Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

racisme (suite)

Les fondements du racisme

Le racisme est fondé sur une équivoque et une erreur. L’équivoque est d’assimiler la culture* à la biologie. Les conquérants, détenteurs de la force (et d’une vérité révélée), ont toujours cherché l’origine de leur avantage dans une supériorité biologique : la seule qui serait indiscutable et pourrait justifier tous les comportements. Quant à l’erreur, elle tient à l’ambiguïté du concept même de race* humaine : chez l’homme, les races, au sens propre du terme, n’existent pas et n’ont probablement jamais existé.

On connaît des races dans beaucoup d’espèces animales. Leur origine est liée au morcellement géographique d’une population initialement rassemblée dans un même milieu.

Tant que la population est soumise aux mêmes conditions d’environnement, elle a toutes les chances de rester génétiquement stable. Son patrimoine héréditaire, équilibré vis-à-vis des facteurs d’environnement, demeure constant au cours des générations.

L’éparpillement d’une population en plusieurs groupes isolés crée de nouvelles conditions de milieux qui peuvent entraîner une différence de la pression sélective sur chaque groupe. Ainsi, des caractères désavantageux dans le milieu initial peuvent devenir avantageux dans le nouveau milieu. Ils auront tendance à supplanter les caractères ancestraux.

Au bout de plusieurs générations, des groupes de même origine mais vivant dans des écologies différentes présenteront chacun des caractères singuliers, correspondant au tri des facteurs qui étaient doués de la meilleure valeur adaptative.

Ces différences génétiques peuvent devenir assez grandes pour interdire tout croisement entre deux populations, initialement semblables. C’est ainsi que se forment les espèces autonomes.

Si les différences héréditaires ne sont pas suffisantes pour empêcher tout croisement, on dit qu’il s’agit de deux races. Le croisement d’individus appartenant à deux races différentes s’appelle hybridation ou métissage. Les produits obtenus sont des hybrides ou des métis.

Ainsi, entre la divergence qui conduit à la spéciation* et celle qui conduit à la « raciation », il y a non pas différence de nature, mais seulement différence de degré : les animaux de même espèce mais appartenant à des races autonomes sont interféconds ; s’ils appartiennent à deux espèces autonomes, ils sont stériles ou donnent des produits stériles.

Si l’isolement géographique qui a conduit à la diversification de deux groupes disparaît (nouvelle migration, changement géographique), les deux espèces issues d’un groupe ancestral commun peuvent se retrouver et cohabiter : elles n’ont aucune chance de fusion. En revanche, lorsque la divergence en est encore au stade racial, les deux races peuvent se croiser, et l’on trouvera, à côté d’individus appartenant aux deux races parentales, des hybrides présentant des types intermédiaires.

Le processus de raciation suppose donc deux conditions :
— un morcellement géographique de la population, amenant la formation de groupes sur lesquels s’exerceront des pressions sélectives différentes ;
— le maintien de chacun de ces groupes dans un isolement génétique assez strict pour que le processus de la raciation ait le temps de s’imposer. Or, chez l’homme, ces deux conditions n’ont jamais été réalisées.

Les hommes ont occupé très tôt dans leur histoire des niches écologiques très différentes. Mais, grâce au développement de son psychisme, l’être humain est capable d’analyser et de résoudre les problèmes écologiques qui se posent à lui. L’habillement, la tente, l’alimentation des Sahariens favorisent une bonne thermorégulation, tout comme le mode de vie des Esquimaux favorise la lutte contre le froid. On connaît maintenant la valeur adaptative de la plupart des cultures.

Cette adaptation culturelle, fruit d’une volonté délibérée et consciente, l’emporte en vitesse et en précision sur l’adaptation* organique, fruit de la sélection* naturelle. Mis en face d’une nouvelle situation écologique, l’animal n’a de chance de survie que s’il apparaît sous l’effet du hasard des modifications génétiques favorables à cette nouvelle situation. Mais l’apparition de tels caractères est longue et aléatoire. De plus, une nouvelle mutation demande toujours beaucoup de temps pour être diffusée dans toute la population.

Les modifications brutales survenues dans l’environnement sont sans doute responsables de la disparition de bien des espèces qui n’ont pas eu le temps de s’adapter.

On a évoqué chez l’homme l’existence de phénomènes adaptatifs organiques. Le plus classique, c’est celui de la peau noire, qui défendait l’individu contre les rayonnements ultraviolets, particulièrement intenses sous les tropiques. Or, il s’avère que les peaux les plus sombres sont rencontrées en Afrique chez les habitants de la forêt, qui vivent à l’ombre. Quand on monte vers le nord, les peaux s’éclaircissent en même temps que l’ensoleillement augmente. Et cela n’a pas grande importance : les vêtements des Touaregs constituent une protection bien plus efficace contre l’intensité du soleil que les pigments mélaniques cutanés. Dès que l’homme est habillé de manière « adaptée », la couleur de la peau ne constitue plus un avantage sélectif. On pourrait multiplier les exemples de ces fausses adaptations, qui tiennent à des généralisations abusives ou à une vue trop superficielle des faits biologiques.

Initialement, l’adaptation culturelle est le résultat de l’empirisme. Par la suite, elle découle d’une recherche consciente et voulue. La technologie actuelle a permis à l’homme des performances très au-dessus des possibilités de l’adaptation biologique : par exemple, quitter le champ d’attraction terrestre et aller sur la Lune.

Répondant d’une manière de plus en plus ajustée aux contraintes de l’environnement, la culture diminue, puis supprime la sélection naturelle. Elle brise les conditions nécessaires à la raciation. De plus, l’homme est un animal migrateur et sans cesse porté aux mélanges géniques. S’il existe bien des isolats, leur durée n’est jamais très longue : ils éclatent pour aller à leur tour former d’autres groupes. Les populations humaines sont perpétuellement en train de se faire et de se défaire. Une tentative de raciation a dû exister à l’aube de l’humanité, quand les cultures étaient trop primitives pour abaisser notablement la sélection naturelle, qui dut s’arrêter très tôt.

Le concept de race, dans son sens traditionnel, a fini de s’effondrer avec la découverte des marqueurs sanguins. Il s’agit là de substances à contrôle héréditaire, qui sont facilement mises en évidence dans le sang. Les marqueurs les plus typiques sont les groupes sanguins.