Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Phéniciens (suite)

L’hellénisation de la Phénicie, la disparition des Phéniciens

L’antagonisme violent que l’on imagine entre Grecs et Phéniciens, à toutes époques, en Orient comme en Occident, est une généralisation abusive à partir de certains épisodes de l’histoire de la Sicile. Au contraire, l’archéologue constate le goût croissant des Phéniciens de toutes régions pour les productions de l’art et de l’artisanat helléniques, ce qui provoque, l’extinction assez rapide de l’art phénicien. Mais, tandis que l’essor de Carthage et son antagonisme avec Rome maintiennent en Occident l’esprit national des Phéniciens, ce dernier disparaît en Orient après le passage d’Alexandre. Les cités de Phénicie n’interviennent guère dans les luttes où les successeurs du conquérant, puis les dynasties lagide (d’Égypte) et séleucide (de Syrie septentrionale et d’Asie intérieure) se disputent le littoral phénicien, précieux par ses ports et ses forêts, qui alimentent les constructions navales. La satrapie de Phénicie, créée par Alexandre (329), reste coupée en deux tout au long du iiie s., la frontière entre Lagides* et Séleucides* passant le plus souvent par l’Eleutheros (Nahr al-Kabír, à la limite du Liban et de la Syrie actuels). Réunifiée par la victoire du Séleucide Antiochos III (202-200), la satrapie se morcelle ensuite en cités, qui ont aboli la royauté et reçoivent, des prétendants qui se réclament de la dynastie séleucide, une autonomie qui tourne à l’indépendance. Rome, qui en 64-63 annexe et transforme en province l’ensemble du couloir syrien, ne laisse que l’autonomie municipale aux cités du littoral. Les dernières inscriptions en phénicien (Byblos, iie s. apr. J.-C.) et l’évocation du temple de cette cité sur une monnaie romaine du iiie s. apr. J.-C. sont les dernières manifestations de la culture locale. En Occident, le punique (forme romaine du mot phénicien), qui a survécu à la destruction de Carthage (146 av. J.-C.), est encore écrit en Sardaigne au iiie s. apr. J.-C. et parlé en Afrique au ve s. apr. J.-C.

Il ne survit rien, dans ce domaine, du peuple phénicien, assimilé par les populations parlant le grec ou l’araméen, le latin ou le berbère. Mais, si on dépasse l’image conventionnelle d’un peuple de commerçants malhonnêtes et cruels, on constate que ce sont les Phéniciens qui ont fait connaître aux Grecs l’art et les techniques de l’Orient ancien, qu’ils avaient eux-mêmes assimilés et perfectionnés, et qui ont apporté aux Étrusques, aux Romains, aux Ibères et aux Libyens, outre cet héritage oriental, les productions prestigieuses des Hellènes, dont ils savaient reconnaître la supériorité.

G. L.

➙ Assyrie / Carthage / Liban / Mésopotamie / Syrie.

 G. Contenau, la Civilisation phénicienne (Payot, 1926). / D. B. Harden, The Phoenicians (Londres et New York, 1962). / S. Moscati, Il Mondo dei Fenici (Milan, 1966 ; trad. fr. l’Épopée des Phéniciens, Fayard, 1971). / Les Phéniciens, numéro spécial d’Archeologia (1968). / O. Masson et M. Sznycer, Recherches sur les Phéniciens à Chypre (Droz, 1972). / A. Parrot, M. H. Chehab et S. Moscati, les Phéniciens (Gallimard, 1975).


L’art phénicien

Après les invasions des Peuples de la mer, au xiie s. av. J.-C., une politique habile et ambitieuse devait amener les rois de Tyr à dominer la confédération des cités de la côte libanaise et syrienne qui constitua la Phénicie, et à profiter de l’écroulement des grandes puissances, l’Égypte*, l’Empire hittite et Mycènes, pour jouer un rôle prépondérant dans la vie économique et culturelle mondiale. L’art phénicien est étroitement apparenté aux arts de la Syrie* et de la Palestine : leurs antécédents sont les mêmes, leurs conceptions esthétiques aussi. Tous sont caractérisés par un style composite, influencé par les créations des pays environnants, l’Égypte principalement. Dans ce pays de marins et de marchands, il faut noter la prépondérance des arts mineurs : travail du métal, de l’ivoire et du verre. Ces arts industriels allaient obliger les Phéniciens à en rechercher la matière première vers l’ouest, à Chypre, puis en Espagne (Tarsis) et jusqu’au sud du Maroc. Aussi, lorsque les armées assyriennes se furent emparées des ports et cernèrent Tyr, avant de passer à Chypre, Kition, au sud-est de cette île (auj. Larnaka), puis Gadir (auj. Cadix) devinrent tour à tour les foyers de l’art phénicien jusqu’à ce que Carthage* prît la relève.

Le matériel archéologique recueilli au Liban et en Syrie est peu abondant : les deux sites principaux, Ougarit* et Byblos, ont livré des vestiges de l’âge du bronze, donc antérieurs à la formation de la Phénicie. À Tyr, les fouilles atteignent seulement les niveaux supérieurs de la cité d’Hiram (nécropole). À Sidon, on travaille au temple d’Eshmoun, et la nécropole royale est connue depuis le début de notre siècle. À Kition, un important sanctuaire est en voie de dégagement, et en Andalousie (pays de Tarsis) les comptoirs de la côte et les centres miniers de la montagne, avec leurs nécropoles, nous sont révélés depuis peu.

Les bas-reliefs assyriens (portes de Balawat, palais de Sennachérib [Sin-akê-érîba]) sont les seuls documents qui permettent d’imaginer l’aspect des villes phéniciennes : ceintes de murs crénelés hérissés de tours et enfermant des maisons à étages, aux fenêtres encadrées de colonnettes, coiffées de coupoles ou couvertes en terrasse. Du plus fameux édifice attribué aux Phéniciens, le Temple de Salomon à Jérusalem*, il ne reste rien ; rien non plus du temple de Melqart à Tyr, renommé pour la richesse de ses ex-voto et la splendeur de ses colonnes, l’une d’or, l’autre d’émeraude, décrites par Hérodote (II, 44). Aux anciens « hauts lieux » de type cananéen, aires sacrées à ciel ouvert, entourées de murs et parsemées d’autels et d’ex-voto, avaient succédé sous l’influence des Égyptiens et des Perses des sanctuaires comprenant une vaste cour, toujours enclose, avec des tabernacles de style égyptisant, sculptés parfois dans le roc (Amrit) et dressés sur un socle élevé, ornés de bandeaux figurant le disque solaire ailé ou des frises d’uraei et couronnés de gorges égyptiennes (Amrit, Ayn al-Hayāt). Des portiques, des salles hypostyles, des chambres étaient adossés au mur d’enceinte (Umm al-Aḥmad, Amrit). Les colonnes sont coiffées de chapiteaux proto-éoliques, composés de deux crosses dos à dos, ligaturées à la base et séparées par des triangles (Ramat Rahel). À l’époque hellénistique, des colonnes ioniques soutiennent les portiques des temples (Umm al-Aḥmad). Le temple d’Eshmoun, près de Sidon, étage ses terrasses monumentales sur les pentes du Nahr al-Awalī ; un chapiteau orné de protomés de taureau révèle une influence de l’Iran*. Le temple de Kition, construit au viiie s. sur les ruines des précédents sanctuaires (le premier étant mycénien) et remanié ultérieurement, présente un magnifique pan de mur à orthostates. Tous ces lieux saints contenaient de multiples ex-voto, des statues, fort médiocres (orants et images de Melqart couvert de la peau de lion, armé de sa massue et tenant un lionceau), et surtout des stèles au sommet arrondi entourant un disque ailé de style égyptien figurant des scènes d’adoration (Yehawmilk adorant la Dame de Byblos coiffée d’une couronne hathorique), des portraits divins (Shadrapa monté sur un lion à la mode hittite à Amrit), des orants à la main levée, coiffés de la tiare cylindrique (Umm al-Aḥmad).