Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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piano (suite)

Jusqu’en 1802, la plupart des sonates de Beethoven* sont encore écrites pour clavecin ou pianoforte, mais elles seraient plutôt conçues pour celui-ci, comme le prouvent les indications de pédales portées sur la partition de l’op. 27 no 2. Beethoven renouvelle la technique pianistique par la dimension orchestrale qu’il confère progressivement à ses œuvres : effets dynamiques, recherches de timbres, rôle important dévolu à la main gauche, utilisation simultanée des registres extrêmes. À son intention, le facteur Andreas Streicher (1761-1833) ajoute une deuxième table de résonance à ses pianos pour en accroître la sonorité, et c’est également à la demande de Beethoven qu’en 1816 il porte la tessiture de l’instrument à six octaves et demie.

Aux côtés de Beethoven, mais avec des moyens très différents, Carl Maria von Weber* et Franz Schubert* achèvent d’ouvrir la voie au piano romantique. Tandis que Weber met principalement l’accent sur la technique instrumentale, qu’il dote d’effets nouveaux (trémolos de la sonate en la bémol), Schubert crée un univers poétique où la sonorité tient une place primordiale, où l’accompagnement et le chant forment un tout expressif, avec des registres et des nuances parfaitement équilibrés.


La facture et le style pianistique depuis le romantisme jusqu’à nos jours

Après l’invention du double échappement, la mécanique du piano a acquis une souplesse de fonctionnement que seuls des détails de mise au point perfectionneront. Les efforts des facteurs tendent à améliorer toujours davantage la qualité et l’amplitude de la sonorité.

La facture germanique se développe grâce, notamment, à Ignaz Bösendorfer, à Ehrbar, à Johannes Adolph Ibach, à Schiedmayer et à Lorenz. Établi en 1853 à Berlin, Carl Bechstein conquiert une juste renommée. Application des expériences acoustiques de Julius Blüthner, le système de l’« aliquot » comprend deux séries de cordes placées l’une au-dessus de l’autre, la seconde série étant accordée à l’octave supérieure et résonnant sympathiquement.

Tandis que diverses maisons, dont Brinsmead et Chappen & Co., maintiennent la réputation de la facture anglaise, l’industrie américaine commence à se développer au xixe s. Alpheus Babcock, à qui l’on doit le cadre de fer fondu d’une seule pièce (1825), crée avec Benjamin Crehorne l’école de Boston. Jonas Chickering, dont les établissements sont fondés en 1823, améliore la construction du châssis métallique. Heinrich Engelhard Steinweg s’installe en Amérique avec ses fils en 1850 et crée en 1853 la firme Steinway and Sons. Il met au point un grand piano de concert, où il introduit la pédale de prolongation inventée par Claude Montal en 1862. Des succursales sont fondées à Londres et à Hambourg. De très nombreux facteurs américains donnent une grande extension à l’industrie et au commerce du piano. Parmi eux mentionnons Stodart et James Gray, Baldwin, Tremaine, Bush, Lindeman, John Henry Schomacker, Knabe, Fisher, Haine, Mason et Hamlin, Mathushek, Alfred Dolge et Kimball.

En France, le piano Érard est l’instrument attitré de Liszt, tandis que Chopin donne sa préférence au piano Pleyel. Joseph Gaveau (1824-1903) fonde en 1847 une maison que ses fils et petits-fils dirigeront par la suite. Les Caveau inventent notamment la mécanique à lames pour les pianos droits (1848). Avec bien d’autres facteurs, Kriegelstein, Henri Herz, Jean-Louis Boisselot, Antoine Bord, Burgasser, Alexandre François Debain et Rodolphe, Elcké, Focké, Klein, Mangeot, Martin, Leguérinais, Montal, Victor Mustel, Mussard, Roller et Blanchet, Ruch, Schwander et Herrburger, Soufflot, Schindler contribuent au renom de la fabrication française.

De nombreuses factures pianistiques se développent aujourd’hui dans le monde. Parmi celles-ci, l’industrie japonaise prend une importance croissante.

Le piano est l’instrument privilégié de l’époque romantique. Il se prête à la musique la plus intime comme à la virtuosité la plus brillante. F. Chopin* lui consacre presque la totalité de ses œuvres, F. Mendelssohn*, R. Schumann*, F. Liszt*, J. Brahms* lui dédient nombre de leurs plus belles pages. Liszt est, avec Chopin, l’un des créateurs de la technique moderne de piano.

Le style pianistique évolue vers un élargissement du champ sonore, élargissement qui se poursuivra à l’époque moderne. Le registre grave est exploité d’une manière plus systématique (Liszt : Vision, Funérailles), et des effets de timbre sont recherchés dans le registre aigu (Liszt : la Campanella). Les creux qui étaient laissés à l’époque classique entre la basse et l’aigu sont comblés soit par des arpèges, des accords (Schumann : deuxième variation des Études symphoniques), soit par une mélodie intermédiaire, dont la continuité est assurée par la pédale et qui semble être jouée par une « troisième main » (Liszt : 3e Nocturne).

L’arpège joue un grand rôle à l’époque romantique. Il est utilisé comme soutien d’une mélodie : le plus souvent, mélodie et harmonie sont traitées sur des plans sonores différents ; parfois, cependant, un chant fait partie intégrante d’une harmonie en arpège (Chopin : Étude op. 25 no 1 ; Liszt : Un sospiro). Par son élan vers la note supérieure, l’accord arpégé met celle-ci en relief et crée autour d’elle un effet de vibration (Chopin : Étude op. 10 no 11 ; Liszt : Harmonies du soir). Balayant le clavier et soutenu par la pédale, l’arpège non seulement a pour but la virtuosité, mais également permet d’accroître considérablement le volume sonore du piano, dont il fait successivement résonner tous les registres (Liszt : dernière variation de la 6e Grande Étude de Paganini).

La virtuosité fait un usage fréquent des doubles notes (tierces, sixtes, octaves et autres intervalles) [Schumann : Toccata ; Brahms ; Variations sur un thème de Paganini ; Liszt : Feux follets], des successions d’accords (Liszt : Chasse sauvage), des accords alternés (Mendelssohn : Variations sérieuses), des trémolos (Liszt : Jeux d’eau à la Villa d’Este). À la technique d’indépendance des doigts utilisée jusqu’à l’époque romantique s’ajoute une technique d’indépendance des bras, nécessitée par des déplacements importants et rapides sur le clavier (Chopin : Prélude en si bémol mineur ; Liszt : Tourmente de neige). Les cadences de virtuosité sont fréquentes chez Liszt. Souvent, celui-ci y fait chevaucher les deux mains, ce qui assure plus de rapidité et plus de clarté dans l’énoncé du trait. Niccolo Paganini (1782-1840) exerce une forte influence sur les compositeurs de son époque, qui cherchent à égaler sur leur propre instrument les prouesses qu’il réalise sur son violon. Liszt, Schumann, Brahms et, plus tard, S. V. Rachmaninov (1873-1943) transcrivent des œuvres ou font des variations sur des thèmes de Paganini.

Il n’est possible de citer ici que quelques noms parmi les musiciens les plus marquants de la fin du xixe s. et du début du xxe s.