Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Provence (suite)

L’irruption de Rome fait éclater les structures de l’habitat. Les légions rasent les fortifications des oppidums et tracent, d’autorité, le quadrillage des nouvelles cités autour du cardo et du decumanus. L’apport artistique est décisif. De la campagne romaine aux collines de Provence, les leçons d’architecture de Vitruve* n’ont pas besoin de traduction. Aussi les constructions, civiles ou religieuses, s’y déploient-elles avec faste : pont du Gard, édifices de Nîmes*, d’Arles*, d’Orange, villas de Glanum et de Vaison-la-Romaine... L’art de la Provincia rivalise souvent avec celui de la capitale, et si le modelé de certaines sculptures s’arrondit volontiers d’un peu de rusticité, d’autres formes plus sûres retrouvent, comme la Vénus d’Arles (Paris, Louvre), la plénitude du classicisme grec.

Lorsque Arles devient l’un des centres de l’Empire, au début du ive s., le décor de la vie païenne a vécu ses derniers beaux jours, mais, pour toutes les époques qui vont suivre, son répertoire imposera les références essentielles. Le premier art chrétien naît de cet héritage. Sur les plus anciens sarcophages de la Gaule (tel celui « de la Gayole » à Brignoles), le Christ Bon Pasteur garde des airs de berger d’Arcadie ; dans les baptistères, à Aix, à Riez, à Fréjus, à Venasque, des colonnes antiques échappées à la destruction des temples servent à soutenir les premiers berceaux, les premières coupoles.

À l’âge roman, les rapports avec la religion se sont resserrés ; le maître d’œuvre a assimilé les leçons de l’Antiquité, et une nouvelle mentalité les interprète. Les murs de pierre enchâssent la foi : dans l’ombre des basiliques, Dieu lui-même se garde du soleil ; au-dehors, les arêtes vives partagent sur le ciel son domaine réservé. Les volumes épurés dessinent par décrochements successifs la masse compacte de l’église ou de l’abbaye : la Major de Marseille, Saint-Trophime d’Arles, Saint-Paul-Trois-Châteaux, les abbayes de Sénanque, de Silvacane, du Thoronet. L’art des tailleurs de pierre perfectionne les berceaux en plein cintre, les arcs brisés ; à la croisée du transept, on élève des coupoles sur trompes ou sur pendentifs avec une science si précise de la stéréotomie que la pesenteur paraît oubliée. La puissance de cet art prolongera longtemps ses effets. Vers la fin du xiie s., à Saint-Jean-de-Malte d’Aix, on couvre le vaisseau central de croisées d’ogives à peine plus audacieuses que des voûtes romanes ; les murs encore massifs, les ouvertures modestes préservent la tradition. Comme l’Italie, la Provence ignore les grands élans gothiques. L’art du Nord, y compris celui du domaine royal, trouve peu d’audience.

Au temps du pontificat d’Avignon*, les liens avec l’Italie se resserrent ; Benoît XII et Clément VI font appel à Simone Martini*, à Matteo Giovanetti. Sur les parois des appartements privés, les grandes figures des apôtres se détachent d’un fond d’or étoile, encore médiéval, pour annoncer la Renaissance. Le quattrocento, en Provence, c’est encore Avignon, avec une école de peinture qui produit des œuvres aussi accomplies que la Pietà de Villeneuve-lès-Avignon (Louvre) ; c’est aussi Aix*, où la cour du roi René* se trouve naturellement disposée à suivre les principes de l’art nouveau. L’Antiquité n’est pas une découverte ; elle s’exprime plutôt comme la lente prise de conscience d’un contexte permanent.

Au xvie s., en architecture civile, la mode est à rajeunir les châteaux du Moyen Âge : dans le Luberon, Lourmarin, La Tour-d’Aigues et plus tard Ansouis s’adjoignent d’élégantes façades dont l’ordonnance semble venue de Florence. Bien plus près, cependant, les élévations extérieures du théâtre d’Orange ou des Arènes de Nîmes, avec leurs ordres superposés, proposent aux nouveaux architectes un modèle rythmique tout aussi élaboré. Longtemps, l’architecture vivra sur cette redécouverte.

En plein xviie s., on construit toujours sur ce modèle. Les excès maniéristes surchargent les façades d’un décor un peu gras de mascarons, de frises, de colonnes engagées ; pour supporter le balcon du premier étage, on flanque volontiers les portails d’entrée d’atlantes ou de cariatides inspirés de Pierre Puget*. Mais bientôt, vers 1670, tout change à Aix sous l’impulsion du baroque romain : les structures se dégagent plus virilement du vocabulaire décoratif, et un ordre colossal unique remplace l’ancienne formule à trois étages d’ordres. Entre-temps, l’élégance équilibrée du classicisme parisien n’a guère trouvé d’occasions pour s’épanouir. Dans les villes, l’organisation des nouveaux quartiers se comprend à partir du « cours », de sa fonction de promenade, à pied ou en carrosse ; les fontaines se multiplient, et des jardins sont aménagés, de préférence en terrasses.

Au xviiie s., les plus grandes villes se lancent dans d’importantes entreprises de travaux publics. Conformément à la politique de Louis XV, soucieux d’embellir le royaume, Nîmes, Marseille, Aix, Avignon, Carpentras se distinguent par une série d’aménagements originaux : jardins de la Fontaine à Nîmes, fontaines d’Aix, colline des Doms à Avignon... À la même époque, le goût pour la nature aidant, les plus anciennes familles transforment leurs châteaux ; les autres font construire aux abords des villes des résidences de campagne. Ces bastides trapues, coiffées d’un toit à quatre pans qui repose sur une épaisse génoise en collerette, conservent de la Lombardie ou de la Toscane un parti pris de simplicité. Dissimulée derrière un rideau d’arbres, la façade principale, en pierres ocre, s’élève sur trois niveaux et un attique ; seule la travée centrale se détache du mur nu, soulignée par le travail plus élaboré du portail et du balcon. Tout autour, le jardin recueille la fraîcheur ; on porte un intérêt nouveau aux nymphées, aux pièces d’eau.

Les peintres préfèrent la campagne aux cartons d’ateliers. Joseph Vernet* étudie les éclairages des différentes heures de la journée, François Granet (1775-1849) se souviendra de la leçon, car il arrive de plus en plus fréquemment sur ses esquisses qu’un rayon de lumière, profitant d’une ouverture, vienne éclairer étrangement un détail anodin : un pan de mur, un pli d’étoffe, un vase de fleurs ; aussitôt, la matière se transforme, les volumes s’animent. Plus tard, avec Émile Loubon (1809-1863), Paul Guigou (1834-1871) et Prosper Joseph Gresy (1804-1874), le paysage se personnalise ; admirateurs et amis de Frédéric Mistral, ces peintres mettent à l’honneur la Provence des bergers, des chèvres et de la garrigue. Autour de 1860, il semble que, déjà, l’aventure de l’impressionnisme a été pressentie. Mais l’art de ce pays ne peut être une vision désincarnée : Cézanne* en préservera la substance.

J. B.