Ars nova (suite)
L’écriture musicale aussi se transforme. On compose, certes, encore à deux ou trois voix (teneur et duplum ; teneur, duplum et triplum), mais une quatrième voix intervient de plus en plus souvent, inférieure à la teneur, utilisant des valeurs du même ordre de durée, et appelée de ce fait « contre-teneur ». Ainsi se constitue le quatuor, qui restera l’idéal sonore jusqu’à l’aube du xviie s.
Les genres tendent à se diversifier. Le motet reste toutefois la forme la plus employée, mais sa structure interne évolue. La phrase grégorienne choisie comme teneur (color) se voit imposer, comme cela se produisait déjà quelque peu à la fin du xiiie s., un découpage arbitraire selon un schéma rythmique permanent (talea). Ainsi modifiée, elle perd toute valeur mélodique et n’est plus qu’un procédé de composition. Ce traitement s’étend ensuite à la contre-teneur, et même aux autres voix. Le motet devient donc une forme complexe et savante, souvent aux dépens de l’expression. On le dit « isorythmique ».
Une même évolution se produit dans le rondeau, dorénavant plus ample et moins simple que ceux d’Adam* de la Halle, mais aussi dans d’autres genres jusque-là monodiques, comme la ballade (qui peut, comme le motet, être pourvue de textes différents pour chaque voix), le lai et le virelai.
C’est d’abord en France que se développent ces techniques nouvelles, en premier lieu au nord de la Loire : deux très grands compositeurs symbolisent cet art et cette époque, Philippe de Vitry et surtout Guillaume de Machaut ; mais il faut ajouter toute une pléiade de musiciens de la génération suivante, que l’on commence aujourd’hui à mieux connaître, comme Baude Cordier, J. Carmen, J. Cesaris, J. S. de Haspre, Solage, etc., dont le maniérisme est très accusé. En second lieu, dans la région d’Avignon : à cause du déplacement du siège de la papauté, cette cité connaît une vie musicale intense, dont les œuvres liturgiques contenues dans les manuscrits d’Apt et d’Ivrée, et destinées sans doute à la chapelle pontificale, fournissent la preuve.
Sous l’influence de la France, l’Italie, qui n’avait jusque-là guère pratiqué que la monodie, s’engage, vers les années 1340, dans la voie de la polyphonie. Choisissant pour les mettre en musique des pièces en vers, madrigaux, ballate, les compositeurs ignorent presque totalement le motet, trop intellectuel sans doute, et écrivent des œuvres à deux ou trois voix seulement, de caractère plus simple, moins heurté, et plus orientées vers la recherche de la grâce mélodique. Ils recourent aussi volontiers à l’emploi de la caccia (chasse) ou canon. La plupart des œuvres nous sont connues par le codex Squarcialupi, qui en contient presque quatre cents, dont plus d’un tiers sont dues au plus grand compositeur du xive s., Francesco Landino (1325-1397). Il faut encore citer Giovanni da Cascia, Iacopo da Bologna, mais aussi quelques musiciens étrangers qui se sont intégrés à cette école, comme Johannes Cigogne, de Liège, connu sous le nom italianisé de Ciconia.
B. G.
M. Schneider, Die Ars nova des xiv. Jahrhunderts in Frankreich und Italien (Wolfenbüttel, 1930). / H. Besseler, Die Musik des Mittelalters und der Renaissance (Potsdam, 1931-1935). / T. Gérold, la Musique au Moyen Âge (Champion, 1933). / L. Schrade, Polyphonic Music of the Fourteenth Century, t. IV (Monaco, 1956-1958). / A. Damerini, Guglielmo de Machaut e « l’Ars Nova » italiana (Florence, 1960).