Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Portugal (suite)

Dans les années 1960, les courants migratoires se transforment totalement. L’Europe, en plein décollage économique, fait sans cesse appel à des quantités croissantes de main-d’œuvre : 508 000 Portugais ont quitté leur pays entre 1964 et 1969, dont 120 000 en 1966. À cette émigration contrôlée, il faudrait ajouter les émigrants clandestins : 70 000 émigrants légaux en 1969, et sans doute 80 000 clandestins. 180 000 départs ont eu lieu en 1970, 150 000 en 1971.

Désormais, le sud du Portugal est aussi touché ; si, parfois, Setúbal ou Lisbonne constituent une première étape, il arrive souvent que des travailleurs agricoles de l’Alentejo partent directement pour la France ou l’Allemagne. La composition sociale de l’émigration s’est aussi transformée : aux travailleurs agricoles et employés du bâtiment s’ajoutent les ouvriers qualifiés, de petits commerçants et de petits propriétaires. Enfin, les centres d’accueil sont totalement différents. Le Brésil n’accueille désormais que peu d’émigrants ; le principal centre est la France, où l’on comptait en 1970 plus de 480 000 Portugais, groupés essentiellement dans la région parisienne ; depuis 1968, la République fédérale d’Allemagne reçoit de plus en plus d’émigrants, 50 000 en 1970 déjà.

Au siècle dernier, comme l’écrivait Joaquim Pedro de Oliveira Martins, « l’émigration était le baromètre de la vie nationale » ; c’était, en quelque sorte, un mal nécessaire, un correctif utile. Mais, depuis les années 1960, le phénomène a pris une ampleur dramatique, non pas que la misère se fût brusquement accrue, mais parce que, intrinsèquement, la société portugaise était inadaptée dans un monde en mutation.

Cette hémorragie des forces vives — 1 200 000 Portugais vivent à l’étranger, Paris est la troisième ville portugaise après Lisbonne et Porto ! —, même si elle représente un avantage immédiat pour ceux qui sont restés au pays comme en témoignent les hausses des salaires qu’il a fallu consentir, est à long terme une grave menace pour le pays.

J. M.


La révolution de 1974

En février 1974, António Sebastiaño Ribeiro de Spínola (né en 1910), commandant en chef adjoint des forces armées portugaises et ancien gouverneur en Guinée, publie un livre — le Portugal et l’avenir — dans lequel il critique la politique gouvernementale en Afrique et propose une structure fédérale au sein de laquelle les provinces d’outre-mer jouiraient de l’autonomie. Le 12 mars, lui et le chef d’état-major des forces armées, le général Francisco da Costa Gomes, sont destitués. Cette solidarité des deux principaux chefs militaires sur le problème majeur auquel le Portugal se trouve confronté provoque une crise grave et ouvre un conflit entre l’armée et le pouvoir. Dans la nuit du 15 au 16 mars, un régiment se mutine, mais le gouvernement Caetano garde le contrôle de la situation.

Le 19 mars, le général Joaquim Luz Cunha prend les fonctions de chef d’état-major général. Mais, dans les premières heures du 25 avril, plusieurs unités de l’armée se soulèvent ; et un « Mouvement de forces armées » (M. F. A.), dit « mouvement des capitaines », forme une junte présidée par le général A. Ribeiro de Spínola. Tandis que l’amiral Tomás, président de la République, Marcelo Caetano, chef du gouvernement, et plusieurs de ses ministres sont exilés, la junte déclare déchu le régime dictatorial, supprime les polices politiques, libère et amnistie les personnes emprisonnées pour motif politique, garantit toutes les libertés fondamentales, abolit la censure, envisage une politique de désengagement dans les provinces d’outre-mer et annonce la constitution d’un gouvernement provisoire civil, qui sera composé de personnalités représentatives de toutes les tendances politiques (26 avril).

En effet, dès le 15 mai, le général Spínola est nommé président de la République. Le 16 mai, entre en fonctions un gouvernement provisoire présidé par Adelino Palma Carlos, et constitué de ministres et de secrétaires d’État appartenant à divers partis : le parti chrétien progressiste, le parti populaire démocratique, le parti socialiste et le parti communiste. Le socialiste Mario Soares (né en 1924) — exilé à Paris depuis quatre ans — est aux Affaires étrangères et le communiste Avelino Pacheco Gonçalves au ministère du Travail ; Alvaro Cunhal (né en 1915), secrétaire général du parti communiste est ministre d’État. L’Assemblée nationale et la Chambre corporative étant dissoutes, un Conseil d’État composé de militaires membres de la junte et de civils est constitué. Le gouvernement s’engage à présenter une nouvelle loi électorale avant le 15 novembre 1974 : cette loi fixera les modalités des élections à une Assemblée constituante.

En fait, la mise en place du nouveau régime ne s’opère pas sans quelque difficulté. Tout en craignant une contre-offensive de l’extrême droite, en métropole et surtout en Afrique, le général de Spínola s’inquiète des activités de la gauche. En ce qui concerne les territoires d’outremer, il leur offre, le 11 juin, l’autodétermination, puis, poussé par la gauche, qui déplore la lenteur des négociations avec les représentants africains de libération, il se déclare, en juillet-août, prêt à reconnaître la république de Guinée-Bissau, ainsi que le droit à l’autodétermination et à l’indépendance des autres territoires africains.

Ces hésitations et un certain freinage dans l’application de la libéralisation expliquent les obstacles qui surgissent entre le gouvernement et les partis de gauche, d’autant que la situation économique et sociale reste précaire et qu’une campagne anticommuniste se développe dans le pays. Le 9 juillet, le Premier ministre Palma Carlos et quatre de ses ministres « centristes » démissionnent. À la tête du gouvernement est placé le colonel Vasco Gonçalves (né en 1921) : les représentants des partis de gauche disposent dans le nouveau ministère de positions plus solides, mais y figurent aussi trois représentants du « Mouvement des forces armées » ; Mario Soares garde le porte-feuille important des Affaires étrangères (17 juillet). En fait, ce remaniement ministériel illustre un recul du « spinolisme » au profit d’une équipe décidée à appliquer une rapide et authentique démocratisation des institutions, garante d’une décolonisation réelle et efficace.