Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pie IX (suite)

Le pontificat de Pie IX est marqué par la multiplication des instituts religieux (enseignants et hospitaliers surtout), le rétablissement en plusieurs pays (en France notamment) des ordres monastiques et par l’essor des œuvres de charité et de dévotion, qui couvrent le monde chrétien d’un réseau serré. Le culte du Sacré Cœur (Paray-le-Monial) et celui de la Vierge (apparitions de Lourdes en 1858) connaissent un regain que renforcent les pèlerinages.

Mais on peut déplorer un certain manque de formation scientifique du clergé de l’époque. L’apologétique, assez superficielle, se trouve sans force devant la montée du laïcisme, du positivisme, du scientisme, de l’indifférence religieuse. Le règne de Pie IX correspond aussi à la montée d’un prolétariat qui sera rapidement attiré par le socialisme et l’internationalisme. Face à cette marée, Pie IX adopte une attitude de fermeté, voire d’intransigeance. Dans l’encyclique Quanta cura (8 déc. 1864), il condamne, en termes indignés, les principales erreurs contemporaines : rationalisme, naturalisme, gallicanisme, étatisme, socialisme. Y est annexé un catalogue de 80 propositions jugées inacceptables : le Syllabus.

Les huit dernières années de Pie IX se passent dans une captivité volontaire. Le gouvernement italien, maître de Rome obtient bien du Parlement, le 13 mai 1871, la loi dite « des garanties pontificales » : le pape la rejette et proteste contre elle à la face du monde. C’est en prisonnier qu’il meurt le 7 février 1878.

Le Syllabus

Acte pontifical publié le 8 décembre 1864, par ordre de Pie IX, à la suite de l’encyclique Quanta cura. Son titre complet (Syllabus complectens praecipuos nostrae aetatis errores...) est : Recueil renfermant les principales erreurs de notre temps qui sont notées dans les allocutions consistoriales, encycliques et autres lettres apostoliques de Notre Très Saint-Père le pape Pie IX.

L’idée d’un Syllabus est dans l’air depuis le début du règne de Pie IX, dont les sympathies réformistes — manifestées dans les premiers mois de son pontificat — n’impliquent aucune concession à l’idéologie libérale. Déjà, en 1849, le futur Léon XIII (Gioacchino Pecci), alors archevêque de Pérouse, avait proposé aux pères du concile provincial de Spolète qu’une commission pontificale groupât en tableau très lisible toutes les erreurs contemporaines, le rationalisme en tête. Le projet fut relancé, en 1852, par La Civiltà Cattolica : cette fois, Pie IX prit l’idée à son compte et chargea le cardinal Fornari de consulter plusieurs prélats et laïques — Louis Veuillot fut de ces privilégiés — sur l’« état intellectuel de la société ». Là-dessus, une commission romaine se mit au travail.

Or, le 23 juillet 1860, Mgr Philippe Olympe Gerbet (1798-1864), évêque de Perpignan, publie une Instruction pastorale sur diverses erreurs du temps présent accompagnée d’un catalogue de quatre-vingt-cinq propositions condamnables. Pie IX décide que ce travail servirait de cadre aux travaux des théologiens romains. Si bien que, en 1862, le pape est en mesure de remettre aux trois cents évêques présents à Rome pour la canonisation des martyrs japonais un catalogue de soixante et une propositions que la plupart des prélats, consultés à titre confidentiel, semblent avoir approuvé. Mais Pie IX ne peut donner au document la publicité désirée, le texte en ayant été indiscrètement publié par un hebdomadaire anticlérical de Turin, Il Mediatore. Ce n’est qu’en 1864 que Pie IX se décide à affronter l’opinion séculière en publiant un Syllabus contenant quatre-vingts propositions.

Divers événements de l’année 1863 incitent le pontife — homme d’autre part extrêmement émotif — à passer outre aux objections des prudents. En février, c’est la publication de la Vie de Jésus de Renan, qui provoque un scandale immense dans les milieux catholiques et atteint Pie IX en plein cœur. En avril, au congrès catholique de Malines, le fougueux Montalembert* défend avec enthousiasme la cause des libertés modernes, s’attirant les foudres de l’évêque de Poitiers, Mgr Louis Pie (1815-1880), et un blâme discret de Pie IX. En septembre, le congrès de Munich permet au progressiste Ignaz von Döllinger d’exposer devant les catholiques allemands ses idées sur l’abus de la scolastique et sur la philosophie moderne considérée comme la base normale d’une saine théologie : Pie IX blâme les congressistes. Et, devant le désarroi des chrétiens, la division des catholiques, la confiance sereine de l’« intelligentsia » occidentale dans la raison adversaire de la foi, la pape croit bon de faire entendre sa voix.

L’encyclique Quanta cura du 8 décembre 1864 condamne les principales erreurs modernes — libéralisme, rationalisme, gallicanisme, étatisme, socialisme, naturalisme —, mais le style solennel de l’acte, peu accessible au commun, en limite les répercussions. Il n’en est pas de même du recueil annexé à l’encyclique, le Syllabus, catalogue de quatre-vingts courtes propositions condamnées par Pie IX en des interventions antérieures et formulant, en termes incisifs, les erreurs du temps : positivisme, rationalisme, panthéisme, indifférence religieuse, socialisme, athéisme, mépris du Saint-Siège, franc-maçonnerie. Ce que le pape vise essentiellement c’est le libéralisme moderne sous toutes ses formes, même religieuses.

Peu original quant à son contenu, le Syllabus a été, de tous les actes pontificaux du xixe s. le plus célèbre et le plus discuté. Il a été brandi par mille adversaires acharnés à le présenter soit comme le dernier mot de l’obscurantisme romain, soit comme la conclusion lumineuse de l’enseignement séculaire de l’Église catholique.

Les réactions immédiates furent vives, en France notamment. Le 1er janvier 1865 expédiant aux évêques de France une circulaire sévère, Jules Baroche, ministre des Cultes, interdit la publication et la lecture publique de la partie dogmatique de l’encyclique Quanta cura et du Syllabus. La réaction du corps épiscopal fut immédiate : la plupart des évêques protestèrent avec véhémence auprès du ministre, et beaucoup rendirent publique leur réponse. Deux d’entre eux, l’archevêque de Besançon, Mgr Jacques Mathieu, et l’évêque de Moulins, Mgr de Dreux-Brézé (1811-1893), ayant lu les documents pontificaux dans la chaire de leur cathédrale, furent déférés comme d’abus au Conseil d’État.