Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Renaissance (suite)

À Rome*, deux papes mécènes — l’un tyrannique, l’autre charmeur — donnent sa chance à la trilogie majeure dont les créations frappent d’emblée l’Europe et lui montrent à la fois les trois visages de la Renaissance, l’intellectuel, le dionysiaque, l’apollinien. Parmi l’équipe de grands architectes — Antonio da Sangallo* le Jeune, Peruzzi* et même Raphaël — qui vont renouveler le visage de Rome, Bramante* incarne la rigueur, la volonté de pureté à la fois antiquisante et mathématique qui s’exprime notamment par l’obsession des plans circulaires ou en croix grecque, du « tempietto » de San Pietro in Montorio à la coupole du nouveau Saint-Pierre. Son irascible adversaire, Michel-Ange*, fait éclater dès 1505 sa « terribilità », son génie de sculpteur épris de formes colossales et tourmentées dans ses premières pensées pour le tombeau de Jules II — avant l’immense recréation de l’univers qu’est le plafond peint de la Sixtine (terminé en 1512) et la méditation plus stoïque que chrétienne sur la vie et la mort, l’action et la contemplation qu’est la chapelle funéraire des Médicis, commandée par Léon X à Florence. Mais c’est le génie heureux de Raphaël — le peintre des madones, mais plus encore celui des stanze du Vatican (1508-1517) — qui aura la plus forte répercussion européenne (en partie à travers les gravures de Marcantonio Ramondi) par l’aisance souveraine de ses compositions, leur idéalisme serein, la synthèse rêvée entre le monde de l’École d’Athènes et celui de la Dispute du saint sacrement. Et même si notre temps préfère les portraits, la volupté grave du Triomphe de Galatée ou les bucoliques des loggie, il ne conteste pas la suprématie d’un génie entre tous spontané et lumineux.

Un jaillissement, un bonheur de création presque égal apparaît au même moment dans l’Italie du Nord, où la peinture s’épanouit, à Venise et à Parme, dans un climat différent, essentiellement « luministe » et coloriste. L’apparition, fulgurante et brève, de Giorgione* marque Venise pour tout le siècle, avec l’opulence des formes nues baignant dans une lumière humide et dorée (le Concert champêtre), les paysages préalpestres ruisselant de verdure et d’eaux devant un horizon de montagnes bleues, avec un sentiment neuf du mystère de la nature et de la fugacité de l’instant (la Tempête). Après sa mort prématurée, Titien*, son collaborateur, venu comme lui de la « terre ferme », recueille l’héritage et, en peu d’années, conquiert la gloire. Il la doit à l’éclat chaud de sa couleur comme à l’harmonie des ordonnances, à la beauté blonde des courtisanes vénitiennes transmuées en déesses (cycle mythologique peint dès 1523 pour le duc de Ferrare) : c’est le début d’une longue royauté.

Cependant, tandis que la Lombardie recueille la tradition léonardesque avec plus de suavité (Bernardino Luini), un isolé, le Corrège*, apporte à Parme une note personnelle : son clair-obscur chatoyant, fluide et vaporeux — aussi bien dans les grandes décorations que dans les figures féminines, madones ou saintes Catherines, Lédas ou Danaés, presque égales en langueur voluptueuse — est à l’origine d’un courant durable dans la peinture européenne.

Cette période exceptionnelle est aussi celle où l’Europe est conquise par la Renaissance. Jusqu’alors, l’italianisme n’avait pénétré en d’autre pays que par des décors figurés sur des peintures et des miniatures (Fouquet*), à la rigueur par des tombeaux commandés en Italie ou par des sculptures dues à des Italiens de passage (Francesco Laurana à la cour d’Aix-en-Provence, pour le roi René* d’Anjou). Mais, à la suite des expéditions françaises à Naples et dans le Milanais, à partir de 1494, les luttes confuses qui opposent Français et Espagnols vont mettre en contact avec l’Italie une élite de grands seigneurs et de prélats qui s’émerveillent des palais, des villas, des jardins riches de statues et de fontaines, et s’efforcent de les transplanter dans leur pays. Cet italianisme ne pénètre d’abord que très superficiellement : il se limite à un placage de décors nouveaux sur les structures traditionnelles.

Mais des situations presque semblables ont des résultats quelque peu différents. L’Espagne*, déjà implantée solidement à Naples, est plus précoce que la France. La grande famille des Mendoza, diplomates ou guerriers, emploie un architecte castillan sans doute formé en Italie, Lorenzo Vázquez. Celui-ci, vers 1490, dresse au collège de Santa Cruz de Valladolid*, sur fond de bossages florentins, une juxtaposition d’ordres classiques et de pilastres gothiques. À Valence, trait d’union entre Naples et l’Espagne, Fernando Yáñez et Fernando de Llanos peignent entre 1507 et 1510 le grand retable léonardesque de la cathédrale. Mais c’est surtout Grenade*, reconquise en 1492, qui va devenir le « banc d’essai » de l’italianisme : le château de Calahorra, qui se dresse dans la sierra à 1 200 m, fief d’un Mendoza, cache dans son enceinte un patio à médaillons et à frises exécuté sur place par des sculpteurs génois. À ces œuvres s’ajoutent les décors architecturaux qu’on appelle plateresques, traités en faible relief comme des retables extérieurs et dont la broderie associe souvent les motifs mudéjars de stuc aux marbres italiens (patio « trilingue » de l’université d’Alcalá de Henares, avant-salle capitulaire de la cathédrale de Tolède). Dès le début du règne de Charles Quint, si le plateresque transforme surtout l’aspect d’édifices civils (comme la façade de l’université de Salamanque*), il touche très vite l’art religieux. À côté de décors exécutés par des sculpteurs italiens, à côté des grilles monumentales de chapelles qui adoptent le vocabulaire nouveau, absides et façades reçoivent des décors plaqués de grande envergure tout en conservant les formules caractéristiques du style « Isabelle » (motifs héraldiques monumentaux) ; c’est ainsi que Rodrigo Gil de Hontañón travaille à la cathédrale de Plasencia et à San Esteban de Salamanque.

Beaucoup plus lente est la pénétration de l’italianisme au Portugal*. C’est seulement vers 1520 qu’il se manifeste à Lisbonne*, au monastère de Belém, avec l’entrée en scène de nouveaux maîtres d’œuvre, et à Coimbra, avec l’apparition d’une équipe de sculpteurs d’origine française.