Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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piano (suite)

Le piano, de la mort de Bach à celle de Beethoven

La facture autrichienne marque, dans l’évolution du piano, une étape où le nouvel instrument reste assez proche du clavecin par certains aspects. Le son est mince, clair, mais net et brillant. Une très légère pression des doigts s’avère suffisante pour abaisser les touches, ce qui facilite la vélocité du jeu. Fondateur de cette facture, Johann Andreas Stein (1728-1792) met au point la mécanique dite « allemande » ou « viennoise », qui comprend notamment un système d’échappement, des étouffoirs pouvant être relevés simultanément par l’action de genouillères, des marteaux gros comme un pois, recouverts d’une membrane. Andreas Streicher (1761-1833), gendre de Stein, travaille à développer la sonorité et accroître la solidité de la construction.

La facture anglaise se présente avec d’autres caractéristiques. L’adoption du système à pilote entrave la vélocité, l’enfoncement de la touche nécessite une attaque plus vigoureuse que celle qui est réclamée par les pianos autrichiens. La sonorité est ample et met en valeur le chant des lignes mélodiques.

L’industrie anglaise de pianos se développe avec l’Allemand Johann Christoph Zumpe (1735-1800), ancien ouvrier de Silberman, établi à Londres vers 1760, et avec le facteur Ameriens Backers. En 1775, Francis Broderip s’associe à James Longman, qui, vers 1767, avait créé une firme que rejoindront plus tard M. Clementi et F. W. Collard, l’un et l’autre faisant des recherches relatives à la sonorité et à la mécanique.

La plus ancienne et l’une des plus importantes manufactures anglaises est fondée vers 1728 par le Suisse Burckhardt Tschudi (Burkat Shudi) [1702-1773], qui s’associe plus tard avec l’Écossais John Broadwood (1732-1812). Ce dernier renforce le calibre des cordes et, en 1783, remplace les genouillères par des pédales, procédé adopté aussitôt en France par Sébastien Érard (1752-1831) et en 1789 en Autriche par Johann Andreas Stein. Breveté en 1783, la « grande mécanique anglaise » de Broadwood connaît un retentissement dont on trouve encore l’écho au xixe s. : « C’est cette faculté chantante, si recherchée et si musicale, que Broadwood sut donner tout d’abord à ses pianos, dont elle a toujours été une des qualités dominantes : plénitude et finesse de vibration dans les basses, sonorité puissante et pour ainsi dire vocale dans le médium ; dans les dessus, éclat, et jusque dans la ténuité, rondeur et distinction » (Amédée Méreaux).

Le piano carré joue un rôle important en Angleterre et aux États-Unis pendant environ un siècle. Il est créé en 1758 par Christian Ernst Friederici (1709-1780), originaire de Saxe. À l’origine, la mécanique est rudimentaire et la sonorité grêle. Zumpe popularise l’instrument en Angleterre ; Broadwood le perfectionne et améliore le timbre. Certains pianos carrés présentent des pédales multiples qui permettent des jeux de timbre : clochettes, tambour de basque, effets luthés, etc. Le piano carré est un instrument peu coûteux, qui devient vite populaire. John Behrent construit en 1775 le premier piano carré américain.

Après l’échec commercial du facteur Jean Marius, la France utilise tout d’abord les pianos à mécanique anglaise. L’industrie française commence à se développer sous l’impulsion de Sébastien Érard, dont le premier piano date de 1777. Sous la pression des événements révolutionnaires, Érard se réfugie en Angleterre et ne reviendra s’installer définitivement en France qu’en 1815. Ce séjour en Angleterre, où il établit une succursale, lui permet de s’initier aux procédés de la facture anglaise. Érard met au point vers 1794 un échappement simple, dont les perfectionnements aboutissent en 1821-22 au double échappement, invention capitale dans l’histoire du piano. Son neveu Pierre Érard (1796-1855) continue son œuvre et améliore notamment le double échappement et le sommier.

Les pianos français acquièrent au début du xixe s. une renommée qui s’attache également au nom d’une autre fabrique importante : la maison Pleyel, fondée en 1807 par un compositeur autrichien installé à Paris, Ignaz Pleyel (1757-1831). Cette maison bénéficie jusqu’en 1818 du concours de Johann Heinrich Pape (1789-1875), esprit fertile à qui l’on doit plus de cent trente inventions, dont la garniture des marteaux en feutre (1826), qui améliore considérablement la sonorité, et le croisement des cordes. Ignaz Pleyel s’associe en 1821 avec son fils Camille (1788-1855) et en 1824 avec Friedrich Kalkbrenner (1788-1849). Parmi les apports de cette firme à l’industrie du piano, l’adoption d’un cadre en bronze (1826) et le façonnement de la table d’harmonie en placage à contre-fil (1830) sont sans doute les plus importants.

La facture française excelle également dans la fabrication des pianos droits. Ceux-ci seraient apparus à Dublin ou à Salzbourg — le lieu d’origine est mal connu — vers 1780. Du fait de leur position verticale, les marteaux reviennent à leur point de départ sous l’action d’un ressort et non par l’effet de la pesanteur, comme dans le piano à queue et le piano carré.

Durant la seconde moitié du xviiie s., les musiciens témoignent d’un intérêt croissant pour le piano-forte. C’est en 1768 que cet instrument est utilisé pour la première fois au Concert spirituel, à Paris. La même année, Johann Christian Bach joue du piano en public à Londres. Dès lors, l’usage du pianoforte devient courant.

Cette époque apparaît, chez de nombreux compositeurs, comme une période de transition entre la musique de clavecin et celle de piano. Souvent, les œuvres sont écrites pour les deux instruments, au gré de l’exécutant. Déjà, cependant, les possibilités expressives de l’instrument sont mises en valeur, notamment par les fils de Jean-Sébastien Bach ; Wilhelm Friedemann (1710-1784) se montre un précurseur, particulièrement dans le domaine du concerto. Muzio Clementi s’impose comme l’un des premiers grands pianistes. Dès 1773, ses compositions sont écrites non plus pour le clavecin, mais exclusivement pour le piano. Le Gradus ad Parnassum (1817-1826) figure parmi les ouvrages didactiques, qui, par le large éventail des difficultés recensées, sont à la base de la technique pianistique. En France, les sonates d’Étienne Méhul (1763-1817) se distinguent par leur richesse de matière, celles de François Adrien Boieldieu (1775-1834) par leur souplesse d’écriture.

Si certains plans sonores des soixante-deux sonates de Joseph Haydn* évoquent les procédés de la symphonie ou du quatuor, Mozart fait preuve d’une invention essentiellement pianistique. Les notes coulent avec aisance sur les pianos de Stein, qu’il pratique à partir de 1777, et les phrases mélodiques semblent en sonder les ressources expressives.