Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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psychanalyse (suite)

Cependant, l’histoire des modalités de la cure de psychanalyse demeure fort confuse. Freud, semble-t-il, intervenait lui-même souvent, sur un mode qui semblerait bavard à plus d’un analyste actuel ; les cures duraient quelques mois, alors qu’elles se poursuivent maintenant sur plusieurs années ; les séances pouvaient se succéder à des rythmes rapprochés, alors qu’elles ont tendance actuellement à être plus courtes mais espacées. Enfin, les controverses autour des théories de Jacques Lacan s’accompagnent d’une vive contestation des modalités pratiques qu’il en déduit : séances de durée variable, alors que traditionnellement la séance est de durée fixe, liées à une « ponctuation » du discours. Dans le domaine de la psychanalyse d’enfants, qui s’est beaucoup développé après Freud, Melanie Klein a ouvert la voie à un rapport fondé sur l’interprétation du dessin des enfants, sur les jeux, substituant à un langage parfois difficile d’autres formes d’expression ; le psychanalyste anglais D. W. Winnicott a continué dans cette voie, avec la technique des « squiggles » (gribouillages), où seules s’interprètent, au départ, les ouvertures, les fermetures, les aventures du trait. La « neutralité » analytique ne tient donc pas essentiellement à la distance corporelle, mais à une observance à peu près stricte d’une absence de rapports privés. De plus, pour étayer les règles de la cure, le paiement est obligatoire, voire sacralisé ; il équilibre l’étrangeté du rapport qui s’établit dans la cure et contraint le patient à une prise en charge de son traitement. C’est aussi sur ce point que butent les défenses et les critiques de la cure dans son état actuel. Freud pensait que les soins psychiques, un jour, seraient gratuits, pris en charge par la société ; or, à quelques exceptions près, du moins en France, les tarifs psychanalytiques rendent impossible aux classes défavorisées l’accès à cette thérapeutique.


Psychanalyse et langage

Freud, rencontrant l’hystérie, fonde le premier modèle de la cure. Mais en même temps, il découvre l’importance et l’efficacité du langage, d’une part, et le rôle libérateur du souvenir réactivé, d’autre part. C’est parce qu’elle a pu verbaliser un souvenir, enfoui dans l’oubli, qu’Anna O... a vu dans le même temps disparaître ses troubles. En 1897, Freud montre que le souvenir n’est pas nécessairement le reflet d’une réalité passée : il peut être déformé, sans qu’on puisse établir une chronologie exacte du traumatisme initial. Cette vérité déformée, c’est le fantasme, scénario imaginaire où se montre le désir du patient. Vers la même époque, Freud travaille sur une autre formation psychique où le désir se masque et se dévoile en même temps : c’est le rêve, objet de la monumentale Science des rêves, datée de 1900 par Freud. Il y fait l’analyse de textes, prenant les rêves comme des rébus, comme des formes de langage dont il faut décomposer les éléments pour construire le sens qui se cache sous une apparence absurde. Ainsi, Freud fait ce rêve : « Mon ami R... est mon oncle. J’ai pour lui une grande tendresse ; je vois son visage devant moi un peu changé. Il paraît allongé, on voit très nettement une barbe jaune qui l’encadre. » Les deux processus fondamentaux du rêve sont, dit Freud, le déplacement et la condensation : les mots du texte, dans le rêve, ne sont pas à leur place. Ainsi, l’ami R... et l’oncle se condensent en une seule figure ; ainsi encore, le signe attaché à l’oncle de Freud, personnage louche assez malhonnête, est la faiblesse, qui se déplace de l’un à l’autre. Ce rêve suscite en Freud l’idée d’un autre collègue — R... est collègue de Freud —, qui est poursuivi par la justice : comme l’oncle, comme R... dans le rêve. Freud alors reconnaît son désir, masqué par la fusion absurde entre l’oncle et l’ami : R... et N..., l’autre collègue, ne pourront être nommés professeur, mais Freud, qui n’est ni une tête faible ni un suspect, sera nommé. Là est le désir. Le rêve, bien qu’il soit désigné comme la « voie royale qui mène à l’inconscient », n’est pas le seul élément de langage par lequel l’inconscient se manifeste ; Freud a écrit toute une recherche sur le mécanisme du mot d’esprit ; et le lapsus, sorte de mot d’esprit involontaire, l’acte manqué — trébuchement, oubli, erreur —, équivalent gestuel ou comportemental d’un trébuchement de langage, sont autant de matériaux pour ces multiples dialectes qui sous-tendent le langage « normal ». On comprend comment le travail analytique est essentiellement un travail de langage : sur le divan, il ne se passe que des échanges de paroles, ce pourquoi, selon Freud, l’analyste doit être un homme suffisamment « cultivé » — lettré, dira Lacan — pour entendre les sens patents et manifestes de ce qui lui est dit, mais plus encore le sens latent et caché qui passe à travers les ruses du langage. Dans l’histoire de la théorie psychanalytique, c’est Jacques Lacan qui, sous le mot d’ordre d’un « retour à Freud », a, dès les années 1950, insisté sur la nécessité de pousser plus avant la théorisation du langage dans la psychanalyse. Empruntant des éléments à la rhétorique et à la linguistique, il pose une équivalence, par exemple, entre la métaphore et la condensation, entre la métonymie et le déplacement, ce qui montre que les descriptions scientifiques du langage rejoignent la description de Freud. C’est la notion de signifiant, introduite par Ferdinand de Saussure* et modifiée par Lacan, qui change vraiment la théorie freudienne ; le signifiant est une structure matérielle de langage — une « lettre » — dont l’enchaînement produit le sujet, qui est ainsi le résultat du langage au lieu d’en être le dépositaire et le maître. Ainsi conçu, le rôle du langage dans la psychanalyse s’accompagne d’une critique idéologique de la philosophie du sujet idéaliste, absente de la pensée freudienne, mais importante en France dans les années du structuralisme*.