Reinhardt (Django) (suite)
Personnage hors du commun, Django était célèbre pour ses foucades. Il préférait les roulottes aux palaces, dilapidait des fortunes au jeu, disparaissait alors que le public l’attendait. Être fantasque et grand seigneur, il refusait les contingences d’une société qui n’était pas la sienne. Sa musique, cas unique dans le contexte du jazz, est le fruit du mariage de la sensibilité tsigane et de l’influence du jazz des maîtres des années 30 : Eddie Lang, Armstrong, Tatum, Carter, Hawkins, Ellington. Django ne chercha pas à copier les sonorités des guitaristes américains. La sienne reste l’héritage de la tradition tsigane. Au jazz, Django emprunta le principe de l’improvisation en paraphrase et le secret du swing. Sa technique était inimitable, au point que des virtuoses ayant l’usage de leurs dix doigts ont vainement essayé de rejouer les traits étincelants de Django. Là où certains ont cru à un truc, il n’y avait que l’instinct, l’instinct fabuleux de ceux pour qui l’instrument prolonge le corps et qui s’expriment par son intermédiaire mieux qu’ils ne le feraient avec des mots. Django ignorait tout des règles de l’écriture, ce qui ne l’empêchait pas de composer et aussi de concevoir des orchestrations pour grande formation. Il saisissait sa guitare et dictait les diverses parties de l’arrangement : celles des cuivres, celles des anches, des violons. C’est pourquoi il fut toujours associé avec un musicien connaissant l’harmonie : Stéphane Grappelli, Hubert Rostaing, Gérard Levêque ou André Hodeir. Étincelant virtuose, improvisateur intarissable, compositeur original, accompagnateur au swing élégant et inimitable, Django Reinhardt a produit le meilleur de son œuvre au sein du quintette du Hot Club de France, en particulier durant la période 1935-1940, années où il brilla aussi en compagnie de quelques grands solistes noirs. Il reste avec Charlie Christian le plus grand des guitaristes de jazz, mais il ne fut pas un chef d’école, si l’on excepte quelques imitateurs trop fidèles, qui étaient d’ailleurs ses frères et cousins. Exceptionnel résultat de la réception d’un art neuf par un être également neuf à des cultures autres que la sienne, son œuvre, accident génial et sans lendemain, fut méditée par tous les guitaristes.
Le jazz en France sous l’occupation allemande (1940-1944)
Le succès de Django Reinhardt s’inscrit dans le contexte de la soudaine popularité du jazz en France à partir de 1940.
En dépit de l’hostilité Idéologique des régimes nazi et vichyste, malgré l’interdiction (souvent transgressée par le changement des titres anglais) d’utiliser des thèmes de compositeurs israélites, la jeunesse est passionnée de jazz, et une mode vestimentaire, celle des « zazous », accompagnera cette vogue. L’organisation de nombreux concerts, la publication des disques du catalogue swing procurent aux musiciens français de multiples possibilités d’expression, accrues par l’absence de solistes américains. L’école française de jazz s’épanouit avec, comme chefs de file, en dehors de Django Reinhardt, les trompettistes Aimé Barelli et Christian Bellest, le clarinettiste Hubert Rostaing, les saxophonistes Alix Combelle et André Ekyan, les pianistes Léo Chauliac et Jacques Diéval, l’accordéoniste Gus Viseur, les bassistes Lucien Simoens et Emmanuel Soudieux, les batteurs Pierre Fouad, Armand Molinetti et Jerry Mengo, les violonistes Michel Warlop et Claude Laurence (pseudonyme du compositeur et musicologue André Hodeir). Ces musiciens pratiquent une musique influencée par le style « swing » (ou middle jazz) de la fin des années 30 aux États-Unis. Coupés des sources, ils n’évoluent guère et se trouvent, à la Libération, confrontés à la révolution be-bop et à la réaction du New Orleans Revival, ce qui entraînera leur élimination de la scène, qui sera occupée de nouveau par des artistes d’outre-Atlantique.
F. T.
➙ Guitare [les guitaristes de jazz].
C. Delaunay, Django mon frère (Losfeld, 1968).