Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Raphaël (suite)

Florence

En s’installant à Florence* en 1504 — il devait y rester quatre ans —, le jeune maître provincial découvrait de nouveaux horizons. Il ne pouvait ignorer ni la tradition du quattrocento ni la présence simultanée de Léonard* de Vinci et de Michel-Ange*. Les compositions monumentales de Fra Bartolomeo (1472-1517) contribuèrent à élargir le champ de ses expériences. Sa production d’alors se ressent de ces courants divers, mais l’humanité de plus en plus profonde qu’elle respire doit déjà tout à une vision personnelle.

La culture florentine imprègne certains petits tableaux au faire raffiné : Saint Michel, Saint Georges (musée du Louvre) ; Saint Georges (National Gallery, Washington) ; le diptyque formé autrefois par le Songe du chevalier (National Gallery, Londres) et les Trois Grâces (musée Condé, Chantilly). Mais Raphaël, à Florence, se consacra surtout à des variations sur le thème de la Madone, en y mettant un accent inimitable de féminité et de tendresse. Parfois seule avec l’Enfant, la Vierge est souvent accompagnée d’autres personnages, souvent aussi placée dans un paysage de tradition ombrienne, lumineux et serein. Les plus célèbres madones florentines de Raphaël sont celles dites du grand-duc (palais Pitti, Florence) et de la maison d’Orléans (musée Condé), la Vierge à la prairie (Kunsthistorisches Museum, Vienne), où le groupe pyramidant s’inspire de la Sainte Anne de Léonard, comme dans la Madone au chardonneret (galerie des Offices, Florence) ou la Belle Jardinière (Louvre). Le thème est aussi au centre de compositions plus ambitieuses, mais clairement articulées, qui l’amplifient en « conversation sacrée » : le retable « Colonna » (Metropolitan Museum, New York), le retable « Ansidei » (National Gallery, Londres), la Madone au baldaquin (palais Pitti). La Mise au tombeau (galerie Borghèse, Rome) est le sujet principal du retable « Baglioni », peint en 1507 pour San Francesco de Pérouse ; on y trouve par exception un style tendu, avec une recherche plastique inspirée de Michel-Ange. La Gloire de la Trinité, fresque peinte à San Severo de Pérouse, est en revanche d’une ampleur paisible qui annonce le Triomphe de l’eucharistie. À la période florentine appartiennent enfin de beaux portraits où l’influence de Léonard est manifeste : la Donna gravida (palais Pitti), Agnolo Doni et Maddalena Doni (ibid.), sur fond de paysage comme la Dame à la licorne (galerie Borghèse).


Rome : les commandes pontificales

Arrivé à Rome en 1508, Raphaël allait y trouver le terrain favorable à l’épanouissement de son génie. Exalté et mûri par la révélation de l’Antiquité, ainsi que par l’exemple de Bramante* et de Michel-Ange, il apparaissait bientôt comme l’artiste le plus capable de traduire en un langage de portée universelle les grands desseins des papes humanistes de la Renaissance ; et d’abord Jules II, qui rêvait de ressusciter la Rome impériale sous la domination spirituelle, temporelle et culturelle de l’Église.

Dans le palais du Vatican, une équipe de peintres siennois et ombriens venait d’entreprendre la décoration de l’appartement situé au-dessus de celui d’Alexandre VI Borgia. Dès 1508, Jules II décida de leur substituer Raphaël, que Bramante avait introduit à la cour pontificale. Ainsi prit naissance, sous le nom de stanze, ou « chambres », du Vatican, le plus célèbre cycle de fresques qui soit dû à l’artiste — et, pour une large part, à son atelier.

La chambre dite « de la Signature » fut peinte de 1509 à 1511, presque entièrement de la main de Raphaël. Cet ensemble, où son art atteint le point d’équilibre et obéit à une inspiration particulièrement élevée, donne forme à un grand projet de l’humanisme, la réconciliation de la culture païenne et de l’idéal chrétien. Parmi des grotesques déjà exécutés par le Sodoma (1477-1549), les quatre médaillons de la voûte contiennent les figures allégoriques de la Théologie, de la Philosophie, de la Poésie et de la Justice, auxquelles se réfèrent les sujets des caissons voisins : le Péché originel, l’Astronomie, Apollon et Marsyas, le Jugement de Salomon. Le thème quadripartite est développé par les grandes fresques cintrées des parois, où l’allégorie fait place à des représentations vivantes. Illustrant la Théologie, le Triomphe de l’eucharistie (célèbre sous l’appellation peu exacte de « Dispute du saint sacrement ») superpose magistralement une zone terrestre, celle de l’Église militante (docteurs, papes et fidèles), et une zone céleste, celle de l’Église triomphante (prophètes, apôtres et saints), dans un espace incurvé où tout converge vers l’ostensoir central. La Philosophie est célébrée par l’École d’Athènes, dont les figures de philosophes et de savants peuplent la perspective majestueuse d’un temple inspiré de Bramante. Pour la Poésie, c’est la composition non moins claire du Parnasse, où les poètes anciens et modernes accompagnent Apollon et les Muses ; pour la Justice enfin, deux scènes : Grégoire IX promulgant les Décrétales et Tribonien remettant les Pandectes à Justinien, séparées par une fenêtre et surmontées d’une représentation allégorique des Vertus.

Peinte de 1511 à 1514, la chambre dite « d’Héliodore » dénote une évolution par rapport à la précédente. Moins idéal, plus historique, comportant même des allusions à la politique pontificale, le thème des parois — les médaillons de la voûte offrant quatre épisodes de l’Ancien Testament — est celui de l’intervention divine en faveur de l’Église. D’autre part, le registre des moyens picturaux s’est étendu : avec la scène, d’Héliodore chassé du Temple (à noter la présence significative de Jules II), c’est le mouvement qui entre en jeu ; avec la Délivrance de saint Pierre, c’est le clair-obscur dans une version nocturne ; avec la Messe de Bolsena, le réalisme, dont témoignent les portraits de dignitaires de la cour pontificale, et la couleur, plus généreusement traitée, sans doute sous l’influence vénitienne ; avec la Rencontre de saint Léon (sous les traits de Léon X, successeur de Jules II) et d’Attila, une nouvelle formule de composition, par masses inégales.