Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

polymérisation (suite)

Les réactions de polymérisations obéissent souvent à un mécanisme radicalaire et progressent à la façon de réactions en chaînes (v. cinétique) : la phase d’initiation donne naissance à des radicaux libres, qui attaquent les doublets π des liaisons non saturées pour donner de nouveaux radicaux libres, qui, à leur tour, attaquent de nouvelles liaisons π..., assurant ainsi la phase de propagation. Il en est ainsi des polymérisations du chlorure de vinyle, du tétrafluoréthylène (Téflon), du styrène, du nitrile acrylique : toutes sont réalisées en présence de peroxydes minéraux ou organiques, sources de radicaux libres permettant le démarrage des chaînes. L’oxygène moléculaire O2, qui est un biradical, est employé à faible dose, efficace dans certaines polymérisations.

Un mécanisme ionique est, cependant, à considérer pour certaines polymérisations (alcènes, aldéhydes...) ainsi que pour les polycondensations : on constate en effet dans ces cas une action catalytique des acides et des bases (au sens généralisé de Lewis) ; un exemple typique en est fourni par la polycondensation du phénol et du méthanal (formol), qui a donné naissance aux Bakélites : une polycondensation limitée peut s’effectuer en présence d’un acide, mais la Bakélite thermodurcissable est obtenue en présence d’un catalyseur basique, ammoniac par exemple.

En fait, le catalyseur a toujours une grande influence sur les propriétés du polymère. C’est ainsi que l’on doit à Karl Waldemar Ziegler et à Giulio Natta des catalyseurs dits stéréospécifiques, formés d’un complexe de composé organométallique (aluminiumtriéthyle) et d’halogénure d’un métal de transition (chlorure de titane), et qui permettent d’obtenir des polymères isotactiques, par exemple de polypropène, où les radicaux méthyles sont tous disposés du même côté de la chaîne carbonée (fig. 4) ; la régularité stérique, en augmentant la tendance à la cristallisation, améliore les qualités mécaniques et permet en particulier des applications textiles, dont sont dépourvues la variété syndiotactique, où la disposition des groupes méthyles est alternée, et surtout la variété atactique, où elle est aléatoire.

Il convient souvent aussi de limiter la polymérisation à un degré correspondant à la meilleure utilisation du produit : on ajoute alors un limiteur (stoppeur) de chaînes, le diphénol par exemple. Il est également important, suivant la nature du polymère et ses applications, de limiter à l’aide d’un régulateur le nombre des ramifications entre chaînes ou, au contraire, d’augmenter les imbrications et les ponts entre chaînes : c’est en particulier le rôle du soufre dans la vulcanisation du caoutchouc.

Les conditions dans lesquelles s’effectuent les réactions sont assez variées : dans certains cas, le monomère est traité en masse, c’est-à-dire sans adjonction de solvant ; dans d’autres, il est mis en solution ou en suspension dans un liquide, qui est souvent l’eau, ou en émulsion, par addition d’un produit émulsifiant. La température est peu élevée, souvent inférieure à 100 °C ; on doit, le plus souvent, évacuer de la chaleur, car les réactions sont exothermiques. La pression est très variable selon la réaction, suivant même le procédé : du polyéthylène est fabriqué en suspension, par le procédé Ziegler, sous la pression atmosphérique, alors que sa préparation en masse peut demander plusieurs milliers d’atmosphères.

R. D.

 G. Champetier, les Molécules géantes et leurs applications (A. Michel, 1948) ; Chimie macromoléculaire (A. Colin, 1957). / L. R. G. Treloar, Introduction to Polymer Science (Londres, 1970).

polymorphisme

Propriété des substances solides qui, ayant la même composition chimique, diffèrent par leurs propriétés cristallographiques, c’est-à-dire par l’arrangement géométrique des atomes.
Il en résulte une modification de toutes les propriétés et en particulier des formes des cristaux.



Introduction

On connaît de nombreux exemples de polymorphisme. Ainsi, dans le monde des minéraux, on trouve à l’état naturel : la silice cristallisée sous la forme de quartz, de tridymite, de cristobalite, de coésite, de stishovite et de mélanophlogite ; le carbonate de calcium à l’état de calcite, d’aragonite et de vatérite ; l’oxyde de titane sous la forme de rutile, d’anatase ou de brookite. On pourrait multiplier les exemples de minéraux polymorphes et plus encore ceux des composés chimiques préparés au laboratoire. La simplicité de la définition du polymorphisme est plus apparente que réelle. Les analyses montrent le plus souvent de petites différences de composition chimique, et l’on peut supposer que des impuretés, intervenant en faibles quantités, favorisent la cristallisation de l’une des formes. D’autre part, la notion de polymorphisme ne se distingue pas toujours avec netteté de celle d’isomérie*, qui se rapporte à des composés moléculaires de même composition chimique centésimale, mais dont les molécules possèdent des constitutions différentes, de sorte qu’à l’inverse des composés polymorphes les liquides que l’on obtient à partir des solides, soit par dissolution, soit par fusion, se distinguent par leurs propriétés chimiques. La notion d’allotropie, introduite par Berzelius, s’apparente à celle de polymorphisme ; elle est plus restrictive, car on ne l’applique qu’aux éléments chimiques, et elle est, en même temps, plus générale, car on l’étend à toutes les formes solides d’un même élément chimique, cristallisées et amorphes, composées de molécules qui peuvent différer par leur nature ; ainsi, à très basse température, un cristal d’oxygène, avec les molécules O2, n’est pas le polymorphe, mais l’allotrope d’un cristal d’ozone, formé de molécules O3.


Historique

Le premier cas signalé de polymorphisme est celui du carbonate de calcium. L’aragonite était confondue avec l’apatite, phosphate de calcium, quand Martin Klaproth (1743-1817) reconnut en 1788 que sa composition chimique était celle de la calcite. Ce résultat était en désaccord apparent avec les idées de René Just Haüy (1743-1822), qui associait à une même molécule chimique la même « forme primitive » déterminant toutes les propriétés cristallographiques. Puis Eilhard Mitscherlich (1794-1863) démontra que des corps purs, tels le soufre, l’iodure d’argent, le phosphate de sodium, peuvent affecter des formes cristallisées différentes. Le polymorphisme apparaissait jusqu’alors comme le résultat de la cristallisation, jusqu’à ce que Ludwig Frankenheim (1801-1869), puis Otto Lehmann (1855-1922), Ernest Mallard (1833-1894) et G. N. Wyrouboff (1843-1913)... montrent que l’on pouvait passer d’une forme à l’autre par chauffage ; on pensa d’abord que la transformation se faisait à une température déterminée, mais on constata aussitôt de nombreuses exceptions. Mitscherlich avait montré que le soufre, orthorhombique et de couleur jaune clair à la température ordinaire, se transforme, quand on le chauffe, en soufre monoclinique, de teinte jaune-brun. En 1884, Désiré Gernez (1834-1910) précisa que le point de transformation est 95,6 °C ; cependant, on peut maintenir le soufre orthorhombique au-dessus de cette température sans observer la transformation ; celui-ci est dans un état métastable de surchauffe cristalline, qui cesse aussitôt si on le met en contact avec un petit cristal monoclinique. Inversement, le souffre monoclinique peut être amené dans un état métastable de surfusion cristalline en le refroidissant au-dessous de 95,6 °C ; cet état cesse au contact d’un minuscule cristal orthorhombique. Opérant à température bien définie, Gernez mesurait la vitesse de la transformation, la limite des deux soufres étant marquée par la différence de couleur. Cette vitesse, nulle à 95,6 °C, où coexistent les deux phases, croît quand la température diminue, passe par un maximum et s’annule à – 23 °C, que Gernez désigne par température indifférente, au-dessous de laquelle, l’agitation thermique des molécules étant devenue trop faible, les deux sortes de cristaux peuvent coexister indéfiniment (fig. 1). Ces résultats apportaient une explication à l’existence, à la même température et la même pression, de substances polymorphes, comme le diamant et le graphite. La transformation polymorphique, à une température définie, fut vite interprétée comme le passage discontinu de deux phases différentes de la matière solide, semblable à celui du solide au liquide dans le phénomène de fusion. Gustav Tammann montrait, en particulier sur le soufre, que la température de transformation varie dans la pression. Lehmann distinguait les substances énantiomorphes, pour lesquelles la transformation est réversible (soufre), des substances monotropes, caractérisées par l’absence de réversibilité (diamant ou graphite par chauffage). On a rapidement établi des diagrammes d’équilibre en fonction de la température et de la pression, de nombreux cas de polymorphisme.