Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Prokofiev (Sergueï Sergueïevitch) (suite)

On ne peut rattacher Prokofiev à aucune école. Une partie importante de son œuvre s’apparente cependant au classicisme. Lui-même disait : « Je ne souhaite rien de meilleur, de plus simple et de plus complet que la forme sonate, qui contient tout ce qui est nécessaire au développement de mes idées. » Musique symphonique et musique de chambre emploient abondamment les formes classiques : symphonie, sonate, concerto. Classique, il l’est encore par son goût de la musique pure (il repense symphoniquement ses œuvres dramatiques) et par sa clarté. S’il ressent le choc du Sacre du Printemps de Stravinski dans la Suite scythe, il ne s’y attarde pas, et subit peu l’influence de ses contemporains. Sa musique, franche et volontaire à son image, utilise des thèmes nettement dessinés, simples, diatoniques. On retrouve ceux-ci d’une œuvre à l’autre : la 3e symphonie reprend des mélodies de l’Ange de feu, la 4e symphonie s’inspire des thèmes du Fils prodigue. Le rythme, dynamique, vigoureux, percutant, s’allie à des dissonances nées de l’emploi d’éléments polytonaux, mais le musicien reconnaît qu’il ne faut pas en abuser. Le lyrisme, marque essentielle de son art, tempère ce qu’il a de brutal et se manifeste non seulement dans les œuvres alimentées par un argument dramatique (Siméon Kotko, Guerre et Paix, Roméo et Juliette), mais aussi dans les œuvres de musique pure, en lesquelles il se plaît à juxtaposer des pages d’une grande beauté expressive à d’autres où la violence du propos domine. Ainsi, son œuvre de piano, d’une difficulté transcendante à l’image du virtuose qu’il était, utilise volontiers l’instrument comme une percussion, mais lui confie aussi des moments d’intense expression, voire de délicatesse et de poésie (Visions fugitives). La bouffonnerie, la raillerie attirent le compositeur (Chout, Sarcasmes).

Le ballet met en valeur deux conceptions différentes : le ballet court, qui considère la danse uniquement comme un divertissement (Chout, le Pas d’acier, le Fils prodigue) ; à l’opposé, les ballets longs, écrits après le retour en U. R. S. S., qui octroient une place prépondérante au développement psychologique (Roméo et Juliette). Les opéras s’échelonnent tout au long de la vie de Prokofiev. Il attache une grande importance au livret, qu’il finira par rédiger lui-même (Guerre et Paix, d’après Tolstoï), préférant la prose aux vers. Le drame commande seul les éléments employés, et les personnages s’identifient par le truchement de thèmes conducteurs. C’est avec son œuvre dramatique que le compositeur se révèle le plus profondément russe, continuant l’effort de Moussorgski et de Rimski-Korsakov : près du peuple comme le premier (Siméon Kotko, Guerre et Paix), mais attiré par la féerie comme le second (la Fleur de pierre). Russe, il l’est encore par l’emploi qu’il fait de l’orchestre. Celui-ci, malgré sa densité, reste clair et utilise des timbres savoureux, se détachant sur une trame sonore aérée.

L’agressivité du style de Prokofiev se tempère peu à peu et s’exprime avec plus de simplicité après son retour en U. R. S. S., afin de s’intégrer au mouvement musical de son pays. La diversité de son art, fait de contrastes, le place parmi les compositeurs les plus attachants du début du xxe s.

Les œuvres de Prokofiev

• piano : 9 sonates, 1re (1909), 2e (1912), 3e et 4e (1917), 5e (1923, 2e version 1953), 6e (1940), 7e (1942), 8e (1944), 9e (1947) ; Sarcasmes (1914) ; Visions fugitives (1917) ; Contes de la vieille grand-mère (1918).

• musique de chambre : sonates pour violon seul (1947) ; pour deux violons (1932) ; 2 pour violon et piano (1938-1946 ; 2e, 1943-44) ; pour violoncelle et piano (1949) ; 2 quatuors à cordes, 1er (1930), 2e (1941) ; Scherzo humoristique pour 4 bassons (1912) ; quintette pour hautbois, clarinette, violon, alto et contrebasse (1924, 1re audition 1927) ; Ouverture sur des thèmes juifs pour clarinette, 2 violons, alto, violoncelle et piano (1919).

• musique symphonique : 7 symphonies : Symphonie classique (1917), 2e (1924), 3e (1928), 4e (1930, 2e version 1947), 5e (1944), 6e (1947), 7e (1952) ; suites tirées des ballets Chout (1922), le Pas d’acier (1926), le Fils prodigue (1929), Sur le Borysthène (1933) ; suites tirées de la musique du film Lieutenant Kijé (1934) et de l’opéra l’Amour des trois oranges (1934), Ouverture sur des thèmes juifs (orchestrée en 1934) ; 3 suites du ballet Roméo et Juliette (1936, 1946) ; Pierre et le Loup, conte symphonique pour enfants (1936) ; Ouverture russe (1936) ; Jour d’été, suite symphonique pour les enfants (1941) ; suite tirée de l’opéra Siméon Kotko (1941) ; 3 suites du ballet Cendrillon (1946) ; Rencontre de la Volga avec le Don (1951).

• concertos : 5 pour piano, 1er (1912), 2e (1913, 2e version 1923), 3e (1921), 4e (pour la main gauche, 1931), 5e (1932) ; 2 pour violon (1917, 1935) ; 2 pour violoncelle (1933-1938, 1952), Symphonie concertante (1952), Concertino (1952).

• musique vocale : Cinq mélodies (1925) ; Sept, ils sont sept, cantate pour ténor, chœur et orchestre (1918, 2e version 1933) ; les Chants de nos jours pour soli, chœur et orchestre (1937) ; Alexandre Nevski pour mezzo-soprano, chœur et orchestre (1939) ; la Garde de la paix pour soli, récitants, chœur mixte, chœur de garçons et orchestre (1950).

• opéras : le Joueur (1916 et 1928, créé en 1929), l’Amour des trois oranges (1919, créé en 1921), l’Ange de feu (1927, créé en 1955), Siméon Kotko (1939, créé en 1940), Fiançailles au couvent (1940, créé en 1946), l’Histoire d’un homme véritable (1948), Guerre et Paix (1941-1952, créé en 1955).

• ballets : Chout (1920, créé en 1921), le Pas d’acier (1925, créé en 1927), le Fils prodigue (1928, créé en 1929), Sur le Borysthène (1930, créé en 1932), Roméo et Juliette (1936, créé en 1938), Cendrillon (1940-1944, créé en 1945), la Fleur de pierre (1948-1950, créé en 1954).

• musique de films : Lieutenant Kijé (1933), la Dame de pique (1936), Alexandre Nevski (1938), Un partisan dans les steppes de l’Ukraine (1942), Ivan le Terrible (1942-1945).

Y. de B.