Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Renoir (Auguste) (suite)

Ayant fait de substantielles économies, Renoir peut donner suite à son rêve le plus cher : suivre les cours de l’École nationale des beaux-arts. Reçu, au début de 1862, au concours d’admission, il s’inscrit à l’atelier de Charles Gleyre (1806-1874). Bien qu’élève studieux, ses professeurs le jugent indiscipliné, lui reprochant des hardiesses de style inhabituelles en ce lieu. Agacé par ses couleurs vives et sa manière réaliste de voir le motif, Gleyre lui demande un jour : « C’est sans doute pour vous amuser que vous faites de la peinture ? — Mais certainement, répond Renoir ; et si ça ne m’amusait pas, je vous prie de croire que je n’en ferais pas. » À l’automne de 1862, Renoir se lie d’amitié avec Alfred Sisley, Claude Monet et Frédéric Bazille, nouvellement entrés dans l’atelier Gleyre. Tous les trois professent ouvertement leur admiration pour les peintres anticonformistes de l’époque. C’est grâce à Monet que Renoir et ses nouveaux amis prennent connaissance de ce qui se trame dans l’art, car Monet a été à bonne école : il a connu Boudin* et Jongkind*, les peintres de plein air, ainsi que Camille Pissarro, et il s’est aventuré à la brasserie des Martyrs, lieu de rencontre des partisans du réalisme*, disciples de Courbet*. L’équipe qui allait dix ans plus tard constituer le noyau des impressionnistes se trouve réunie lorsque Bazille, au bout de quelques mois, présente à ses camarades Cézanne* et Pissarro, qui travaillent à l’académie Suisse. Il serait cependant juste de rappeler que Renoir n’est pas, à cette époque, à la pointe du combat pour l’art nouveau. Tant s’en faut. Son désir de sortir des chemins battus est plus apparent dans ses propos que dans ses peintures. Certes, son talent et son intuition lui ont permis d’éviter les poncifs académiques, mais il n’en reste pas moins attaché à certaines valeurs traditionnelles ; aussi se rend-il souvent au Louvre pour faire des copies des peintres français du xviiie s., qui ont sa préférence.

Gleyre ayant fermé son atelier en janvier 1864, Renoir passe un dernier examen à l’École des beaux-arts et n’y remet plus les pieds. Il se rend alors, sur l’initiative de Monet et en compagnie de Sisley et de Bazille, à Chailly-en-Bière, près de Fontainebleau, pour peindre d’après nature. Il y rencontre d’abord Narcisse Diaz de la Peña, puis Théodore Rousseau, Corot* et enfin Charles François Daubigny et Millet* (v. Barbizon [école de]). Au Salon de 1864, Renoir est accepté et figure au catalogue comme élève de Gleyre. Par la suite, il n’aura pas toujours cette chance, alors même qu’il évitera d’envoyer ses toiles les plus audacieuses. Si son art ne tourne pas encore le dos à la tradition, il laisse déjà apparaître cette grâce teintée de sensualité qui imprégnera toute son œuvre. Des accents modernes, surtout visibles dans ses portraits, se font sentir dès 1866, mais ils sont plus empruntés au réalisme de Courbet qu’à l’exaltation de la lumière des peintres du plein air (Diane chasseresse, 1867, National Gallery of Art, Washington). Pour lui voir franchir le pas décisif, il faut attendre l’année 1869, lorsque, ayant rejoint Monet à Bougival, il exécute avec ce dernier plusieurs versions d’une guinguette, la Grenouillère (par exemple : collection Reinhart, Winterthur). Comme lui, il analyse alors le phénomène lumineux avec des yeux neufs, employant des procédés nouveaux, tels que la suppression des détails et la fragmentation de la touche.

Sans que les deux peintres s’en rendent compte, leur manière d’interpréter la nature en abandonnant le contour donne le signal au grand mouvement qui va révolutionner la peinture : l’impressionnisme. Depuis quelques années, Renoir vit dans la plus grande détresse matérielle, n’arrivant à subsister que par la générosité de quelques amis et surtout de Bazille, qui jouit d’une certaine aisance. Au café Guerbois, où il retrouve Cézanne, il a fait la connaissance de Degas*, de Zola*, de Louis Edmond Duranty (1833-1880). Discret, il écoute plus qu’il ne participe aux discussions animées qui s’établissent entre ces fins causeurs. Après la guerre de 1870, qu’il fait dans les chasseurs à cheval, Renoir rencontre Paul Durand-Ruel (1831-1922), qui deviendra son marchand, ainsi que le critique Théodore Duret (1838-1927). De cette époque date le tableau la Rose (musée du Louvre, salles du Jeu de paume), qui représente une jeune femme, la poitrine dénudée, tenant à la main une rose. On peut, pour la première fois, y voir l’image que Renoir donnera de la femme : corps épanoui, visage rond aux yeux légèrement bridés et en amande, avec un rien d’innocence dans l’attitude. Il avouera : « Un sein, c’est rond, c’est chaud. Si Dieu n’avait créé la gorge de la femme, je ne sais si j’aurais été peintre. »

En 1874, il participe à la première exposition des impressionnistes, qui se tient boulevard des Capucines. Les toiles de Renoir sont, comme celles de ses amis, vivement critiquées, mais des amateurs se présentent pourtant : un employé de ministère du nom de Victor Chocquet (1821-v. 1898), dont il fait le portrait, puis l’éditeur Georges Charpentier (1846-1905), qui lui achète un tableau et lui commande des portraits de famille (Mme Charpentier et ses enfants, exposé avec succès au Salon de 1879 ; Metropolitan Museum, New York). Renoir, en plein élan, peint durant ces années ses meilleures toiles. Elles exaltent la beauté du corps humain et l’harmonie de la nature, mettent l’accent sur le bonheur de vivre : la Loge (1874, Tate Gallery, Londres), le Moulin de la Galette et la Balançoire (1876, musée du Jeu de paume). Des visages lui inspirent ces tableaux lumineux dans lesquels il fait affleurer le charme secret de la femme (la Liseuse, v. 1875-76, musée du Jeu de paume) ; il peint les Canotiers à Chatou (1879, National Gallery of Art, Washington), reflet chatoyant des loisirs de plein air sur la Seine.

Mais bientôt Renoir met, pour un temps, fin à sa période impressionniste, estimant ne pouvoir aller plus loin dans cette voie. Ce retour à la tradition classique s’accomplit au cours d’un voyage en Italie (1881-82) où, après Venise, il découvre à Rome les fresques de Raphaël, à Naples la peinture pompéienne. Estimant qu’il ne sait « ni peindre ni dessiner », il s’attache désormais à la qualité du dessin, à figurer les détails, à rendre plus précis le contour des formes, plus nets les volumes. Une bonne part de ce qui faisait le charme de sa peinture est en même temps abandonné. Ses tons deviennent sévères et sa lumière froide, la féerie n’anime plus son art. Cette période, que l’on a appelée ingresque, est marquée par des œuvres dont on dit volontiers qu’elles sont « solides », sans plus : les Parapluies (1881-1886, National Gallery, Londres), la Danse à Bougival (1883, Museum of Fine Arts, Boston). Après avoir participé à la septième manifestation des impressionnistes en 1882, il fait, l’année suivante, une exposition chez Durand-Ruel. Parfois, il s’évade de Paris pour peindre à Guernesey, ou à l’Estaque en compagnie de Cézanne. Il n’a plus de soucis d’argent grâce à Durand-Ruel, qui s’acharne à propager ses œuvres, ainsi que celles des autres impressionnistes, en organisant des expositions à Paris, Londres, Bruxelles, Vienne et New York.