Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Philippe II le Hardi (suite)

Par une habile politique matrimoniale, Philippe étend ses domaines au-delà de la mouvance française : mariage de sa fille Marguerite de Bourgogne avec Guillaume de Bavière (1365-1417 ; le futur Guillaume VI de Hollande), prélude à l’annexion du Hainaut, de la Hollande, de la Zélande et de la Frise (1385) ; il fait accepter en 1403 son troisième fils Antoine comme héritier de Jeanne, duchesse de Brabant († 1406) ; en 1390, il achète le Charolais à Jean III d’Armagnac (1363-1391) et les châtellenies d’Étampes, Gien et Dourdan à son frère Jean de Berry* (1387) ; il se fait donner par son neveu Charles VI à titre viager les châtellenies de Beaufort, Nogent-l’Artaud, Lassicourt et Soulaines en Champagne, jalons nécessaires pour assurer la jonction entre les deux pôles de l’État bourguignon, la Flandre et la Bourgogne.


Le duc et le royaume

Philippe le Hardi n’en reste pas moins un prince français et il joue un rôle de premier plan dans la politique du royaume. Il participe aux côtés de Bertrand du Guesclin* à la campagne de 1371-72 en Poitou et dirige la délégation française aux conférences de Bruges en 1375, qui aboutissent à la conclusion d’une trêve. Dès la mort de Charles V (sept. 1380), les oncles du jeune Charles VI se partagent le pouvoir : l’aîné, Louis d’Anjou (1339-1384), préside le Conseil royal, mais c’est Philippe de Bourgogne qui dirige en fait la politique française ; sans subordonner totalement celle-ci à ses intérêts personnels, il trouvera néanmoins dans les forces militaires du royaume l’appoint nécessaire à une politique flamande : c’est l’armée royale qui écrase les Gantois une fois de plus révoltés contre Louis de Mâle à Rozebeke (27 nov. 1382) : l’ordre est rétabli en Flandre ainsi que dans les villes françaises qui s’étaient agitées en 1382 (« commotion » des maillotins à Paris). Au retour de la campagne de Gueldre dans laquelle Philippe avait entraîné Charles VI pour défendre les intérêts bourguignons, le jeune roi se débarrasse de la tutelle de ses oncles et prend en main le gouvernement, aidé des vieux conseillers de son père, les « Marmousets » (nov. 1388) ; mais en 1392 le roi sombre dans la folie et les princes reprennent les leviers de commande. Philippe se heurte alors à son neveu, Louis d’Orléans (1372-1407), le frère du roi : celui-ci veut reprendre la guerre contre l’Angleterre, Philippe préfère prolonger les trêves pour favoriser le commerce flamand ; Louis tient pour le pape d’Avignon, alors que son oncle doit ménager les sentiments urbanistes de ses sujets de Flandre ; Philippe est inquiet des projets de son neveu visant à la création d’un vaste État centré autour du duché de Luxembourg, qui aurait pu couper les communications entre la Bourgogne et la Flandre. Mais le prestige et l’expérience du vieux duc en imposent au jeune prince, et, jusqu’à la mort de Philippe, le drame est évité.


L’administrateur et le mécène

En Bourgogne et en Flandre, le gouvernement de Philippe est empreint de sagesse et d’habileté : dès 1369, le souverain met fin dans le duché aux méfaits des routiers ; il conclut heureusement la longue lutte entre les villes flamandes et le comte par le traité de Tournai (18 déc. 1385), qui confirme les franchises urbaines ; il renforce l’armature administrative de ses États (amorce d’une Chambre des comptes à Dijon, création à Lille d’une chambre faisant office de parlement et de chambre des comptes).

Protecteur averti des arts et des lettres, Philippe le Hardi attache son nom à quelques-unes des plus belles réalisations de ce temps : Christine de Pisan (v. 1364-1430) écrit sur son ordre le Livre des faits et bonnes mœurs du sage roi Charles. Il donne par ses commandes une vive impulsion à la tapisserie d’Arras ; il lègue à la postérité la chartreuse de Champmol, à laquelle travaillèrent Jean de Marville († 1389) et surtout Claus Sluter*, et où est inhumé le grand mécène.

G. R.

➙ Bourgogne / Cent Ans (guerre de) / Charles V / Charles VI / Flandre / Jean sans Peur / Valois.

 H. David, Philippe le Hardi, duc de Bourgogne et protecteur des arts (Impr. Jobard, Dijon, 1937). / J. Calmette, les Grands Ducs de Bourgogne (A. Michel, 1949). / H. Laurent et F. Quicke, les Origines de l’État bourguignon (Palais des académies, Bruxelles, 1955).

Philippe III le Bon

(Dijon 1396 - Bruges 1467), troisième duc de la troisième maison de Bourgogne de 1419 à 1467, fils de Jean* sans Peur, assassiné le 10 septembre 1419, et de Marguerite de Bavière.


Haut sur jambes, vif et gai, sujet à de terribles colères et à des « fièvres », c’était un Valois fastueux et sensuel ; on l’a traité de mégalomane, mais il sut toujours s’arrêter à temps. L’héritage paternel comprenait, outre l’apanage bourguignon de 1363, l’héritage du comte Louis II de Mâle, dont le premier duc, Philippe* le Hardi, avait épousé la fille : les comtés de Bourgogne, Flandre, Rethel, Artois ; en 1390, le même Philippe avait acheté le Charolais. La dot de Michelle de France, fille de Charles VI, première femme de Philippe le Bon († 1422), apporta : les villes de la Somme, une grande partie de la Picardie et le Boulonnais. Parmi ces vastes domaines, la Flandre industrielle contribuait à donner des revenus presque égaux à ceux de Venise, et l’ensemble faisait de Philippe le Bon un souverain plus puissant que le roi de France. Ce n’était, par contre, qu’une marqueterie de peuples aux langues, aux traditions, à l’économie disparates et, plus grave encore, scindés en deux groupes entre lesquels s’interposaient la Champagne, fief français, et la Lorraine, terre d’Empire. Tout politique régnant à Dijon se trouvait soumis à un impératif : réunir ces deux tronçons par la négociation, l’achat ou la force, aux dépens de la France ou de l’Empire. Philippe le Bon s’en prit à la France, d’abord pour venger son père, ensuite parce que la faiblesse de Charles VI encourageait toutes les audaces. En mai 1420, à Troyes, il reconnut Henri V d’Angleterre comme régent du royaume et légitime héritier de Charles VI*. Cependant, à la mort de ce dernier (oct. 1422), il déclina une offre de régence ; il resserra ses liens avec le parti anglais en mariant sa sœur Anne au duc de Bedford (1423) et il parut sur le point de réaliser son ambition quand il obtint la promesse de la Champagne (1430). Les victoires de Jeanne d’Arc remirent tout en question. Puis il se brouilla avec Bedford et entra en conflit armé avec son frère le duc de Gloucester, qui avait épousé Jacqueline de Bavière, nièce de Jean sans Peur ; par son père, elle était héritière de la Hollande, de la Zélande et du Hainaut. Philippe le Bon combattit dix ans avant de parvenir à rejeter Gloucester en Angleterre et à dépouiller Jacqueline de ses fiefs (1433) : il devenait maître de presque toute la Belgique et des Pays-Bas actuels. Détaché de Bedford par la mort de la duchesse, absorbé par sa guerre contre Jacqueline, il avait négligé les événements de France et pris finalement une décision lourde de conséquences : il fit la paix avec Charles VII*, le 21 septembre 1435 à Arras. Il y reçut, outre d’humbles excuses pour l’assassinat de Montereau, le Ponthieu, les comtés de Mâcon, Auxerre et Bar-sur-Seine, les villes de la Somme, « barrière » de la France, mais rachetables pour 400 000 écus d’or. Une clause essentielle, du point de vue féodal, le déliait de tout lien de vassalité à l’égard du roi. Ainsi, Philippe le Bon, « grand duc d’Occident par la grâce de Dieu », allait fonder librement le royaume de Lotharingie dont il rêvait : il ne reçut de l’empereur Frédéric III que l’offre d’une mesquine couronne en Brabant (1447) et crut plus digne de la refuser. L’empereur ne lui avait même pas reconnu la possession du Luxembourg, dont il s’était emparé en 1443. Charles VII, qui contrecarrait son cousin partout, avait acheté les droits sur le duché. Philippe le Bon se vengea en donnant asile au Dauphin révolté contre son père. Dès la mort de celui-ci, il reconnut Louis XI*, parut avec lui en protecteur et lui imposa la couronne de sa main (15 août 1461). Il atteignit alors son apogée.