Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

propergol (suite)

Les diergols

Un diergol est un couple de liquides capables de réagir l’un sur l’autre, avec une vitesse suffisante dans les conditions de température et de pression qui règnent dans une chambre de combustion. Des deux ergols qui forment un diergol, l’un est un comburant, c’est-à-dire un liquide riche en éléments très électronégatifs (oxygène, fluor), et l’autre un combustible. Lorsque la simple mise en contact d’un comburant et d’un combustible suffit à déclencher la combustion, en un temps très court (50 ms ou moins), on dit que la combustion est hypergolique, et on appelle le couple correspondant hypergol ; tel est le cas du couple acide nitrique - aniline. Les hypergols ont l’avantage de ne pas exiger de dispositif particulier d’amorçage dans la chambre à réaction. Le comburant peut être l’oxygène lui-même, à l’état liquéfié à très basse température. Ses composés les plus employés sont le peroxyde d’azote N2O4, liquide bouillant à 21 °C, l’acide nitrique NO3H et une solution de peroxyde d’azote dans de l’acide nitrique, appelée acide nitrique rouge fumant. Le peroxyde d’hydrogène H2O2 sert aussi comme comburant dans certains diergols.

Les ergols combustibles les plus employés sont des hydrocarbures, comme l’essence ordinaire, le kérosène ou l’essence de térébenthine, l’hydrazine avec ses dérivés comme la diméthylhydrazine dissymétrique
H2N—N(CH3)2,
liquide bouillant à 53 °C, et le mélange en parties égales de cette dernière avec l’hydrazine, mélange appelé aérozine, qui réunit les avantages de ses deux constituants en évitant certains de leurs inconvénients. L’alcool éthylique peut aussi servir, et la plupart des composés organiques liquides, spécialement ceux qui sont riches en hydrogène, peuvent être envisagés. Dès 1923, Robert H. Goddard (1882-1945) avait préconisé l’hydrogène liquide ; malgré les sujétions de son emploi, il sert de combustible, avec comme comburant de l’oxygène liquide, dans les fusées « Saturn », car il fournit une impulsion spécifique élevée. L’hydrazine et ses dérivés ont l’avantage d’être hypergoliques à l’égard du peroxyde d’azote et de l’acide nitrique rouge fumant.

Pour chaque couple de comburant et de combustible, il existe un rapport des débits des deux ergols qui procure l’impulsion spécifique maximale ; ce maximum est le plus souvent obtenu en employant un peu moins de comburant que la quantité pour laquelle il y aurait oxydation complète du carbone et de l’hydrogène respectivement en dioxyde de carbone CO2 et en eau. Pour un diergol donné, il y a également une pression optimale de réaction dans le moteur-fusée.

On s’est préoccupé de rechercher des ergols liquides capables de procurer une impulsion spécifique plus élevée que celle des propergols classiques, qui ne dépasse pas 390 s. D’assez nombreux composés ont été proposés et, dans les ouvrages américains, sont souvent appelés, de façon un peu étrange, ergols exotiques. Parmi les comburants figurent les solutions de 30 p. 100 d’ozone dans l’oxygène liquide, le difluorure d’oxygène, le trifluorure et le pentafluorure de chlore ; le fluor seul peut difficilement être envisagé, à cause de nombreuses complications, mais on peut songer à des mélanges liquides de fluor et d’oxygène. Les combustibles capables de procurer une énergie élevée sont des hydrures tels que les boranes, ou des dérivés organiques de métaux légers, lithium, glucinium, magnésium. Tous ces corps, qui sont assez coûteux, n’ont encore fait l’objet que de réalisations à l’échelle expérimentale.


Les propergols solides

La matière des propergols solides est de même nature que celle des poudres composites ou des poudres à double base. La poudre noire elle-même, du temps où elle était la seule substance explosive connue, a servi de propergol ; malgré son impulsion spécifique médiocre (75 s environ), elle permettait de lancer des fusées à quelque distance, comme le furent les fusées de William Congreve (1772-1828), tirées en grand nombre par les Anglais lors de la bataille de Copenhague en 1807. Maintenant encore, elle est utilisée dans les fusées des feux d’artifices, comprimée en forme de cylindre avec un trou axial. Dans les propergols composites modernes, le comburant est le plus souvent du perchlorate d’ammonium, parfois du perchlorate de potassium ou du nitrate d’ammonium. Leur matrice est constituée par une matière polymérisée, telle que le polyuréthanne, ou un élastomère du genre d’un caoutchouc synthétique ; ce dernier permet de faire adhérer le bloc de propergol à la paroi de la chambre de combustion, dans laquelle il est directement coulé. Les propergols à double base, dont la fabrication est comparable à celle des poudres à double base, sont utilisés sous forme de blocs obtenus soit par extrusion quand le diamètre du bloc est relativement faible, soit par coulage dans le cas des gros éléments, dont le diamètre peut dépasser 6 m et la longueur 10 m. Pour augmenter l’impulsion spécifique, on a été conduit à incorporer dans la matière des propergols composites des métaux légers en poudre fine, ou des hydrures de ces métaux.

La différence entre les propergols solides et les poudres propulsives de compositions chimiques analogues réside surtout dans les conditions de fonctionnement et dans les dimensions. Dans les canons, où la pression, à son maximum, dépasse des milliers de bars, la déflagration de la poudre se produit avec une célérité de 50 à 100 mm/s, soit dix à vingt fois plus rapidement que dans un moteur-fusée, où la pression de fonctionnement en régime est comprise entre 40 et 70 bar. Dans ce moteur, la décomposition du propergol peut durer plusieurs minutes ; aussi, un bloc de propergol doit-il avoir des dimensions de 50 à 100 fois plus grandes que celles d’un grain ou d’un brin de poudre.


Les propergols hybrides

Des deux ergols qui constituent un propergol hybride, l’un est un comburant et l’autre un combustible ; le propergol hybride est qualifié de direct si son ergol solide est combustible et d’indirect s’il est comburant. Un exemple de propergol hybride direct est celui dont l’ergol solide est un bloc en polyéthylène, l’ergol liquide étant du peroxyde d’hydrogène (à 60 p. 100 au moins de H2O2). L’ergol solide d’un propergol hybride est placé à l’avance dans la chambre de combustion du moteur-fusée ; l’ergol liquide, contenu dans un réservoir, est injecté, et on peut, en interrompant l’injection, arrêter le fonctionnement du moteur-fusée pour le reprendre ultérieurement. Bien qu’ils aient certains avantages théoriques, comme celui de n’exiger qu’un seul réservoir à liquide, les propergols hybrides se sont relativement peu développés.

L. M.

➙ Déflagration / Fusée / Poudre.

 P. Hagenmuller, les Propergols (Gauthier-Villars, 1966).