Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pombal (Sebastião José de Carvalho e Melo, marquis de) (suite)

L’œuvre politique

Souvent, c’est l’aspect despotique de sa politique qui est mis en valeur ; l’aspect libéral et novateur, qui n’est pas moins réel, est négligé. Or, dans ce domaine, nombre de mesures importantes ont été prises sur son initiative.

Après avoir interdit la traite à destination du Portugal, Pombal fait décider en 1773 l’affranchissement de tous les esclaves vivant en métropole. Cette même année, un décret interdit la distinction « vieux chrétiens » et « nouveaux chrétiens », mettant, du moins en théorie, un terme à ce grave problème qui se posait depuis les décisions de Manuel Ier (v. Aviz [dynastie d’]) au début du xvie s. Pombal fait établir une législation en faveur des petites gens, d’abord les fermiers des ordres militaires, qui voient leurs baux garantis, puis tous les autres fermiers. En outre, il s’efforce de remodeler totalement l’enseignement. Sous sa présidence, la Junta da Providência literária transforme la vieille université de Coimbra : les programmes sont modifiés pour faire une plus large part aux sciences exactes, et les méthodes d’enseignement sont rénovées. De même, Pombal tente de réformer l’enseignement secondaire et de promouvoir un enseignement primaire. Ces escolas menores relèvent d’une administration propre sous la haute direction de don Manuel do Cenáculo, évêque de Beja, avec son budget particulier, alimenté par un impôt nouveau. Cette réforme de 1772 constitue le premier embryon d’enseignement laïque créé au Portugal ; même si, pour le corps professoral, il est fait largement appel à des clercs, c’est un organisme d’État qui supervise l’ensemble. Quelque huit cents postes de professeurs ou d’instituteurs sont ainsi créés dans le pays.

Mais Pombal a voulu essentiellement renforcer la puissance de l’État, et c’est sous cet angle que certains ont pu l’accuser de dictature. Pourtant, il n’a fait que réaliser le programme de tous les despotes éclairés. Il fallait d’abord restaurer la puissance politique de la monarchie en éliminant ses deux adversaires : la noblesse et l’Église. En 1758, des membres de la haute noblesse, le duc d’Aveiro, les Távoras, furent impliqués dans un complot contre le roi Joseph Ier. Quelques exécutions, l’année suivante, terrorisèrent la noblesse qui ne devait plus bouger.

Contre l’Église, la tâche était plus ardue. Le problème pouvait se poser sur deux plans : tout d’abord dans la vie courante, à cause du poids que représentait le grand nombre de clercs, de la richesse de l’Église et de son influence sur les populations ; puis à un niveau plus élevé : le Portugal était vassal du Saint-Siège, et la jacobeia prônait la soumission du temporel au spirituel. Pombal va surmonter par étapes ces difficultés. Une rupture avec le Saint-Siège permet, dix ans plus tard, de reprendre les relations d’égal à égal et non de vassal à suzerain. La principale force de l’Église, la Compagnie de Jésus, est brisée : abusivement mêlés au complot de la noblesse de 1758, accusés de tous les maux, les Jésuites sont expulsés du Portugal (1759). Le haut clergé local est réduit à l’obéissance. L’affaire du sigillisme permet de discréditer la jacobeia, et ses plus ardents défenseurs, tel don Miguel da Anunciação, évêque de Coimbra, sont emprisonnés ou réduits au silence.

Pour les évêchés vacants ou nouvellement créés, le roi propose des prélats souvent d’origine modeste et dont il a pu apprécier la compétence et le dévouement. Ainsi, plus rien ne s’oppose au régalisme triomphant. Bien mieux, Pombal réussit à enlever à l’Église un de ses pouvoirs : la censure, qui lui conférait la haute main sur toute la vie intellectuelle et spirituelle du pays. L’Inquisition, surveillée depuis 1751, subsiste, mais, en y plaçant ses hommes, Pombal la réduit au rôle de tribunal politique. La censure, qui lui a été enlevée, est confiée à un organisme d’État, la Real mesa censória. Celle-ci remplace les anciennes et multiples censures cléricales, et agit parfois en fonction des intérêts de l’État. Ainsi, l’Église, d’ailleurs transformée par un effort réel de rénovation, est désormais cantonnée dans un rôle purement spirituel et ne peut être une gêne pour le pouvoir.

Mais toute cette politique coûte cher ; réforme de l’enseignement, reconstruction de Lisbonne, réorganisation de l’armée, sans oublier les dépenses de cour. Le principal problème que Pombal a dû affronter est le problème financier ; de là sa politique économique.


La politique économique

Pombal n’est nullement économiste ; toutefois, il s’intéresse à la vie économique en homme des luzes tout d’abord et surtout pour des raisons politiques. À ses yeux, la puissance de l’État passe par la richesse économique. Mais les conditions sont telles que, finalement, le succès obtenu par Pombal reste très relatif.

Pombal manque de moyens financiers suffisants, malgré ses efforts pour organiser une meilleure gestion du Trésor royal. Certes, le Brésil* est jusqu’en 1763 un très gros producteur d’or, mais une bonne partie est détournée au profit des Anglais, et, dans les années 60, les arrivages s’effondrent. Pombal s’efforce de limiter cette ponction et d’accroître la part de l’État par une réforme du système des taxes au Brésil. Les augmentations ou les créations d’impôts au Portugal constituent un palliatif insuffisant, compte tenu des énormes dépenses gouvernementales. Ensuite, Pombal ne peut mobiliser une classe qui l’aurait aidé. L’essentiel de la fortune est entre les mains de la noblesse ou de l’Église, qui n’en font aucun usage valable ; Pombal, leur adversaire sur le plan politique, ne peut escompter aucune aide de leur part. Reste la bourgeoisie, mais, quelques riches négociants de Lisbonne mis à part, son poids est réduit.

D’ailleurs, depuis longtemps, l’esprit d’initiative s’est perdu ; pour lancer des industries, il faut une impulsion gouvernementale, et les éléments les plus dynamiques, tel Jácome Ratton, sont des étrangers. Enfin, une grande politique est limitée par la médiocrité des ressources locales. En métropole, l’économie repose sur la trilogie céréales, vin, élevage. L’élevage permet un artisanat, voire une industrie locale, mais le secteur céréalier est déficitaire, et la commercialisation des vins est entre les mains des Britanniques. Pour être valable, la politique économique doit avoir un prolongement outre-mer ; la redistribution des produits coloniaux, malgré la concurrence française, constitue une source de revenus. Aussi politique économique et politique coloniale sont-elles étroitement liées dans les préoccupations de Pombal.