Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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préhistoire

Le mot préhistoire recouvre deux concepts : il désigne en effet la période chronologique qui débute avec les premiers Hommes pour se terminer avec l’apparition des premiers textes écrits (la préhistoire fait alors place à l’histoire), mais il s’applique aussi à la science qui se propose d’étudier l’activité humaine au cours de cette période.


Pour éviter toute ambiguïté, on précise parfois « temps préhistoriques » dans le premiers cas et « archéologie préhistorique » dans le second. Cependant, le mot préhistoire pris en dehors de tout contexte recouvre le plus souvent la science qui s’attache à retracer l’« histoire sans texte », en se fondant sur l’interprétation des vestiges matériels. En conséquence, les problèmes de la préhistoire sont ceux de l’ethnologie et ses méthodes celles de l’archéologie.


Naissance et évolution de la recherche préhistorique

Les idées médiévales à propos des temps préhistoriques reposent sur la tradition judéo-chrétienne consignée dans la Bible. La Renaissance marque le départ d’un intérêt nouveau pour la haute antiquité de l’Homme. Les humanistes italiens contestent les premiers la conception traditionnelle du monde. Michele Mercati (1541-1593), s’appuyant sur les auteurs latins tels que Pline l’Ancien et Lucrèce, sur la tradition biblique, sur les collections de pierres fossiles du Vatican et sur les objets rapportés d’Amérique et d’Asie par les explorateurs, jette les bases de l’archéologie préhistorique. Il émet l’hypothèse d’une succession d’époques utilisant la pierre, le bronze et le fer. L’œuvre de Mercati, largement diffusée en France, ne manque pas de passionner les érudits. Antoine de Jussieu (1686-1758) écrit son mémoire De l’origine et de l’usage des pierres de foudre (1723), première démonstration archéologique fondée sur la comparaison ethnographique. François Jouannet (1765-1845) parcourt le Périgord et reconnaît l’antériorité des outils taillés sur les outils polis, Jacques Boucher de Perthes (1788-1868) explore la vallée de la Somme et distingue la période « celtique » (Néolithique) et la période « antédiluvienne » (Paléolithique). C’est un Danois, C. J. Thomsen (1788-1865), qui formule explicitement le système des trois âges : pierre, bronze, fer. Il établit la première classification systématique de vestiges préhistoriques dans son Introduction à l’archéologie nordique (1836).

Désormais, la préhistoire est dotée d’un système et peut se prévaloir du statut de science humaine. Les chercheurs vont alors s’attacher à établir la succession chronologique des industries lithiques et à reconnaître les types d’Hominiens auteurs de ces industries. Il convient de citer Édouard Lartet (1801-1871), Gabriel de Mortillet (1821-1898), Edmond Piette (1827-1906), Pierre Teilhard de Chardin* (1881-1955) et surtout Denis Peyrony (1869-1954), qui a étudié les grands sites du Périgord. Cependant, c’est la haute personnalité de l’abbé Henri Breuil (1877-1961) qui domine la première moitié du xxe s. L’abbé Breuil écrit en 1912 un mémoire fondamental : les Subdivisions du Paléolithique supérieur et leur signification. Le Collège de France crée pour lui la chaire de préhistoire (1929). Parcourant l’Europe, l’Asie, l’Afrique, il s’attache à l’étude des industries et de l’art paléolithiques, dont il brosse un ample tableau : Quatre Cents siècles d’art pariétal (1952). Allant de la monographie la plus minutieuse à la synthèse la plus remarquable, son œuvre monumentale reste la base de référence des préhistoriens actuels.


Nature de la recherche préhistorique

La recherche préhistorique comprend trois niveaux : la collecte de vestiges matériels, l’analyse de ces vestiges et leur interprétation. Les deux premiers relèvent de l’archéologie* et de ses méthodes.

La préhistoire, parce que son but est de retracer les modes de vie des sociétés disparues, se pose les problèmes de l’ethnologie. Ces deux disciplines diffèrent par leurs sources et, bien sûr, par le mode d’exploitation de ces sources. L’ethnologue exploite de façon extensive des documents nombreux, le préhistorien exploite de façon intensive des documents rares. D’autre part, en tant qu’ethnographie du passé, la préhistoire apporte à l’anthropologie la dimension diachronique des populations humaines, et, s’il veut rendre compte de l’évolution des sociétés, le préhistorien se heurte à deux problèmes intimement liés : d’abord la classification des objets mettant en évidence les différences culturelles et ensuite la chronologie.


Les documents

Le « fait » auquel est confronté le préhistorien est l’objet et son contexte. L’unité fondamentale d’étude est le site (monticule, cimetière, grotte, etc.), dont la fouille procure les objets qui deviendront le matériel documentaire. La fouille d’un site doit être menée avec soin, car elle constitue une expérience unique, non renouvelable.

L’analyse des faits est le trait d’union entre les sources et leur interprétation ; c’est donc une étape de la recherche tout aussi fondamentale que la collecte des documents. Elle permettra au préhistorien de cerner les traits essentiels, de mettre en évidence des corrélations sur lesquelles il appuiera son interprétation.

La classification des vestiges est un problème crucial en archéologie, car elle repose sur un choix de critères pertinents d’opposition à des fins comparatives : elle constitue la base de toute étude préhistorique. On dispose aujourd’hui de méthodes « sophistiquées », utilisant largement les statistiques pour établir des classes d’objets, mais elles sont souvent viciées à la base par l’observation subjective de l’archéologue. Néanmoins, le préhistorien ne doit pas opérer avec des moyens limités, et les techniques modernes d’analyse associées à la logique mathématique lui apporteront sans aucun doute un atout essentiel dans sa recherche.