Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Platon (suite)

Restent vingt-huit ouvrages considérés comme authentiques. Tous sont des dialogues, genre qui est incontestablement lié à l’enseignement de Socrate (bien qu’ils n’aient pas été conservés, la tradition nous signale d’ailleurs des « dialogues socratiques » qui auraient eu pour auteurs Antisthène, Aristippe, Eschine, Euclide le Socratique, Phédon, etc.). Socrate n’en est pourtant pas toujours le personnage central (ainsi dans le Sophiste, le Politique et le Timée) ; dans les Lois, il est même complètement absent. Contrairement à ce qu’avaient essayé d’établir au début de ce siècle J. Burnet et A. E. Taylor, on ne pense plus que ces dialogues aient une quelconque valeur documentaire pour nous renseigner sur ce que furent la vie et la philosophie de Socrate : trop d’anachronismes, trop d’inventions évidentes s’y rencontrent. D’ailleurs, une tradition, dont Diogène Laërce s’est fait l’écho, rapporte que Socrate, ayant eu connaissance du texte du Lysis, se serait étonné de ce que Platon lui faisait dire.

Fondée sur une étude stylistique et sur des statistiques verbales (Lewis Campbell [1867] et Wilhelm Dittenberger [1881]), une classification des dialogues en trois groupes à peu près chronologiques est aujourd’hui communément admise.

• Le premier groupe, celui des dialogues de jeunesse, c’est-à-dire des dialogues proprement socratiques, comprend tout ce que Platon a écrit avant d’entreprendre ses voyages (390), soit l’Hippias mineur (Du mensonge), l’Hippias majeur (Du beau), l’Ion (Sur l’Iliade), le Protagoras (Sur les sophistes), l’Apologie de Socrate, le Criton (Du devoir), l’Alcibiade (De la nature de l’homme), le Charmide (De la sagesse), le Lachès (Du courage), le Lysis (De l’amitié), l’Euthyphron (De la piété), le Gorgias (De la rhétorique) et le livre premier de la République, qui, avant de servir de préface à ce gros ouvrage, aurait constitué, sous le titre de Thrasymaque, un dialogue indépendant.

• Les dialogues de la maturité, liés plus à l’enseignement de l’Académie qu’au souvenir de Socrate, forment un second groupe, qui s’achève au moment du deuxième séjour de Platon à Syracuse (361). Ils comprennent le Ménexène (De l’oraison funèbre), le Ménon (De la vertu), l’Euthydème (De l’éristique), le Cratyle (De la justesse des noms), le Banquet (De l’amour), le Phédon (De l’âme), la République (De la justice), le Phèdre (De la beauté). Sont à rattacher à ce groupe deux dialogues où Platon critique l’éléatisme de l’école socratique de Mégare : le Théétète (De la science) et le Parménide (Des idées).

• Enfin le groupe des derniers dialogues comprend le Sophiste (De l’être), le Politique (De la royauté), le Timée (De la nature), le Critias (De l’Atlantide), qui est inachevé, le Philèbe (Du plaisir) et les Lois (De la législation).


La philosophie

La forme dialoguée que Platon a donnée à ses écrits ne trouve pas sa justification dans le seul souvenir des entretiens que Socrate avait animés ; elle est également liée — au-delà de l’anecdote — à la méthode pédagogique que Platon présente comme l’héritage philosophique de Socrate, le « maïeute », l’accoucheur des esprits. Art, comme on l’a dit, de « penser à deux », cette méthode porte le nom de dialectique, par opposition à la « sophistique » de ceux dont le souci majeur de Platon fut de se distinguer.

Par opposition aux sophistes, qui ne voyaient dans le dialogue qu’une joute oratoire, qu’un combat de monologues dont la fin se limitait à réduire l’adversaire au silence, le dialogue platonicien vise, en effet, à permettre aux participants d’accorder leurs discours à la vérité. Les sophistes, tels du moins que Platon les peint, sont des « réalistes » pour qui compte seule la réussite et qui ne s’embarrassent pas de scrupule concernant les valeurs : l’homme, disait Protagoras, est la mesure de toute chose. Le platonisme, au contraire, affirme la transcendance de la mesure. Et ce n’est pas à cause de la difficulté des sujets abordés, mais parce que leurs mauvaises dispositions les conduit à rejeter cette transcendance sans laquelle le mot vérité n’a plus aucun sens que les sophistes font se terminer sur une aporie la plupart des dialogues auxquels ils participent.

Celui qui parle ne saurait donner la mesure : il ne peut que s’y soumettre. Le dialogue platonicien est une sorte d’entretien sans maître, le savant (sophistês) n’y a pas sa place, et l’on n’y fait profession que d’ignorance, profession qui constitue le moment inaugural de la philosophie en tant qu’elle est amour (philia), donc désir, donc manque du savoir (sophia). Mais d’un savoir qui soit savoir vrai, alors que celui des sophistes, étant dissocié de la vérité, n’est qu’apparent. Le sophiste ne désire pas savoir, il désire vendre ce qu’il fait passer pour son savoir. Si le moteur du discours sophistique est financier, celui du dialogue platonicien est érotique : ce désir du vrai dans lequel Platon montre, en même temps que la vérité de tout désir, le vrai désir. C’est là ce que, d’après le récit du Banquet, Diotime aurait appris à Socrate : « La sagesse est parmi les plus belles choses et c’est au beau qu’Amour rapporte son amour ; d’où il suit que forcément Amour est philosophe. » Cette opposition historique et méthodologique de Platon et des sophistes redouble l’opposition de deux mondes (sensible et intelligible), qui constitue l’armature du système platonicien.

Les sophistes ont partie liée avec les « philodoxes », avec les amis des apparences et de l’opinion, dont les discours reposent sur la connaissance sensible des choses matérielles. La philosophie, au contraire, sera essentiellement paradoxale, opposant la réalité aux apparences et la science aux opinions. En conséquence, le dialogue platonicien sera chaque fois une tentative pour sortir hors de la multiplicité des apparences, pour accéder à la réalité intelligible.