut constitué en des circonstances dramatiques : le déficit atteignait 10 milliards. Des mesures financières, quoique modérées, lui attirèrent l’opposition virulente de l’extrême droite et de l’extrême gauche. Par ailleurs, la veille de son arrivée au pouvoir, l’Allemagne s’était donné comme chancelier Adolf Hitler, alors que la Société des Nations et la Conférence du désarmement avaient perdu toute autorité. Daladier, bravant les socialistes, crut trouver la solution de la crise internationale dans la signature, à Rome, le 7 juin 1933, d’un pacte à quatre (France, Grande-Bretagne, Allemagne et Italie), que Hitler se déclara d’abord prêt à accepter, mais qui se révéla tout de suite inefficace, le chancelier allemand, dès la fin de l’année, retirant la délégation allemande de la Société des Nations et de la Conférence du désarmement. Alors, Daladier, reprenant un projet élaboré en 1927, songea à compléter le « bouclier » des fortifications frontalières par la formation de divisions motorisées puissantes et mobiles ; mais son cabinet fut mis en minorité par les socialistes. Daladier n’en conserva pas moins le portefeuille de la Guerre dans les deux cabinets éphémères qui lui succédèrent : A. Sarraut (oct.-nov. 1933) et C. Chautemps (nov. 1933 - janv. 1934). Mais l’affaire Stavisky allait éclabousser l’équipe de Chautemps et le parti radical. Le 30 janvier 1934, Daladier — qui se réserva les Affaires étrangères — forma le gouvernement ; son premier geste fut de déplacer le préfet de police, Jean Chiappe (1878-1940), soupçonné de faiblesse à l’égard des mouvements de droite : cette mesure mit le feu aux poudres. Le 6 février, alors que Daladier présentait à la Chambre son cabinet, hâtivement remanié, l’émeute menaça le Palais Bourbon ; il y eut seize morts et des centaines de blessés. Le président du Conseil, ayant réclamé en vain la possibilité de proclamer l’état de siège, démissionna dès le 7 février.