Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pologne (suite)

La Constitution du 17 mars 1921, inspirée des institutions françaises, a ouvert une période de violentes luttes politiques et d’instabilité gouvernementale. Battue aux élections présidentielles de novembre 1922 (au président Gabriel Narutowicz, assassiné quelques jours après son entrée en fonction, succède Stanisław Wojciechowski, tous deux vieux socialistes), la droite mène la majorité conservatrice de la diète, qui freine l’application de la loi sur le partage des grands domaines, votée quand l’armée rouge marchait sur Varsovie. L’inflation catastrophique suscite des grèves sanglantes. Les adversaires du régime parlementaire dénoncent l’incurie, en particulier Piłsudski, qui se démet de ses fonctions. Władysław Grabski, qui cumule de 1923 à 1925 la présidence du Conseil et le ministère des Finances, obtient des pouvoirs exceptionnels pour juguler la crise financière et recourt à la dévaluation (création du złoty, de la Banque de Pologne, 1924), puis à la déflation. Mais l’industrie, qui souffre du bas niveau de vie du pays et demeure incapable d’absorber la main-d’œuvre des campagnes surpeuplées, perd ainsi la prime à l’exportation. En 1925, la situation empire encore ; la nouvelle loi agraire déçoit, car elle préserve en fait la grande propriété, ce bastion du polonisme dans les confins orientaux. Le mécontentement populaire permet à Piłsudski de réussir un coup d’État militaire (12-14 mai 1926) au nom de l’assainissement de la vie politique (d’où le nom de « sanacja » donné à son camp).


De la « démocratie incomplète » au « fascisme incomplet »

Piłsudski renforce par personne interposée le pouvoir exécutif (le président Ignacy Mościcki [1867-1946] est son ami personnel) et dirige effectivement le pays pendant neuf ans. Son régime utilise la confiance des capitaux (prêt américain en 1927) et une conjoncture très favorable pour restaurer l’économie et satisfaire la fierté nationale par de grandes réalisations (le port de Gdynia, créé avec l’aide de la France). Mais la crise économique atteint durement le pays. En 1932, la production industrielle diminue de moitié par rapport à 1929 ; sur 1 800 000 ouvriers, on compte 780 000 chômeurs. La constitution adoptée le 23 avril 1935, peu avant la mort du maréchal, introduit un régime présidentiel de type autoritaire (« le président, autorité suprême de l’État, porte la responsabilité de ses destinées devant Dieu et devant l’histoire »). En fait, Mościcki doit s’effacer devant « les colonels » : le général Felicjan Składkowski, le colonel Józef Beck, qui poussent à la tête de l’armée le général Edward Rydz-Śmigły, promu maréchal de Pologne. Malgré les pressions du bloc gouvernemental, qui fait presque figure de parti unique, un plébiscite du silence condamne le régime (54 p. 100 d’abstentions en 1935) ; l’opposition relève la tête. La forte concentration industrielle a grossi les effectifs d’un prolétariat combatif. Aux manifestations violentes des villes s’ajoutent de grandes grèves de paysans (1936-37). Les diverses tendances de gauche se rapprochent sur l’initiative du parti communiste, dont l’action est brutalement interrompue par l’épuration ordonnée par Staline, suivie de sa dissolution par le Komintern (1938).

Dans un pays où plus des deux tiers de la population sont des paysans, le problème essentiel reste celui de la répartition des terres. Le lotissement effectué a surtout renforcé la paysannerie aisée, mais 20 p. 100 des ruraux possèdent encore moins de 2 ha, et 40 p. 100 n’ont point de terre. Les minorités nationales se plaignent de discriminations culturelles et économiques. La politique antisémite du gouvernement sape davantage encore la cohésion morale du pays.


Sécurité précaire

La Pologne restaurée entre l’Allemagne vaincue et la Russie bolchevique n’est qu’un pion sur l’échiquier des vainqueurs. Pièce maîtresse des « alliances de revers » de la France (accords de 1921), inféodée aux puissances occidentales par les investissements industriels, menacée par le relèvement de l’Allemagne, elle se trouve bientôt dans une situation dépendante sans être assurée d’une protection suffisante (silence du pacte de Locarno sur les frontières germano-polonaises, 1925). La montée du nazisme conduit Piłsudski à se garantir du côté soviétique (traité de non-agression en 1932, reconduit en 1934 pour dix ans). Le projet de pacte à quatre (1933) lui fait craindre que la Pologne ne fasse les frais d’un accord entre les puissances et l’Allemagne : le colonel Beck, successeur d’August Zaleski aux Affaires étrangères depuis novembre 1932, le pousse à obtenir une garantie analogue du côté germanique (pacte de non-agression pour dix ans, 26 janv. 1934). Cet accord est très mal vu en France, et la « politique de Beck » irrite plus encore Paris par son rapprochement avec l’Allemagne, son hostilité au pacte franco-soviétique (il fait savoir que la Pologne n’autorisera jamais les troupes de l’U. R. S. S. à traverser son territoire) et son animosité à l’égard de la Tchécoslovaquie, sur laquelle Beck espère détourner l’orage. Il profite de la crise de Munich pour mobiliser, et contraindre Prague à céder à son pays la partie tchécoslovaque de la Silésie de Teschen (Cieszyn). Mais la Tchécoslovaquie à peine annexée, Hitler somme la Pologne et prétexte de la garantie offerte par la Grande-Bretagne et la France pour dénoncer le pacte germano-polonais (avr. 1939). Par l’accord militaire conclu en mai, la France assure son aide aux Polonais en cas d’agression allemande, mais la convention politique qui la conditionne ne sera signée que le 4 septembre. L’échec des négociations anglo-françaises avec l’U. R. S. S. aboutit à la conclusion du pacte germano-soviétique (23 août), dont l’annexe secrète (son existence est niée par les historiens des pays de l’Est) partage la Pologne en zones d’influence respectives. À l’aube du 1er septembre 1939, sans déclaration de guerre, les armées allemandes attaquent la Pologne.