Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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psychanalyse

Science du psychisme découverte par Freud* et s’énonçant d’abord essentiellement en termes de pratique psychothérapique, puis plus accessoirement en termes de théorie générale de l’homme.


La psychanalyse

Si la psychanalyse a fait scandale à son apparition dans le monde, lorsque Freud parla ouvertement de la sexualité infantile, elle a en un demi-siècle pris une extension stupéfiante, marquée par la publication des œuvres de Freud et de celles de nombreux psychanalystes ; aujourd’hui, particulièrement en France, un psychanalyste connu est aussi un auteur théorique, si bien que le corpus strictement scientifique de la psychanalyse est devenu considérable. Il y a eu également extension de la vulgarisation de la psychanalyse (biographies plus ou moins romancées, films, articles de journaux) et de la pratique psychanalytique, allant, aux États-Unis d’Amérique, jusqu’à l’insertion dans la vie quotidienne de chacun. Enfin, des pratiques dérivées de la psychanalyse se sont développées : psychothérapies, individuelles ou de groupes, psychodrames, interventions dans les hôpitaux et les établissements scolaires. L’installation culturelle de la psychanalyse est maintenant chose faite, et son inscription historique dans le monde occidental semble irréversible. Il faut relever cependant deux questions qui demeurent actuelles, autour desquelles pivote l’avenir de la psychanalyse : son absence, quasi totale, dans les pays socialistes et, d’autre part, l’absence, dans certains pays occidentaux, parmi lesquels la France, d’un statut précis reconnu par la loi ; en France, le psychanalyste n’est pas nécessairement médecin et n’a pas, à proprement parler, une « profession ». La question du statut de la psychanalyse par rapport à la médecine et à la psychiatrie, d’une part, et par rapport à la philosophie, à la littérature et à l’anthropologie, d’autre part, demeure décisive, mais obscure ; elle est l’enjeu, en France, de multiples controverses et suscite depuis quelque temps de nouvelles attaques contre l’œuvre de Freud, qui pourraient marquer un tournant important dans l’histoire des idées.


Genèse de la psychanalyse et de la cure

Dans Ma vie et la psychanalyse (1925), Freud, réfléchissant sur ses propres origines scientifiques, se déclare mû par « une sorte de soif de savoir, mais qui se portait plus sur ce qui touche les relations humaines que sur les objets propres aux sciences naturelles ». Tel est bien le sens de toute l’œuvre de Freud, qui cherchait à fonder une science de la relation, tout en s’appuyant sur un terrain plus proche des sciences de la nature ; car Freud était médecin, et le sol historique de la psychanalyse s’est d’abord défini par rapport à la médecine et à la psychiatrie de l’époque de Freud : problème de neurophysiologie, de structure du cerveau, d’articulation entre le physique et le psychologique, auxquels Freud est toujours demeuré attentif. La psychanalyse actuelle demeure encore en grande partie tributaire de ses origines idéologiques et scientifiques, bien que des travaux comme ceux de Jacques Lacan en France aient renouvelé la théorie freudienne en introduisant, entre physiologique et psychique, l’instance du langage ; mais cette innovation, qui a suscité une scission grave dans le mouvement psychanalytique international, est loin d’être passée dans les mœurs psychanalytiques, et la théorie de la psychanalyse semble avoir pris un sérieux retard par rapport à l’extension considérable de sa pratique.

La formation de Freud rend compte en partie des ambiguïtés de la psychanalyse. Le projet de Freud est une tentative pour fonder une science du psychique, ce pour quoi il travaille pendant six ans à l’Institut de physiologie sous la direction d’Ernst von Brücke, à partir de 1876. Mais il rencontre un obstacle déterminant : ses origines juives lui rendent impossible l’accès à la seule chaire disponible ; pour vivre, et parce qu’il veut se marier, il devient médecin, renonçant à ses recherches sur le neurone, poursuivant cependant celles qui concernent une thérapeutique miraculeuse : la cocaïne, dont il pressent les vertus médicales. On peut dire que ce tournant biographique, avec les implications idéologiques qu’il entraîne, rend nécessaire pour l’homme qu’était Freud une découverte médicale.

C’est au cours d’un voyage à Paris, en 1885, que Freud rencontre l’hystérie, cette maladie qui depuis les origines de la médecine oscille entre la simulation, la possession démoniaque et le trouble organique ; à cette époque, J. M. Charcot fascine des auditoires de médecins, comme autrefois les inquisiteurs autour des sorcières, en manipulant des hystériques qu’il hypnotise, pour montrer la cause psychique de leurs troubles ; de fait, sous hypnose, les désordres apparemment les plus organiques disparaissent, et Charcot précise que l’hystérie touche à la « chose génitale ». En 1889, Freud poursuit ses recherches sur l’hypnose avec H. Bernheim, à Nancy, puis avec Josef Breuer à Vienne. Celui-ci pratique un traitement par l’hypnose et découvre, effrayé, les passions que suscite l’intervention du médecin avec l’amour que lui porte la célèbre Anna O... : c’est ce qui s’appellera, dans le vocabulaire de la psychanalyse, le transfert, forme d’attachement passionnel que le patient transfère sur l’analyste et à travers lequel se conduit le traitement. Mais Breuer abandonne et Freud poursuit, dépouillant la cure par l’hypnose de ses aspects magiques et utilisant simplement le pouvoir de la parole. Freud commence dès lors à établir les premières règles de la cure psychanalytique : rapport privilégié entre médecin et malade, mais préservé des effets érotiques par une neutralité de convention. Le médecin évite les rapports personnels avec son patient ; il se tient assis derrière le divan où celui-ci est allongé et occupe ainsi un lieu à la fois de présence et d’absence où son intervention passe par le seul langage. De plus, Freud instituera plus tard la règle fondamentale, sorte de contrat passé entre le psychanalyste et son analysé dès la première séance : il faut tout dire et ne rien cacher des associations qui traversent l’esprit. Le langage ainsi requis échappe aux règles de la politesse et des codes culturels ; il suit dès lors un développement autonome où se déroule l’histoire inconsciente du sujet.