Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pologne (suite)

Le cinéma polonais

Après avoir perfectionné les recherches — entreprises vers 1880 — de l’ingénieur Piotr Lebiedziński, un jeune inventeur, Kazimierz Prószyński, parvient en 1894 à mettre au point un appareil permettant d’« animer la photographie » : le pléographe. Mais l’invention du cinématographe et son renom immédiat à travers le monde porteront un coup fatal à la commercialisation du pléographe. Cependant, Prószyński continuera à utiliser son appareil pour tourner quelques bandes, notamment des comédies. La première projection cinématographique publique a lieu à Cracovie le 14 novembre 1896. Parmi les pionniers du cinéma polonais, il faut faire une place de choix à Bolesław Matuszewski, l’un des nombreux agents-opérateurs des frères Lumière, qui filme plusieurs événements historiques dans son pays, en Russie, en Grande-Bretagne et en France et publie l’un des premiers essais de synthèse théorique du cinéma en 1898 (Une nouvelle source de l’histoire et la Photographie animée). La production nationale ne se développe cependant au début du xxe s. qu’assez lentement. Le premier studio polonais ne s’ouvrira qu’en 1910. Un homme va peu à peu conquérir le monopole de l’industrie cinématographique dès avant la Première Guerre mondiale : Aleksander Hertz, directeur de la firme Sfinks, producteur et réalisateur. À cette époque, les films étaient pour la plupart des adaptations d’œuvres littéraires célèbres (une tradition qui sera d’ailleurs respectée ultérieurement), subissaient l’influence des « films d’art » français et étaient interprétés par des acteurs de théâtre réputés. C’est à Hertz que l’on doit la découverte de Pola Negri, qui fit ses débuts en 1914 sous la direction de J. Pawłowski avant de se produire dans différents films mis en scène par Hertz lui-même, et d’une autre vedette qui deviendra très populaire dans son pays, Jadwiga Smosarska. Films patriotiques (souvent antibolcheviques), comédies sentimentales déferleront sur les écrans après la guerre. Edward Puchalski avait été l’un des réalisateurs les plus actifs dans les années 10, cinq ou six cinéastes marqueront les années 20 : Wiktor Biegański (Jalousie, 1922 ; le Gouffre de l’expiation, 1922 ; l’Idole, 1923 et surtout les Vampires de Varsovie, 1925), Leon Trystan (l’Amante de Szamota, 1927 ; la Révolte du sang et du fer, 1927), Henryk Szaro (le Bouffon rouge, 1926), Juliusz Gardan (les Points sur les i, 1928 ; la Beauté de la vie, 1930), Ryszard Ordyński (le Légionnaire de Cracovie, 1928 ; Messire Thadée, 1928) et Józef Lejtes (l’Ouragan, 1928). C’est vers 1928-1930 que débutent également Aleksander Ford, Leonard Buczkowski et Eugeniusz Cękalski.

La révolution du film sonore atteint la Pologne (qui se débat au milieu d’une crise économique) avec un certain retard. Médiocres adaptations des œuvres « classiques » de S. Żeromski, de H. Sienkiewicz, de Gabríela Zapolska, comédies banales qui pastichent René Clair ou Grigori V. Aleksandrov, le niveau du cinéma polonais au début du parlant n’a que peu d’ambitions artistiques. Tandis que seuls Lejtes (les Champs sauvages, 1932) et Gardan (Condamné à vivre, 1934 ; Halka, 1937) parviennent à signer des œuvres plus personnelles et que Michał Waszyński règne sur le film musical et la comédie commerciale, une petite organisation fondée par un groupe d’étudiants en 1929 (l’Association des amateurs du film artistique [« Start »]) se transforme rapidement en un centre important d’influence culturelle. Les idées du groupe « Start » sont reprises en 1935 par la Coopérative des réalisateurs de films. On retrouve parmi les animateurs de ces mouvements culturels Eugeniusz Cękalski, Wanda Jakubowska, Stanisław Wohl, Jerzy Zarzycki, Aleksander Ford, Jerzy Bossak, Jerzy Toeplitz, Tadeusz Kowalski, soit la plupart de ceux qui détiendront les rênes du cinéma polonais après la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs courts métrages expérimentaux et d’avant-garde sont également entrepris dans un esprit de recherche qui tente de s’opposer à la vogue d’un cinéma de pure consommation (notamment certains films de Stefan et Franciszka Themerson, de Jalu Kurek).

Aleksander Ford (la Légion de la rue, 1932 ; Sabra, 1933 ; Gens de la Vistule, 1936) apparaît dès avant la guerre comme le réalisateur le plus doué. Pendant les hostilités, Ford fonde en 1943, au moment où se forment des unités militaires polonaises en U. R. S. S., un groupe cinématographique qui tournera de nombreuses bandes d’actualités et des documentaires d’un grand intérêt sur les événements tragiques qui se déroulent alors en Pologne. Lorsque le 13 novembre 1945 l’Office national du film (Film Polski) est créé à Łódź, on en confie tout naturellement la direction à Aleksander Ford. Parallèlement, Antoni Bohdziewicz est placé à la tête de l’Institut du cinéma de Cracovie (1945-1947), institut dont l’École du cinéma de Łódź (avec à sa tête Jerzy Toeplitz) assurera le relais. Les premiers films importants de l’après-guerre sont dus à Aleksander Ford (La vérité n’a pas de frontières, 1949 ; la Jeunesse de Chopin, 1952 ; les Cinq de la rue Barska, 1954), Wanda Jakubowska (la Dernière Étape, 1948, qui aura une carrière internationale), Leonard Buczkowski (Chansons interdites, 1947). Parmi les autres réalisateurs actifs, citons Jerzy Zarzycki, Jan Rybkowski, Antoni Bohdziewicz. La plupart des films prennent pour sujet la guerre, la résistance du peuple polonais et son courage devant l’adversité. Petit à petit, suivant en cela un phénomène que l’on retrouve dans toutes les démocraties populaires, le réalisme socialiste impose son schématisme rigide et oblige les réalisateurs à sacrifier au culte du héros positif. De 1949 à 1954, peu de films échappent au carcan d’une idéologie étouffante et manichéenne. La production reste faible (4 films en 1950, 2 en 1951, 4 en 1952, 3 en 1953) et ne remontera qu’à partir de 1954 (10 films). Un très profond changement survient en 1954-1956. Il affecte non seulement les structures mêmes de l’industrie cinématographique, mais aussi la mentalité même des cinéastes, qui se voient confier par l’État la direction de plusieurs groupes de production (ces groupes seront d’abord six, puis huit, [Kadr, Start, Studio, Rytm, Kamera, Iluzjon, Droga et Syrena] à partir de 1959) ; chacun a à sa tête un réalisateur et un conseiller littéraire et artistique.

Un climat propice permet tout d’abord un net accroissement de la production, une amélioration artistique et technique des films en tournage et surtout l’éclosion de talents nouveaux qui apparaissent à cette époque comme de véritables pionniers dans les pays d’Europe centrale, où la déstalinisation dans le domaine artistique est assez lente.