Poète français (Montpellier 1899).
Francis Ponge reçoit une éducation bourgeoise qui le conduit tout naturellement du lycée à l’université. Il échoue à l’oral de l’entrée à l’École normale supérieure et, refusant désormais toute contrainte, décide de se consacrer exclusivement à la poésie. À partir de cette date (1919), il mènera une vie besogneuse, pris entre la nécessité de travailler pour subvenir aux besoins de sa famille (il se marie et exerce successivement la profession d’employé dans des maisons d’éditions, d’assureur et de professeur à l’Alliance française) et l’impératif de sauvegarder les « vingt minutes par soirée » qui lui sont indispensables pour entrer dans son « laboratoire verbal ». Sa première œuvre, Douze Petits Écrits (1926), passe quasi inaperçue, et le Parti pris des choses, qui soulèvera des critiques parfois injurieuses, ne paraît qu’en 1942.
La poésie de Ponge s’efforce de « prendre le monde en réparation », de réhabiliter méthodiquement ce qui le constitue, et plus particulièrement les « choses ». Par l’intermédiaire de ces « choses », prenant délibérément leur « parti », objectivement avec « un-regard-tel-qu’on-le-parle », Ponge veut « s’aboucher au cosmos ». Pour ce faire, « il suffit d’abaisser notre prétention à dominer la nature et élever notre prétention à en faire physiquement partie ». Il s’agit de s’immiscer dans les « trente-sixième dessous », de se frayer un chemin dans ce « monde muet » des objets, qui devient la « seule patrie » du poète. Il s’en veut l’« ambassadeur ».
Pour trouver l’objet tel quel, il se fait lui-même objet, non sans, au préalable, s’être attardé plus particulièrement à l’objet par excellence, à savoir le langage et plus précisément encore, les mots. Le parti également pris pour les mots le conduit à vouloir « redonner force et tenue au langage », à rechercher une équivalence linguistique toujours plus approchée de l’objet appréhendé. C’est ainsi que Ponge rebrousse chemin dans les méandres de l’étymologie, jouant avec les mots et ne craignant pas, par exemple, de créer une parenté scientifiquement suspecte, mais pour lui révélatrice entre « croire » et « croître ». La physiologie du mot, son pouvoir de répercussion sensible, voire sensuelle, importent plus que les significations qui ont pu lui être données. À l’exemple de Lautréamont, Ponge se propose de fonder une « rhétorique nouvelle », s’appliquant d’abord à « résister aux paroles » qui ont été déformées pour être ensuite en mesure de prendre le monde aux mots, réduisant au maximum l’écart qui les sépare.
Mais il ne se contente pas de ce monde-là, des objets et des mots ; ils ne sont que les éléments essentiels fondamentaux d’un projet qui dépasse le poème (la Fabrique du pré, 1971). Celui-ci cherche non seulement à « exprimer », mais à « obtenir ». Quoi ? un homme différent : « Non pas vois-ci l’homme mais veuille l’homme. » Ce qui n’entraîne pas pour autant le poète à prendre parti pour une poésie « engagée ». « Nous travaillons à un renouvellement des esprits mais non en ce qui concerne les rapports sociaux (si quand même) plutôt en ce qui concerne le monde muet. »
L’œuvre de Ponge donne un exemple aux hommes restés à la surface, déroutés par les idéologies bavardes, dont la plus pernicieuse est encore celle de l’absolu, dans laquelle l’homme « malade de nostalgie » se réfugie, subissant, inconscient, le confusionnisme des passions et des sentiments. Elle est un instrument pour apprendre à voir objectivement et à rendre compte avec exactitude. Elle instaure cette « folle rigueur » qui redonne place aux objets, aux mots, tout en laissant une marge suffisante pour que ce qui est à obtenir (un homme avec un « centre de gravité en lui-même ») puisse se dessiner en filigrane.
M. B.
G. Jaeger, Einige Aspekte der Dichtung Francis Ponges (Zurich, 1962). / P. Sollers, Francis Ponge (Seghers, 1963). / E. Walther, Francis Ponge, eine ästhetische Analyse (Cologne et Berlin, 1965). / J. Thibaudeau, Francis Ponge (Gallimard, 1967). / F. Ponge et P. Sollers, Entretiens (Gallimard et Éd. du Seuil, 1970).
Quelques œuvres de Francis Ponge
1961
le Grand Recueil.
1965
Pour un Malherbe.
1967
le Savon.
1971
la Fabrique du pré.