Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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réalisme (suite)

Stendhal* et surtout Balzac sont alors considérés comme les maîtres du réalisme (Taine), Flaubert et les frères Goncourt* comme ses représentants les plus éminents, avec Charles Barbara, Ernest Feydeau, Hector Malot, Jules Vallès avant la publication des Soirées de Médan (1880), auxquelles contribuent Zola, Maupassant, Huysmans*, Céard, Hennique et Alexis. De fait, ces écrivains ont peu de traits communs, sinon leur désir de représenter la société de leur temps. Flaubert écrit à Tourgueniev le 8 novembre 1877 : « La réalité, selon moi, ne doit être qu’un tremplin. Nos amis sont persuadés qu’à elle seule elle constitue tout l’État ! Ce matérialisme m’indigne, et, presque tous les lundis, j’ai un accès d’irritation en lisant les feuilletons de ce brave Zola. Après les réalistes, nous avons les naturalistes et les impressionnistes. Quel progrès ! Tas de farceurs, qui veulent se faire accroire et nous faire accroire qu’ils ont découvert la Méditerranée ! », ou encore à Maupassant le 25 décembre 1876 : « Henri Monnier n’est pas plus vrai que Racine. » De leur côté, Champfleury et Duranty n’aiment guère Madame Bovary, qui leur paraît trop impersonnelle et manquer de chaleur humaine : « Trop d’étude ne remplace pas la spontanéité qui vient du sentiment », écrit Duranty dans Réalisme à propos du roman de Flaubert. Pourtant, on peut distinguer une tendance commune à tous ces écrivains, et cela non seulement en France : l’œuvre se veut scientifique, « sociologique ». Au manifeste des frères Goncourt : « Aujourd’hui que le roman [...] devient, par l’analyse et la recherche psychologique, l’histoire morale contemporaine [...] » (préface de Germinie Lacerteux, 1865), fait écho la définition de Taine* : « Du roman à la critique et de la critique au roman la distance aujourd’hui n’est pas grande. Si le roman s’emploie à montrer ce que nous sommes, la critique s’emploie à montrer ce que nous avons été. L’un et l’autre sont maintenant une grande enquête sur l’Homme [...] » (1865). C’est ce que prouvent à l’évidence des œuvres comme les Bourgeois de Molinchart de Champfleury (1855), l’Assassinat du Pont-Rouge de Barbara (1855), Madame Bovary (1856), Fanny d’Ernest Feydeau (1858), le Malheur d’Henriette Gérard de Duranty (1860), Germinie Lacerteux des Goncourt (1865), l’Éducation sentimentale (1869), la Belle Madame Dionis d’Hector Malot (1871), l’Enfant de Jules Vallès (1879), les Rougon-Macquart de Zola, les romans de Huysmans et de Maupassant, et, avec plus de fantaisie et de tendresse, le Petit Chose (1868), Jack (1876) d’Alphonse Daudet, qui restera l’auteur d’un terroir (Lettres de mon moulin, 1866 ; Tartarin de Tarascon, 1872). En somme, le réalisme français se tourne vers l’étude de ce qu’on peut appeler les « sciences de l’homme et de son environnement ».


Réalisme pas mort

Les grands adversaires du réalisme ont toujours été les tenants de la littérature d’édification ou d’évasion — pour s’en tenir aux romanciers français du xixe s., des œuvres comme le Roman d’un jeune homme pauvre (1858) d’Octave Feuillet ou le Comte Kostia (1863) de Victor Cherbuliez —, c’est-à-dire une littérature éminemment périssable. On peut avancer, en simplifiant, que tous les grands écrivains ont été réalistes, dans le sens large du terme, puisqu’ils se sont voués à une critique profonde et scrupuleuse de la vie comme ils la voyaient. Au xxe s., Proust, Gide*, Mauriac*, Malraux*, Bernanos*, Aragon*, le « nouveau roman » peuvent se réclamer, à titres divers, du réalisme, aussi bien que Faulkner*, Hemingway* ou Steinbeck*, Virginia Woolf* ou E. M. Forster, Moravia*, Cholokhov*, Bertolt Brecht*... Le terme de réalisme doit donc être utilisé avec une extrême prudence, tant pour caractériser un écrivain que pour dénommer une époque. Dire d’une œuvre d’art qu’elle est réaliste ne mène guère loin si l’on ne définit pas la relation originale qui la lie à la réalité.

J. B.

 Champfleury (J. Husson, dit), le Réalisme (Lévy, 1857 ; nouv. éd., Hermann, 1973). / A. David-Sauvageot, le Réalisme et le naturalisme dans la littérature et dans l’art (Lévy, 1889). / P. Martino, le Roman réaliste sous le second Empire (Hachette, 1913) ; le Naturalisme français, 1870-1895 (A. Colin, 1923). / E. Bouvier, la Bataille réaliste (Fontemoing, 1914). / R. Dumesnil, le Réalisme (J. de Gigord, 1937). / B. Weinberg, French Realism : the Critical Reaction, 1830-1870 (New York, 1937). / E. Auerbach, Mimesis. Dargestellte Wirklichkeit in der abendländischen Literatur (Berne, 1946, 2e éd., 1959 ; trad. fr. Mimesis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, Gallimard, 1969). / G. Lukácz, Essays über Realismus (Berlin, 1948). / H. Levin, The Gates of Horn : a Study of Five French Realists (New York, 1963). / R. Wellek, Concepts of Criticism (New York, 1963). / M. Crouzet, Un méconnu du réalisme : Duranty, 1833-1880 (Nizet, 1965).


Le réalisme dans les arts plastiques

Pour l’historien de l’art, le terme de réalisme, dans son sens strict, s’applique à un courant qui fait son apparition au xixe s., durant les années 40, et dont certaines composantes essentielles cristallisent à l’occasion de la révolution de 1848. Très vite, des tendances parallèles ou des échos directs se manifestent, qui se prolongeront jusqu’à la fin du siècle dans toute l’Europe, aux États-Unis et jusqu’en Russie. Dominé par la personnalité et l’œuvre de Courbet*, le réalisme n’a pas de doctrine précise, sauf celle que lui prêtent des écrivains et des critiques. « Le titre de réaliste, affirme Courbet, m’a été imposé comme on a imposé aux hommes de 1830 le titre de romantiques. »

Le courant réaliste n’en a pas moins marque, à titres divers, toutes les productions de l’époque, infléchissant les survivances du romantisme* et trouvant un prolongement imprévu dans l’impressionnisme*. Il a, d’autre part, dégagé un angle nouveau de vision sur les arts du passé, bousculant définitivement la hiérarchie des genres, mettant au premier rang des peintres jugés jusque-là secondaires (les Espagnols) ou qui avaient complètement sombré dans l’oubli (Vermeer*, les Le Nain*...). Le réalisme allait ainsi se découvrir des précurseurs, voire des garants, dans toute l’histoire de la peinture, qui fut peu à peu entièrement réécrite sous cet éclairage nouveau.