Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

Philippe IV le Bel (suite)

Le gouvernement du royaume

Sous ce règne de vingt-neuf ans, on constate de grands progrès dans la création des rouages indispensables à un grand État centralisé. Pour justifier leurs intrusions dans le domaine ecclésiastique et seigneurial, les légistes invoquaient aussi bien le caractère divin de leur maître que le droit impérial ou que les règles féodales : tous les moyens étaient bons pour édifier une autorité royale absolue. En même temps, ces administrateurs se spécialisent. On ne dit plus le palais, mais la Cour, le roi, d’où se sont détachés des organes indépendants : une chancellerie, dès le xiie s. ; un conseil, qui fonctionne à part, avec des « clercs du secret », les futurs secrétaires du roi ; ils prêtent serment et participent aux décisions majeures. On observe également l’individualisation du parlement ; l’âme en est la Grand-Chambre dite Chambre des plaids, où siègent des juges de carrière ; certains de ses conseillers seront un jour des « présidents » : ils « disent le droit » et prononcent les sentences. Philippe le Bel paraissait moins souvent que Louis IX parmi les juges, mais il les fit siéger dans le palais de la Cité, qu’il fit accroître de nouveaux bâtiments. Le ressort du parlement s’étendait à l’ensemble du domaine ; or, le principe de l’« appellation », établi par Saint Louis, le zèle des agents royaux, qui, par la « prévention », par l’extension infinie des « cas royaux », tarissaient les juridictions ecclésiastiques et seigneuriales, avaient provoqué l’entassement des dossiers à Paris ; des commissions détachées du parlement jugèrent par délégation loin de Paris, pour décongestionner le tribunal du roi. Enfin, dans l’administration des finances, on prit des mesures très sages : la création de receveurs spécialisés auprès des baillis, la formation de « gens des comptes » réunis en 1303-04 dans une chambre qui devient définitivement la Chambre des comptes par l’ordonnance de Viviers-en-Brie en janvier 1320. Dans l’armée, en revanche, aucun progrès notable.

Prévenons ici une confusion possible. Selon la loi féodale, toute décision importante est prise « par très grand conseil » : le vassal jure de prêter aide et conseil à son seigneur. Les Capétiens ont toujours réuni à cet effet des assemblées temporaires, ou « parlements », de prélats, de barons, de gens du commun état, venus des « villes insignes ». Or, la Cour du roi s’est fragmentée en conseil, chargé des grandes affaires, et en parlement, cour de justice : les mots sont les mêmes pour des choses très différentes. Les anciens « parlements » vont-ils disparaître ? Philippe le Bel s’en sert, très adroitement : a) en 1302, à Notre-Dame, pour provoquer une manifestation de loyalisme quand on crut la Couronne en danger ; le nombre des gens du commun marque seulement leur nouvelle importance économique, mais, sauf la gravité de l’heure, rien n’est nouveau, et l’expression même d’états généraux paraîtra beaucoup plus tard ; b) pour créer un courant favorable à des mesures discutables : en 1308, à Tours, avant le procès intenté aux Templiers ; en 1314, pour faire passer une lourde note de subsides. C’était comme une tentation offerte au commun de contrôler les recettes, mais il n’en sortit qu’un renforcement de l’autorité royale.

L’année 1314, la dernière de ce règne si agité, fut assombrie par un scandale qui mettait en cause les trois brus du roi. Cette affaire troubla l’opinion et nourrit beaucoup de légendes : Marguerite, femme de Louis le Hutin, et Blanche, femme de Charles le Bel, avaient pour amants Philippe et Gautier d’Aunay ; leur intrigue fut découverte par leur belle-sœur, Isabelle, reine d’Angleterre. Les deux chevaliers périrent dans d’atroces supplices, Marguerite en prison, Blanche au cloître ; la troisième bru, Jeanne, femme de Philippe le Long, avait gardé le silence et avait été accusée de complicité ; elle fut finalement relaxée. La tour de Nesle n’a rien à voir, non plus que Buridan, dans l’affaire. Le 29 novembre de la même année, Philippe le Bel mourut, à quarante-six ans, d’une maladie de langueur peut-être ou, plus probablement, d’un singulier accident que le chroniqueur G. Villani relate ainsi : « À la chasse, un porc sauvage se jeta dans les jambes du cheval du roi, qui fut désarçonné et mourut. » C’était huit mois après les Templiers, six après Clément V, peu après Nogaret ; on crut se souvenir que Jacques de Molay, du haut de son bûcher, avait cité le pape et le roi devant le tribunal de Dieu pour la fin de l’année. Le roi était devenu alors, mais alors seulement, très impopulaire. « On eut beaucoup de peine à faire chanter dans les églises pour le roi Philippe. »

Et cependant, trois fils semblaient assurer la dynastie, la papauté résidait en France, une fille de France régnait en Angleterre, un Capétien à Naples ; Charles de Valois, époux de Catherine de Courtenay, prétendait à l’Empire latin de Constantinople ! Les contemporains s’inquiétaient, comme Dante, de voir « la mauvaise plante capétienne projeter son ombre sur la terre entière » (le Purgatoire, xx, 43-44).

Ce roi sans visage avait donné en Europe à la France une place qu’elle ne retrouvera, toutes choses égales, que quatre siècles plus tard, au temps du Roi-Soleil.

A. J.

➙ Angleterre / Aquitaine / Boniface VIII / Capétiens / Flandre / Guyenne / Normandie / Parlement / Templiers.

 Borrelli de Serres, Recherches sur divers services publics du xiiie au xviie siècle (A. Picard, 1895-1909 ; 3 vol.). / H. Finke, Papstthum und Untergang des Templerordens (Munster, 1907 ; 2 vol.). / C. V. Langlois, Saint Louis, Philippe le Bel, les derniers Capétiens directs, 1226-1328 (Hachette, coll. « Histoire de France », sous la dir. d’E. Lavisse, 1911). / A. Dieudonné, les Monnaies françaises ou l’Histoire de France par les monnaies (Payot, 1923). / G. Digard, Philippe le Bel et le Saint-Siège de 1285 à 1304 (Sirey, 1936 ; 2 vol.). / O. Wormser, Déflation et dévaluation. Études comparées de leurs effets sur les prix (Sirey, 1938). / R. Fawtier, l’Europe occidentale de 1280 à 1328 (P. U. F., coll. « Histoire générale », sous la dir. de G. Glotz, 1940) ; les Capétiens et la France (P. U. F., 1942). / J. Lafaurie, les Monnaies des rois de France, t. I. : De Hugues Capet à Louis XII (E. Bourgey, 1951). / F. Lot et R. Fawtier, Histoire des institutions françaises au Moyen Âge (P. U. F., 1957-1962 ; 3 vol.). / M. Bloch, la France sous les derniers Capétiens, 1223-1328 (A. Colin, 1958 ; nouv. éd., 1964). / A. de Lévis-Mirepoix, Philippe le Bel (Club des libraires de France, 1960). / J. Favier, Un conseiller de Philippe le Bel, Enguerrand de Marigny (P. U. F., 1963). / L. Génicot, le xiiie siècle européen (P. U. F., coll. « Nouv. Clio », 1968). / B. Chevalier, l’Occident de 1280 à 1492 (A. Colin, coll. « U », 1969). / M. Pacaut, les Structures politiques de l’Occident médiéval (A. Colin, coll. « U », 1969). / J. F. Lemarignier, la France médiévale. Institutions et société (A. Colin, coll. « U », 1971).