Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pise (suite)

Le défi pisan

Pise apparaît alors comme une très grande ville d’Occident par le nombre de ses habitants (12 000 à 15 000 hab. environ). Mais c’est peu pourtant pour armer la flotte, pour fournir les hommes nécessaires à l’administration et à la défense d’un véritable empire colonial qui comprend : un quartier concédé par Alexis Ier Comnène à Constantinople en 1111 ; des établissements à Antioche (le quartier Saint-Sauveur), à Laodicée (le quartier de l’église Saint-Nicolas), à Jaffa, à Tyr, à Ascalon et, après les premiers revers des croisés, à Acre et à Tripoli (agrandis ou largement privilégiés respectivement en 1182 et en 1187) ; trois « fondachi » en Égypte, les plus anciens à Alexandrie et à Damiette, le dernier au Caire au moins dès 1153 ; des comptoirs en Afrique du Nord à Bône, Tripoli, Sfax et Bougie ; enfin de petites colonies à Narbonne, Nice, Arles, Saint-Gilles, Montpellier et Fréjus, à Salerne, à Gaète, à Messine et surtout à Naples, de même qu’une loggia à Gênes.

Privilégiés en outre dans les postes catalans, disposant par ailleurs grâce à la politique archiépiscopale de solides bases en Corse et en Sardaigne, bénéficiant enfin à la fin du xie s. du brutal déclin d’Amalfi, déclin qu’ils parachèvent par deux raids destructeurs en 1135 et en 1137, les Pisans contrôlent au xiie s. un important trafic d’importation des produits d’Extrême-Orient (épices, soie), d’Orient (coton, sucres), d’Afrique du Nord (cuirs au xiie s., laine au xiiie s.), compensé par des exportations de bois, de fer et de peaux fort appréciés des musulmans. Cette prospérité commerciale, qui est concrétisée par le privilège de 1139 par lequel l’empereur accorde aux Pisans le droit d’émettre une monnaie ayant cours dans tout le bassin méditerranéen, est en réalité menacée par l’ensablement du port de Pise ; celui-ci doit transférer après 1162 l’essentiel de ses activités maritimes à Porto Pisano. Mais elle est aussi menacée par les ambitions de Lucques, qui lui conteste la possession de la Garfagnana, de la Lunigiana, de la Versilia, et par celles de Gênes*, avec laquelle elle entre en conflit à plusieurs reprises. Elle perd ainsi au terme d’une première guerre la Corse septentrionale (1119-1133), mais réussit à sauver l’essentiel de son contrôle sur la Sardaigne en 1165 à l’issue d’un autre conflit (1140-1149), qui a repris en 1162 à la suite de l’incendie du quartier génois de Constantinople par les Pisans, lesquels secourent les Florentins tandis que les Lucquois appuient leurs adversaires. Imposée par le pape — qui veut contraindre les chrétiens à unir leurs forces contre Saladin, qui vient de leur reprendre Jérusalem en 1187 —, la paix pisano-génoise de 1188 n’est en fait qu’une trêve, rompue dès 1194.

Jusqu’à la fin du xiie s., Pise surmonte tous ces dangers grâce à l’appui constant de Frédéric Ier Barberousse et de ses successeurs ; cet appui est consacré par le diplôme du 6 avril 1162 qui autorise Pise à exclure de tous les ports de la côte les marchands des villes qui lui sont hostiles. En outre, cet acte lui permet d’étendre son contrôle jusqu’à Empoli à l’est, jusqu’à Porto Ercole au sud et lui accorde enfin en fief la moitié de Naples, Salerne, Messine, Palerme, la totalité de Gaète, Mazara et Trapani ainsi que le droit de commercer dans tout l’Empire.


Grandeur et décadence

La ville soutient son négoce international grâce à la diversification des activités artisanales de ses habitants, qui travaillent dans les constructions navales (fabri), dans la fabrication et la revente de drogues (spezarii), dans le conditionnement et la redistribution des matières tinctoriales, dans le travail des laines locales ou maghrébines, dans celui des peaux et fourrures de Russie importées via Constantinople (pelletiers, fourreurs). Désireux de défendre leurs intérêts matériels, ces artisans se groupent à la fin du xiie s. en corps de métier (arti), à l’exception des commerçants en gros, qui, dès 1162, sont administrés par 4 ou 5 consules mercatorum pisanorum désignés par les consuls de la commune pour en constituer le tribunal de commerce.

En fait, l’intensité de la vie commerciale, la multiplicité des contrats et les litiges qui en résultent ont favorisé dès la fin du xie s. le foisonnement des praticiens du droit — notaires et avocats — et par contrecoup depuis le milieu du xie s. l’enseignement de cette discipline, qu’illustre au xiie s. l’un des plus célèbres juristes du Moyen Âge : Burgundio de Pise († 1193). Celui-ci rapporte de Constantinople des Pandectes, aidant ainsi à la renaissance du droit romain tout en l’adaptant aux nécessités du monde des affaires du xiie s. Ainsi se trouve favorisé l’éveil de Pise à une vie intellectuelle intense qui s’épanouit au début du xiiie s. grâce à Leonardo Fibonacci († v. 1240), dont le Liber abbaci, composé en 1202, livre à l’Occident chrétien, par le relais arabe, les secrets de l’univers mathématique des Indiens (numération de position, zéro et chiffres dits à tort « arabes », théorie des nombres entiers et des fractions, règle de trois, racines). Mais, affaiblie par des rivalités internes qui opposent marchands et chefs d’atelier aux milieux dirigeants traditionnels, contrainte de ce fait d’accepter la présence à la tête de la ville d’un podestat qui la gouverne d’abord conjointement avec les consuls (1191-1218), puis seul (1218-1254), Pise n’est plus capable par ailleurs de s’imposer seule à l’heure où un nouvel ennemi la menace : Florence, qui triomphe en 1222 d’une coalition qui l’unit pourtant à Arezzo et à Sienne. Attaquée simultanément sur terre et sur mer par Florence, Lucques et Gênes, elle remporte un ultime succès pour le camp gibelin lorsque sa flotte arraisonne en 1241 les navires génois qui transportent à Rome les cardinaux qui doivent condamner Frédéric II.

Mais, privé de tout appui extérieur par la mort de cet empereur, vaincu par la coalition guelfe qui, de 1251 à 1256, unit contre Pise les forces de Florence, Gênes et Lucques, qui amputent la ville d’une partie de son contado, le régime aristocratique s’effondre au profit de celui du peuple (1254-1284), au sein duquel l’ordo maris (armateurs) et l’ordo mercatorum (marchands) doivent désormais partager l’autorité avec les arts, dont l’organisation est doublée par celle des sociétés d’armes créées sur la base des quartiers. En fait, ce régime ne survit pas à la défaite de la Meloria, par laquelle Gênes abat à jamais la puissance navale pisane en 1284. Privée de milliers d’hommes qui achèvent leur vie dans les prisons génoises, victime de nombreuses crises intérieures dont la plus célèbre est marquée par la prise du pouvoir par l’ambitieux Ugolino della Gherardesca, décimée par la malaria, amputée de ses bases maritimes par Gênes, soumise à plusieurs reprises au xive s. au régime de la seigneurie personnelle, Pise est finalement annexée par Florence en 1406 ainsi que son avant-port Porto Pisano en 1421, tandis que ses hommes d’affaires se réfugient en Sicile.

Sous-préfecture du département de la Méditerranée en 1808, dotée de l’École normale supérieure italienne en 1813 par Napoléon Ier, Pise est devenue au xxe s. l’un des principaux foyers de la vie intellectuelle de la péninsule.