Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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prophétisme biblique

Mouvement religieux (xie - ive s. av. J.-C.) animé par des hommes inspirés, parlant au nom du dieu d’Israël, dont ils annoncent les desseins et font connaître les volontés.



Qu’est-ce qu’un prophète ?

Le terme de prophète évoque dans l’usage courant un personnage qui prédit l’avenir. Et on ne fait pas grande différence entre la Pythie de Delphes, la Sibylle de Cumes, Cassandre et Jérémie. Cela résulte d’une vision erronée de l’histoire, non pas seulement pour le prophétisme de la religion d’Israël, mais aussi pour celui des grandes religions de l’humanité. Le mot de prophète (du grec prophêtês, de pro-phanai, parler au nom de) désigne quelqu’un qui parle au nom d’un dieu. Le prophète est donc essentiellement celui qui manifeste la volonté divine. Il est le porte-parole de la divinité tant pour le présent que pour l’avenir.


Histoire du prophétisme biblique

Au cours des xie et xe s. av. J.-C. apparaît en Israël l’un des phénomènes les plus marquants de l’histoire biblique : le mouvement prophétique. Mais s’il atteint chez les Hébreux une haute expression, il n’est pas pour autant un fait isolé : on le retrouve un peu partout dans l’Ancien Orient. Les fouilles de Mari ont apporté un important témoignage sur la diffusion du prophétisme aux xviiie - xviie s. av. J.-C. Les documents égyptiens (dont certains pourraient remonter au xxe s.) révèlent des textes qui, par leur structure, rappellent le schéma classique de la prophétie biblique. Au pays de Canaan, avant l’arrivée des Hébreux, les manifestations prophétiques sont attestées par le journal de voyage d’un fonctionnaire égyptien, Ounamon, venu en Phénicie au xiiie s. pour négocier l’achat de bois de cèdre.

Dans l’histoire du prophétisme en Israël, il faut distinguer deux catégories de prophètes : les prophètes de profession et les prophètes de vocation.


Les prophètes de profession

À la fin de l’époque des Juges, au temps de Samuel (v. 1040), apparaissent des guildes de prophètes vivant à proximité des sanctuaires de Yahvé. Pour établir le contact avec la divinité, ils exécutent au son d’instruments de musique (I Samuel, x, 5-6) des danses frénétiques qui les amènent au délire sacré. Leurs transports extatiques sont tels que leur état devient contagieux au point que les assistants « prophétisent » à leur tour (I Samuel, x, 10-11 ; xix, 20-24). Cela ne va pas sans rappeler les prophètes phéniciens tels que nous les connaissons par les documents archéologiques et par la Bible elle-même (I Rois, xviii, 20-40). L’histoire des religions est riche de faits analogues, des lamas tibétains aux sorciers d’Afrique noire, des bacchantes grecques aux derviches tourneurs de l’islām. Dans l’extase, c’est le dieu qui s’exprime par la bouche des prophètes. De là vient sans doute le nom de nabi par lequel la Bible les désigne. C’est un terme à l’étymologie assez imprécise qui peut signifier « celui qui a été appelé » (par Dieu) ou « celui qui fait jaillir la parole divine » ; les deux sens sont d’ailleurs complémentaires.

Au temps d’Élie et d’Élisée, au ixe s., ces colonies de prophètes s’organisent en associations durables, qui sont nommées écoles de prophètes. Ces confréries sont dirigées par un « père », qui dispense son enseignement aux membres du groupe, les « fils de prophète ». Une marque distinctive les signale, le manteau de poil et la tonsure, objet parfois de moqueries (II Rois, ii, 25). On leur témoigne beaucoup de respect, les rois et le peuple les consultent volontiers sur toutes les difficultés de la vie privée et publique.

Dans ces « écoles de prophètes », il y a le meilleur et le pire : des croyants sincères, voire fanatiques, mais aussi des individus médiocres ou cupides pour qui le prophétisme est un moyen d’existence dont on cherche à tirer le meilleur parti possible ; plus d’un nabi « prophétise » le bonheur et le malheur selon la qualité des présents qui lui sont offerts (Michée, iii, 5 et 11). Malgré ces quelques ombres, il faut dire que les nabis ont été les champions de la religion de Yahvé dans la lutte contre le culte des dieux cananéens et la dégradation morale qui en était la conséquence. Ils disparaîtront dans la tourmente de 587.


Les prophètes de vocation

Si les confréries de prophètes ont contribué pour une part à maintenir la tradition religieuse du peuple d’Israël, c’est à une autre catégorie d’inspirés que la religion de Yahvé doit l’essentiel de son approfondissement. Ils apparaissent au viiie s. Ils n’appartiennent pas à une communauté prophétique, mais ils sont appelés par vocation personnelle et c’est à eux que l’on pense d’abord quand on parle des prophètes bibliques.

La tradition, qui a conservé une plus ou moins grande partie de leurs oracles (d’où le nom qui leur est parfois donné de prophètes-écrivains), les a classés en « grands » et « petits » prophètes. Trois « grands » : Isaïe, Jérémie, Ézéchiel, auxquels la tradition chrétienne a joint Daniel. Douze « petits » : Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahum, Habacuc, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie. Cette classification est tout à fait artificielle. Selon la chronologie, les prophètes doivent être ainsi classés :
— au viiie s., Amos, Osée, Isaïe I, Michée ;
— au viie s. et au début du vie s., Sophonie, Nahum, Habacuc, Jérémie ;
— à la période de l’Exil, Ézéchiel, Isaïe II ;
— au vie s., Aggée, Zacharie, Isaïe III ;
— au ve s., Malachie, Abdias ;
— au ive s., Joël ;
— au iie s., Daniel.

Le livre de Jonas est omis à dessein : c’est par une erreur d’interprétation qu’il a été classé parmi les livres prophétiques. Il est en fait un écrit didactique (v. Bible et Testament [Ancien et Nouveau]).

Quand on lit les oracles prophétiques, il faut penser qu’ils ont d’abord été parlés avant d’être fixés par l’écriture. Mais n’est-ce pas le cas de nombreux écrits de l’Antiquité : les œuvres d’Homère, les discours de Démosthène ou de Cicéron, et même les Évangiles ? Les prophètes sont avant tout des prédicateurs qui composent oralement dans un style rythmé. Il faut aussi tenir compte de l’individualité de chaque prophète. Les centres d’intérêt d’Amos, homme de la campagne, sont bien différents de ceux de l’aristocrate Isaïe. Le contexte politique, le Sitz im Leben, est encore un élément déterminant : Osée assiste à la décadence du royaume du Nord, Isaïe à la crise du royaume de Juda, menacé par l’hégémonie araméenne et assyrienne, Jérémie sera le prophète des années tragiques qui aboutiront au désastre de 587, et Ézéchiel exercera son ministère auprès des exilés de Babylone. Mais ce que les prophètes ont tous en commun, c’est le souci de placer Israël en face de son Dieu et d’affirmer en ces temps de crise politique, sociale, et religieuse la primauté du spirituel.