Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

protestantisme (suite)

Le Saint-Esprit exégète

Que ce trou existe dans toute l’Écriture, qu’elle soit témoignage et non l’événement lui-même, qu’il y ait en son centre ce vide salutaire, les réformateurs et avec eux les églises protestantes le reconnaissent dans l’action de grâce : dans ce vide va, en quelque sorte, s’engouffrer la liberté de Dieu, ou plus exactement le Saint-Esprit à la fois vivificateur, explicateur et actualisateur du texte écrit. Ainsi l’Église, qui croit dans le Christ, ne saurait aller à l’Écriture que dans une altitude de prière et d’attente : « Veni Creator Spiritus. » Là où Dieu exauce cette prière, la Parole vivante jaillit pour aujourd’hui du texte antique, qui serait mort si l’Esprit, sans cesse, n’en faisait naître l’événement même qui est à l’origine de l’Écriture : la manifestation du Dieu vivant dans l’histoire des hommes. Autrement dit, le croyant ou la communauté qui lit l’Écriture ne déclenche pas automatiquement la Parole actuelle, mais, par le miracle de l’action de l’Esprit, il se passe toujours de nouveau que la Parole retentisse pour ici et maintenant.

Et c’est pourquoi cette modestie de l’Écriture ne l’empêche cependant pas d’occuper dans la vie de l’Eglise une place centrale, celle d’une référence indispensable, celle d’une autorité à nulle autre pareille : certes, elle n’est pas un livre magique, mais, en tout état de cause, le lieu à partir de quoi se produit toujours de nouveau l’événement de la Parole, l’interprétation pour le temps présent d’un texte vieux de plusieurs milliers d’années et que le Saint-Esprit rend actuel pour la vie personnelle et collective des hommes d’aujourd’hui et de demain. Parce que la révélation est la manifestation dans le monde du Christ Serviteur et Seigneur, parce que son règne actuel et à venir est à la mesure de son abaissement, de sa vie humble et dépouillée, de son amour désintéressé, allant jusqu’au sacrifice de la croix, parce qu’il est inauguré dans la gloire de Pâques et de l’Ascension, parce que la publication urbi et orbi en est faite à la Pentecôte, le retour à l’Écriture s’impose constamment ; aussi bien la Parole actuelle ne saurait-elle être fondamentalement autre que la Parole de toujours ; c’est la même, vivante aujourd’hui comme hier, car Dieu est fidèle à soi-même. Il ne saurait se renier. Il ne saurait dire aux hommes de notre temps autre chose que la souveraine plénitude de Son amour vivant dans le Christ Jésus. La fidélité de l’Église à l’Écriture est inscrite dans la fidélité de Dieu à Sa parole. Dans la mesure où sa vocation n’est que d’annoncer aux hommes d’aujourd’hui l’évangile de toujours et chaque instant, dans la mesure où elle ne peut accomplir sa mission qu’en étant constamment entourée de la « grande nuée des témoins » (Hébreux, xii, 1), de tous ceux qui ont attendu le Christ à travers la souffrance et l’espérance d’Israël et de tous ceux qui, à la suite de Jean-Baptiste, ont salué en Lui le Fils promis à Abraham pour vivre en sa présence triomphante et attendre la manifestation de sa gloire, l’Église revient toujours à l’Écriture comme au témoignage central sur lequel sont fondées la continuité et l’audace, la tradition véritable et l’invention permanente de la foi et du service chrétiens.


Écriture et succession apostolique

C’est exactement ce que Paul, l’apôtre, veut dire lorsque, parlant de l’Église, il écrit aux Éphésiens qu’ils ont été édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes, marquant ainsi la continuité apostolique de la foi enracinée dans le témoignage scripturaire et l’actualisation prophétique d’un texte que le Saint-Esprit réanime, en le traduisant et en l’adaptant pour chaque homme et chaque époque (Éphésiens, ii, 20).


Primauté du témoignage apostolique

Il est important de noter que, dans ce texte, le verbe est au passé passif : ce n’est pas l’Église qui fonde l’autorité de l’Écriture ; c’est le témoignage apostolique consigné dans l’Écriture et vivifié par l’Esprit qui fonde l’Église ; ce n’est pas l’Église qui authentifie l’Écriture et lui confère ses lettres de créance, c’est l’Écriture, sans cesse accouchée de la Parole par l’Esprit, qui donne au témoignage actuel de l’Église sa vérité, en le légitimant comme la véritable continuation de l’œuvre apostolique. Ainsi donc l’Église ne fait que recevoir l’Écriture ; c’est en s’y soumettant qu’elle est fidèle à l’événement qui lui a donné naissance : la révélation par le Christ Jésus de l’amour du Père de l’humanité tout entière.

Dans une perspective protestante, la succession apostolique n’est pas liée à une lignée historique des successeurs de Pierre et à ceux qui, par eux ordonnés, forment la hiérarchie de l’Église catholique, participent dans la soumission collégiale à l’infaillibilité pontificale, mais, au-delà de tout juridisme institutionnel, elle est la reprise, à toutes les époques et en tous lieux, de la confession de foi apostolique et de l’apostolat missionnaire du collège des Douze, qui en découle. Comme l’a bien montré Oscar Cullmann (né en 1902), l’exégèse protestante ne conteste pas le rôle primordial de Pierre dans l’histoire de la première Église, mais elle insiste sur le fait que ce qui est essentiel dans l’apôtre c’est la foi qu’il confesse et non la fonction qu’il occupe : celle-ci n’est pas transmissible, c’est celle-là qu’il importe de sans cesse reprendre dans la dynamique de l’action évangélisatrice ; c’est l’Église tout entière, peuple saint, communauté sacerdotale, participant au royal service de son Seigneur, qui succède au collège apostolique en formant chacun des baptisés, chacune des cellules du corps pour le ministère commun de l’évangélisation du monde.


Écriture et confession de foi

C’est aussi l’Église qui, aux périodes critiques de l’histoire, en face des hérésies menaçant l’intégrité de son témoignage, rend compte de sa compréhension de l’Écriture en rédigeant les textes de ses confessions de foi successives : qu’il s’agisse des symboles œcuméniques des premiers siècles, ceux auxquels, avec l’ensemble des autres églises, les communautés de la Réforme se réfèrent constamment, qu’il s’agisse des confessions de foi de la Réforme luthérienne ou calviniste, Confession d’Augsbourg ou Confession « de La Rochelle » par exemple, qu’il s’agisse de textes plus récents, telles la Déclaration théologique de Barmen (1934) — formulée par l’Église confessante allemande en face des erreurs des « chrétiens allemands », parti national-socialiste à l’intérieur des églises protestantes — ou la confession de foi de l’Église de l’Inde du Sud (1947) précisant sa foi au moment de sa constitution par l’union de différentes églises entre elles, chacun de ces textes exprime quelle est, à un moment donné, la compréhension que l’Église ou une église a de l’Écriture : voici comment nous l’entendons dans la situation qui est la nôtre, affirment des conciles, synodes ou conseils d’églises.