Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pologne (suite)

Szymanowski, qui joua dans la musique de son pays un rôle comparable à celui de Bartók en Hongrie, nous conduit de plain-pied à l’époque contemporaine, coupée en deux moitiés violemment contrastées par la césure des événements politiques de 1956. L’immédiat avant-guerre vit fleurir un néo-classicisme d’orientation française, roussélienne notamment, ou encore stravinskiste. Simultanément, certains aînés poursuivaient dans la lignée d’un postromantisme folklorisant. Cette dernière tendance fut encouragée au détriment de toutes les autres entre 1945 et 1956 par les autorités, soucieuses de mettre la Pologne au pas du « réalisme socialiste ». L’« Octobre polonais » de 1956 ouvrit toutes grandes à l’Occident les portes d’un pays dont les compositeurs ignoraient tout, jusque-là, des recherches de l’école viennoise, d’E. Varèse, du dernier Stravinski, pour ne pas même mentionner le sérialisme de P. Boulez, de K. Stockhausen ou de L. Nono. Jeunes et aînés, tous les compositeurs polonais se retrouvaient au même point : ce fut l’année zéro de la musique d’avant-garde polonaise. Tournant le dos au folklore des Tatras, les musiciens se ruèrent vers le studio électronique de Varsovie, l’un des premiers d’Europe, et brûlèrent dès lors les étapes. En peu d’années, ils prirent à leur tour la tête de l’avant-garde européenne, notamment avec l’apparition soudaine de K. Penderecki. L’école polonaise d’aujourd’hui frappe par l’abondance des talents, y compris dans la plus jeune génération ; le refus, d’emblée, d’un certain esprit spéculatif et cérébral, la fidélité, au contraire, à la spontanéité et à la vigueur expressive du tempérament national expliquent la miraculeuse réussite d’une école qui ne le cède actuellement à aucune du point de vue de la fécondité et du prestige international. Les jeunes musiciens polonais avaient eu, il est vrai, la chance rare d’avoir parmi eux un grand aîné et guide, dont la carrière créatrice reflète fidèlement les étapes et vicissitudes que nous venons d’évoquer : Witold Lutosławski* (né en 1913) domine de sa haute stature la musique polonaise d’aujourd’hui. Mais il convient de ne pas oublier quelques-uns de ses aînés, tels que Stanisław Wiechowicz (1893-1963), Bolesław Woytowicz (né en 1899), Kazimierz Sikorski (né en 1895) et Artur Malawski (1904-1957), qui furent les maîtres de la nouvelle génération et dont le dernier nommé, au moins, fut un grand compositeur. Parmi les doyens de la vie musicale polonaise d’aujourd’hui, le cas de Bolesław Szabelski (né en 1896) est particulièrement remarquable : malgré son âge, il sut prendre avec beaucoup de naturel le grand tournant de 1956 et s’adapter avec un rare bonheur aux techniques d’écriture les plus avancées. Tel ne fut point le cas des compositeurs demeurés fidèles à l’idéal néo-classique, Roman Palester (né en 1907), Antoni Szałowski (1907-1973), Michał Spisak (1914-1965), Andrzej Panufnik (né en 1914) et Stanisław Skrowaczewski (né en 1923). Paradoxalement, ce furent eux qui choisirent l’exil durant l’époque stalinienne ! Parmi les contemporains de Lutosławski, on citera encore Zbigniew Turski (né en 1908), Witold Rudziński (né en 1913) et surtout l’éminente Grażyna Bacewicz (1913-1969), qui laisse une œuvre d’une qualité et d’une abondance rares. La présence fréquente de femmes parmi les compositeurs polonais est d’ailleurs l’un des traits les plus originaux de cette école, ainsi qu’en témoignent, entre autres, Krystyna Moszumańska-Nazar (née en 1924), Bernadette Matuszczak et la jeune Joanna Bruzdowicz (née en 1943), fixée à Paris.

À la suite de Lutosławski, les grands chefs de file de l’école polonaise actuelle sont Kazimierz Serocki (né en 1922), tempérament puissant de symphoniste, Tadeusz Baird (né en 1928), lyrique intime, élégiaque, rêveur et raffiné dans l’héritage de son quasi-homonyme Alban Berg, et Henryk Mikołaj Górecki (né en 1933), solitaire, inclassable, cultivant actuellement une sorte de néo-primitivisme d’une force d’expression bouleversante (Musique ancienne polonaise, Ad Matrem, Deuxième Symphonie) après s’être affirmé comme le plus intrépide, peut-être, des avant-gardistes polonais (Genesis, Scontri). Cependant, la renommée internationale de Krzysztof Penderecki* (né en 1933) éclipse largement celle de ses émules. Il importe cependant de ne pas oublier les nombreux et talentueux artistes grâce auxquels la musique polonaise d’aujourd’hui forme véritablement une école : parmi les contemporains de Serocki, Andrzej Dobrowolski (né en 1921), Włodzimierz Kotoński (né en 1925) et Bogusław Schäffer (né en 1929) ont consacré une grande partie de leur activité à la musique électro-acoustique. Dans la génération moyenne, on trouve des personnalités aussi diverses que celles d’Augustyn Bloch (né en 1929), Witold Szalonek (né en 1927), Leoncjusz Ciuciura (né en 1936), Wojciech Kilar (né en 1932) et Zbigniew Bujarski (né en 1933). Parmi les plus jeunes, Zbigniew Rudziński (né en 1935), Marek Stachowski (né en 1936), Zygmunt Krauze (né en 1938) et Tomasz Sikorski (né en 1939) se sont déjà affirmés par des œuvres de maîtrise, cependant qu’Edward Bogusławski (né en 1940), Piotr Warzecha (né en 1941), Krzysztof Meyer (né en 1943) et Jan Oleszkowicz (né en 1946) témoignent de la vitalité intacte de la création musicale polonaise.

Aucun pays au monde, sans doute, ne possède un public aussi ouvert à la musique d’avant-garde. Cet intérêt est entretenu par de nombreuses et excellentes revues musicales, par un enseignement très large et compétent, par l’activité de nombreux orchestres symphoniques (Varsovie, Cracovie, Katowice, Poznań) auxquels font appel les festivals de musique contemporaine de toute l’Europe, enfin par le fameux festival d’automne de Varsovie, l’un des plus riches et des plus passionnants du monde, où compositeurs polonais et étrangers peuvent confronter chaque année leurs productions les plus récentes en présence d’un public nombreux et passionné.

H. H.

 H. Opienski, la Musique polonaise (Geuthner et Wolff, 1929). / C. H. Kellogg, Paderewski (New York, 1956). / Z. Lissa, « la Musique en Pologne », dans la Musique sous la dir. de N. Dufourcq (Larousse, 1965 ; 2 vol.). / J. Erhardt, la Musique en Pologne (Interpress, Varsovie, 1975).