Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

art (suite)

La psychologie de l’art

Une discipline particulière appelée psychologie de l’art peut-elle exister ? Le titre donné par Malraux à ses écrits ne doit pas tromper. De quoi devrait-il s’agir en effet ? Faut-il entendre par une telle expression une tentative de prêter à l’œuvre d’art ou à l’« art » tout court un mode d’existence particulier, par une sorte d’anthropomorphisme sans racines ? Il vaut mieux dire qu’il est loisible d’étudier, comme le fait un René Huyghe, les relations existant entre l’art et la pensée collective de chaque époque, et surtout qu’il peut exister une psychologie des artistes, qui relève d’entreprises biographiques ou sociologiques.

Quant à l’investigation de la relation du destinataire à l’œuvre, elle est assurément licite, et d’ailleurs fait l’objet des recherches d’un certain nombre de psychologues ou d’esthéticiens (en France, Robert Francès notamment), groupées sous le nom d’« esthétique* expérimentale ».

La sociologie de l’art

En germe chez Platon, mais véritablement évoquée au xixe s. (Hegel, Taine, Marx), la notion de sociologie de l’art recouvre actuellement plusieurs démarches différentes :
a) sociologie des conditions sociales de la création artistique : rôle de l’État ; mécénat et commande ; art officiel ou pas ; programmes imposés ; observance des liturgies diverses dans l’art sacré ;
b) sociologie des conditions de la consommation artistique : rôle de la mode, du snobisme ; les « groupes-leaders » ; rôle de la publicité, de la propagande ; rôle des institutions (galeries, Salons, concours) ;
c) sociologie de la consommation artistique elle-même : qui consomme quoi, et comment ? ; la fréquentation des musées et des concerts, des bibliothèques ; les itinéraires touristiques ; les ventes et achats d’œuvres d’art ;
d) sociologie de la création artistique, étape la plus difficile à réaliser, mais aussi la plus intéressante : nature de l’idéologie dominante, classes et groupes porteurs de valeurs, nature individuelle ou collective de l’œuvre, contacts entre créateurs et public.

Il n’existe pas actuellement de réalisation de sociologie de l’art qui couvre entièrement, à propos de l’étude d’une œuvre donnée ou de telle école, un programme aussi exhaustif. En France, on signalera en priorité les travaux de Pierre Francastel (1900-1970), premier titulaire, à partir de 1948, de la chaire de sociologie de l’art à l’École pratique des hautes études. Dans le domaine de la peinture, plus spécialement, ces travaux ont constitué une recherche qui mettait en particulier l’accent sur l’étude des commandes et des programmes. Lucien Goldmann (1913-1970), sociologue de la littérature, se pose avant tout, en marxiste, la question fondamentale de savoir « qui est le véritable sujet de la création littéraire, un individu ou un groupe (classe) ? ». Les travaux de Jean Duvignaud (né en 1921) sur le théâtre (le comédien comme « déviant » par rapport à la société) sont également à citer.


Une provisoire conclusion

Nous l’avions dit au début : aucun discours sur l’art ne peut jamais être conclu. Si le faire de l’artiste n’est autre chose qu’une interrogation sur la nature même de l’art, parvenir à une définition de celui-ci serait lui signifier sa mort.

Pas davantage notre réflexion n’aura eu l’ambition d’être « encyclopédique ». Ce qui a été dit à propos de l’art, au cours des siècles, par les auteurs les plus divers s’interrogeant sur lui à titre principal ou occasionnellement, défie l’énumération. Le critère qui a présidé au choix — forcément arbitraire — que nous avons opéré a été de considérer non pas les penseurs ou les systèmes de pensée qui s’étaient donné l’art comme premier objet de réflexion (et que nous appellerons, faute d’un autre terme, des « esthéticiens »), mais trois types de démarches qui prétendent prendre en considération le comportement humain dans son ensemble : les philosophies classiques, qui s’interrogèrent sur la nature et la science, d’une part, les théories matérialistes les plus cohérentes du xixe s. en second lieu (marxisme et psychanalyse), enfin une interprétation « idéaliste », mais surtout humaniste, de notre temps, cette inclination de Malraux vers un monde de la contemplation et non plus de l’action.

Aucune de ces démarches ne nous a donné d’indiscutables définitions de l’art. Pas davantage n’est-il loisible de tenter une quelconque synthèse d’idées si diverses et fondées chacune sur des préalables théoriques entièrement différents. On peut a posteriori décrire ce qu’a été l’activité artistique de groupes humains, mais on ne peut dire exactement pourquoi il s’agissait là d’une activité artistique, et non pas d’une activité voisine, et encore moins porter sur elle un jugement de valeur quelque peu fondé.

On en vient alors à se demander si une telle activité est bien réelle — entendons par là inhérente à la nature humaine autant qu’on le dit —, si elle est inéluctable, si l’« art » en tant que réalité autonome, spécifique, secteur particulier des conduites humaines n’est pas seulement le résultat d’une mutilation plus ou moins accentuée de l’individu, d’origine fort diverse : économique, ou religieuse, ou biologique. Bref, si une véritable libération de l’homme ne passe pas, paradoxalement, par une « abolition de l’art ».

Les prémisses théoriques d’une telle éventualité se trouvent aussi bien chez Freud que chez Marx. On a vu comment, chez le premier, l’activité esthétique est un substitut à une activité autre, d’origine pulsionnelle, et que la répression sociale amène à sublimer. Qu’en serait-il si un type de société non répressive venait à naître, comment le problème de l’art se poserait-il alors ? Dans la mesure où pour Freud une telle hypothèse est absurde, en contradiction complète avec sa description des différentes instances de la personnalité (le ça, le moi, le surmoi), il ne s’est jamais posé la question de savoir ce que deviendrait l’art dans une société où les facteurs névrogènes seraient en cours d’abolition.