Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Portugal (suite)

➙ Aviz (dynastie d’) / Bourgogne (dynastie de) / Bragance (dynastie de) / Empire colonial portugais / Espagne / Henri le Navigateur / Lisbonne / Philippe II / Pombal / Porto / Reconquista / Salazar.


Le Portugal contemporain


L’« État nouveau » et la vie politique de 1933 à 1974

L’« État nouveau » corporatiste portugais est établi par une Constitution ratifiée par plébiscite le 19 mars 1933 et mise en application le 11 avril de la même année. Malgré quelques modifications, telles celles de 1935, de 1938, de 1941 ou de 1951 (année qui voit la transformation des colonies en provinces d’outre-mer), elle constitue la base de la vie politique jusqu’à la révolution de 1974. Par rapport à la Constitution républicaine de 1911, elle présente l’originalité d’introduire, à la place du Sénat, une Chambre corporative, représentant les principales activités de la nation.

L’exécutif relève du président de la République, élu pour sept ans par l’ensemble du corps électoral à l’origine, par une assemblée réduite de notables en 1965. Trois présidents se succèdent : le général António Óscar de Fragoso Carmona (1869-1951), de 1928 à 1951, le général Francisco Higino Craveiro Lopes (1894-1964) de 1951 à 1958, et l’amiral Américo Tomás (né en 1894), de 1958 à 1974. Si l’on exclut les décrets de nomination du président du Conseil et les messages à l’Assemblée nationale, toutes les décisions du président de la République doivent être contresignées par le président du Conseil et les ministres compétents. C’est dire que la fonction de président de la République est surtout honorifique et que la réalité du pouvoir appartient au président du Conseil. De 1932 à 1968, António de Oliveira Salazar exerce cette charge ; Marcelo Caetano (né en 1906) lui succédera. Le président de la République choisit le président du Conseil et nomme les ministres que celui-ci lui propose. À côté du président siège un Conseil d’État, organisme consultatif comprenant habituellement 15 membres, dont le président du Conseil, les présidents des deux assemblées et diverses personnalités nommées.

L’Assemblée nationale est élue tous les quatre ans au suffrage direct, mais restreint. Pour être électeur, il faut être portugais de souche, ou naturalisé depuis plus de vingt ans (amendement de 1940), être de sexe masculin (une imprécision de la Constitution a permis aux femmes titulaires de diplômes universitaires de devenir électrices), savoir lire et écrire, à moins de payer plus de 100 escudos d’impôts. Aussi le corps électoral est-il fort réduit, moins de 1 800 000 électeurs en 1969. La Chambre corporative se compose de quelque 185 membres, certains nommés, d’autres membres de droit à titre de représentants des principaux secteurs de la vie du pays. Ils sont mandatés soit par les autorités locales, soit par les principales corporations économiques (agriculture, industrie, pêche et conserveries...) ou morales et culturelles (enseignement, éducation physique et sports...). Siégeant à huis clos, la Chambre corporative est amenée à donner son avis sur les projets de lois.

Un seul parti peut jouer officiellement un rôle : l’Union nationale (União nacional) [devenue en février 1970 l’Action nationale populaire (Acção Nacional Popular)], fondée en 1930 comme unique parti autorisé. Par la Légion portugaise, créée en 1936, et par les Jeunesses portugaises, le gouvernement tient la vie du pays. La censure préalable pèse sur les livres comme sur la presse ; la télévision est monopole d’État. Enfin, toutes les activités sont surveillées par la police politique, qui, malgré les changements d’appellations — P. V. D. E. (Polícia de Vigilância e Defesa do Estado) de 1926 à 1945, P. I. D. E. (Polícia International e Defesa do Estado) jusqu’en 1969 et, ensuite, D. G. S. (Direcção Geral de Segurança) —, voit maintenir et même renforcer ses pouvoirs.

Dans ces conditions, il est difficile à une opposition qui ne peut agir légalement de s’organiser. Si les monarchistes sont tolérés, les autres groupes politiques n’ont pas d’existence légale. La force la mieux structurée est le parti communiste, qui vit dans la clandestinité et est divisé en tendances rivales. Une autre opposition apparaît aussi dès le début du régime ; celle qui se recrute parmi les républicains libéraux et les socialistes. Dans les dernières années de la période salazariste, une nouvelle catégorie d’opposants se manifeste : catholiques libéraux et même « technocrates » politiquement liés au régime mais peu satisfaits de ses réalisations en matière économique.

Cette opposition ne dispose que de deux moyens pour se manifester dans le pays : les campagnes électorales et la violence. Les quatre semaines de campagne électorale permettent aux diverses tendances, regroupées alors dans un front unique, de faire connaître, non sans difficultés, leur point de vue. En 1949, le candidat de l’opposition à la présidence de la République, le général José Nórton de Matos, doit renoncer à aller jusqu’au bout ; il en est de même pour l’amiral Quintão Meireles en 1951. En 1958, la campagne est extrêmement animée, grâce à la forte personnalité du général Humberto Delgado, autour de qui se sont regroupés tous les opposants. Aux élections législatives de 1953, l’opposition ne recueille que peu de voix ; en 1957, comme en 1961 et en 1965, elle doit renoncer à aller jusqu’au bout. Aussi le parti gouvernemental détient-il tous les sièges à l’Assemblée nationale. En 1969, quelques libéraux acceptent de se prêter au jeu et de figurer sur des listes de l’Union nationale ; certains doivent renoncer à leur mandat. En 1973, quelques jours avant les élections législatives, les candidats de l’opposition décident de nouveau de retirer tous leurs candidats en raison des obstacles qui sont mis par le pouvoir à leur campagne électorale.

Le deuxième moyen est la violence. Le calme apparent de la vie politique dissimule en réalité toute une série de complots : véritables putschs militaires ou conjurations visant à éliminer le président du Conseil. En 1946, c’est la tentative du régiment de blindés de Porto ; le 1er janvier 1962, avec le complot de Beja, se déclenche la dernière grande tentative du vivant de Salazar. L’armée elle-même manifeste des réticences à l’égard du régime : ce sont les conjurations de 1959, de 1961, avec le général Júlio Botelho Moniz et, semble-t-il, de 1967. Depuis le détournement de la Santa Maria en 1961 par le capitaine Henrique Galvão, d’autres actions spectaculaires ont été entreprises : hold-up de la banque de Figueira da Foz, ou sabotages dus à l’Action révolutionnaire armée (A. R. A.). L’interdiction des grèves n’empêche pas nombre d’entre elles d’éclater et même de remporter des succès, comme celle des ouvriers agricoles de l’Alentejo en 1962. Malgré la répression, le gouvernement ne parviendra jamais à éliminer totalement l’opposition.