Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Phéniciens (suite)

Un nouveau bond vers l’ouest amène les aventuriers de la Phénicie aux détroits de la Méditerranée centrale, où ils fondent, avant la fin du ixe s., Utique et Carthage* en Afrique, Nora et Sulcis en Sardaigne. Peu après, ils vont chercher des métaux en Andalousie et en Toscane, où leur apport technique provoque une mutation des cultures locales ; en Espagne c’est le début du royaume indigène de Tartessos ; en Italie, le Villanovien passe à l’Étrusque (fin du viiie s.). Les Phéniciens fondent encore des cités et des comptoirs, à Malte, en Afrique (Leptis de Tripolitaine), en Sicile occidentale (Panormos [Palerme], Motyè), en Sardaigne (Tharros), en Espagne (Malaca [Málaga] ; Ibiza), au Maroc (Lixos, près de Larache ; Mogador [Essaouira]). Mais déjà ils se heurtent à la concurrence commerciale des Grecs, qui ont découvert Tartessos vers 640, et, au vie s., Ézéchiel ne connaît plus, parmi les clients et fournisseurs de Tyr, en dehors de l’Asie, que Tarsis. À ce moment, d’ailleurs, Carthage, devenue une grande ville, a pris sous sa protection les établissements phéniciens du centre et de l’ouest de la Méditerranée, et dès lors leur histoire, qui est celle du domaine carthaginois, se sépare pratiquement de celle des cités de la Phénicie, dont cet essaimage n’a pas épuisé le dynamisme.


Expansion et déboires des Phéniciens en Orient

Derniers représentants du peuple cananéen à garder leur indépendance, les Phéniciens n’avaient pas renoncé aux secteurs septentrional et méridional de la côte, qui étaient indispensables à leurs activités maritimes et dont les habitants appartenaient encore à leur groupe culturel ; les étrangers qui leur avaient imposé leur domination à partir du xiie s. ne formaient qu’une faible minorité au milieu des Cananéens du littoral. Les détails apportés par la Bible pour le secteur sud de la côte laissent penser que les Cananéens assimilent les Philistins qui dominent les cinq cités (Ashdod, Ascalon, Gaza, Eqron, Gat) et que les Israélites qui ont assimilé les Cananéens et l’intérieur laissent une certaine autonomie aux communautés indigènes du littoral, dont le genre de vie leur reste étranger. Aussi, après la disparition des royaumes israélites (Israël, 721 ; Juda, 587), les Phéniciens reviennent-ils en force sur cette partie méridionale de la côte, où les rois de Sidon étendent leur domination. Il en est probablement de même au nord de la Phénicie proprement dite, puisque, en 401, Xénophon trouve une cité phénicienne, Muriandos, vers les bouches de l’Oronte.

Cette expansion d’un petit peuple acculé à la mer par les invasions de la fin du iiie millénaire est masquée par la poussée infiniment plus spectaculaire des empires orientaux, pour qui saisir le pays phénicien, le plus évolué et le plus riche du monde d’alors, constitue un but essentiel. Mais, alors que les Cananéens avaient accepté ou supporté la domination des pharaons (xve-xiiie s.), les grandes cités phéniciennes qui ont joui de l’indépendance à partir du xiie s. vont, dès lors, montrer à la défendre plus d’énergie qu’on ne leur en prête ordinairement.

Les principaux royaumes phéniciens pratiquent une politique d’accords avec les États de l’arrière-pays, qui sont leurs clients et dont ils utilisent les routes pour leur commerce avec le reste de l’Asie. L’alliance de Hiram, roi de Tyr, avec Salomon, qui permet aux Phéniciens d’atteindre l’Arabie, se prolonge au ixe s. : le Tyrien Ithobaal marie sa fille Jézabel à Achab, roi d’Israël (874-853) et, si cette entente se dénoue finalement, c’est sous l’influence des prophètes israélites qui se dressent contre l’introduction du culte du Baal tyrien au milieu du peuple de Yahvé. De même, lorsque le pharaon Sheshonq Ier a fait une campagne en Palestine (peu après 930), les rois de Byblos renouent les relations traditionnelles de leur cité avec l’Égypte.

Si les rois israélites et les pharaons, qui admirent l’habileté technique des Phéniciens, ne songent pas à molester leurs petits royaumes qui leur fournissent des matières premières et des artisans, les souverains de l’Assyrie* pratiquent une tout autre politique : jugeant sans doute la richesse des cités de Phénicie inépuisable du fait de leur activité, ils les rançonnent dans des expéditions, dont la principale difficulté au début consiste à s’ouvrir le passage de l’Euphrate jusqu’au Liban, à travers des États plus guerriers. Les Phéniciens, en effet, sauf ceux du Nord, préfèrent longtemps livrer un tribut copieux plutôt que de risquer la destruction dans un combat inégal. Si l’expédition des Assyriens en 1111 n’avait été, semble-t-il, qu’un raid sans lendemain, l’Assyrie, une fois qu’elle a conjuré la menace araméenne en haute Mésopotamie, fait de la marche vers les ports de la Méditerranée une véritable politique, inaugurée, sinon par Assour-nâtsir-apli II, qui les atteint peu après 877, du moins par Shoulmân-asharêdou III (Salmanasar) [859-824], qui réussit plusieurs fois à lever le tribut sur Tyr et Sidon, mais trouve, dans les coalitions dressées contre lui dans le couloir syrien, Arwad et ses voisins. L’Assyrie, affaiblie par la guerre civile de 828-823, ne peut plus reprendre ce genre d’expédition que sous Adad-nirâri III (au moins une fois, en 805), et elle y renonce sous les règnes suivants. Mais Toukoulti-apil-ésharra III (746-727), qui restaure la puissance assyrienne, reprend aussitôt les expéditions en direction de la Méditerranée et la levée des tributs ; les villes de la Phénicie septentrionale qui s’opposent à lui sont battues et certaines annexées au domaine assyrien. L’Égypte pousse maintenant de façon systématique les cités du couloir syrien à lutter contre l’expansion assyrienne, qui l’inquiète, et elle trouve une oreille particulièrement favorable chez les Phéniciens, qui restent attachés à leur indépendance. Et, sous Shoulmân-asharêdou V (Salmanasar) [727-722], pour la première fois, le roi de Tyr se révolte suivant un processus qui va se répéter bien des fois : s’enfermant dans son île, protégée par les eaux agitées du détroit de 700 m qui la sépare du continent, il nargue le blocus de son adversaire et n’accepte de traiter qu’à des conditions avantageuses. Les rois de Sidon, qui tentent la même aventure en 701 et en 677, sont évidemment moins heureux, et leurs sujets en souffrent. Par contre, le roi Baal de Tyr se soulève deux fois au moment où les Assyriens envahissent l’Égypte, à la fin du règne de Assour-ah-iddin (680-669) et au début de celui d’Assour-bân-apli (Assourbanipal) [669-v. 627] pour se soumettre lorsque les Assyriens ont conquis tout le Delta. Lors de l’effondrement de l’Empire assyrien, les Phéniciens passent sous la domination de l’Égypte (609), puis de Babylone* (605). Tyr, révoltée contre Nabuchodonosor, subit un long blocus (v. 585-572) avant de traiter. La Phénicie est ensuite incorporée à l’Empire perse à la chute de Babylone (539). Les Achéménides*, qui ont besoin de leurs bateaux de guerre pour les guerres contre les Grecs, traitent les cités phéniciennes avec modération, et la satrapie à laquelle elles appartiennent est une des moins imposées. Mais, quand au ive s. le pouvoir royal des Achéménides décline, les Phéniciens sont prêts à aider tous les adversaires de l’empire pour récupérer leur indépendance. Tyr se livre un moment (v. 383-381) à Euagoras de Salamine, révolté contre Artaxerxès II (404-358). Puis la Phénicie se joint au grand soulèvement des satrapes (367) et accepte la présence de troupes égyptiennes (jusqu’en 360). L’autorité achéménide est rétablie un temps par Artaxerxès III, qui, devenu roi (358-338), tente de reconquérir l’Égypte. Lorsqu’il est battu dans le Delta (351), Tennès, roi des Sidoniens, soulève toute la Phénicie et s’allie au pharaon. Mais, en 344, avant d’en finir avec les Égyptiens, l’armée achéménide reprend Sidon, dont une partie des habitants se font brûler dans leurs maisons plutôt que de se rendre. C’est sans doute le même attachement à l’indépendance de leur cité qui pousse les Tyriens à refuser à Alexandre*, vainqueur du dernier Achéménide, l’accès de leur ville et à soutenir contre lui un siège désespéré de sept mois qui se termine par le massacre ou la vente des habitants (332), mais c’est le dernier coup d’éclat du peuple phénicien.