Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Phéniciens (suite)

Les cités-États de la Phénicie

Dans l’Antiquité, seuls les Grecs et les Romains ont la notion explicite d’un peuple phénicien. Certains auteurs grecs disent Sidoniens pour Phéniciens, car Sidon était parfois considérée comme la ville la plus importante. Mais les 2 000 km2 de la Phénicie ont toujours été divisés entre de minuscules unités politiques, comprenant chacune une ville, un port, la campagne et la montagne avoisinantes.

De ces multiples cités-États émergent Arwad (Arados), Byblos, Sidon et Tyr, qui exercent une certaine prédominance sur leurs voisines et sur les pêcheries, les comptoirs et les forteresses qu’elles ont fondés, ces dernières parfois assez loin sur la côte. Mais toutes ces unités politiques ont en commun l’écriture et la langue, la religion, les institutions et les activités économiques.


Les textes phéniciens

Ils sont bien moins nombreux et intéressants que ceux qui ont été laissés par les Cananéens. Cela tient en partie aux vicissitudes des fouilles. En effet, en dehors de Byblos, les archéologues n’ont, pendant longtemps, exploré que des nécropoles, pillées depuis l’Antiquité ; les chantiers récemment ouverts n’ont pas dépassé le niveau romain, et beaucoup de cités phéniciennes restent enfouies sous des villes modernes. D’autre part, on peut redouter que les Phéniciens n’aient employé, pour leurs comptes, le papyrus, qui a peu de chance de se conserver sous leur climat. Pour le moment, nous ne possédons que des épitaphes, courtes et peu variées, et quelques dédicaces royales de Byblos. Ces textes sont écrits au moyen de l’alphabet phénicien, en ensemble de vingt-deux signes linéaires ayant chacun la valeur d’une consonne. Cette écriture, qui découle des essais faits durant tout le IIe millénaire chez les Cananéens et dont les formes les plus anciennes apparaissent à Byblos (xie s.), est à l’origine des alphabets araméen et grec dont les adaptations vont gagner, tôt ou tard, tous les pays habités à l’exception de la zone de la culture chinoise. Mais le système phénicien ne transcrit que les consonnes ; cette difficulté ajoutée au caractère stéréotypé des textes découverts fait que les spécialistes n’ont qu’une vue limitée de la langue phénicienne, en dépit de sa parenté étroite avec d’autres langues sémitiques, comme l’ougaritique ou l’hébreu. Les sources locales fournissent donc beaucoup moins de renseignements sur les Phéniciens que la littérature des peuples voisins (épopées homériques, Bible, inscriptions assyriennes, historiens grecs), dont, malheureusement, on ne peut attendre beaucoup d’impartialité ou d’efforts pour comprendre les faits de civilisation.


La religion phénicienne

La rareté des documents indigènes est particulièrement sensible dans ce domaine où l’on voudrait pouvoir reconnaître la persistance ou l’évolution du panthéon et des rites attestés dans les textes d’Ougarit pour les xive-xiiie s.

Chaque ville phénicienne possède son panthéon, dominé par une divinité ou un couple poliade. Le plus souvent, on ne les connaît que par leurs titres : Seigneur (Baal ; Adôni, en grec Adônis), Roi de la Ville (Melqart), Déesse (Ashtart, Astarté en grec), Dame (Baalat). Les dieux des cités les plus importantes (Adôni de Byblos, Eshmoun de Sidon, Melqart de Tyr) sont adoptés par de nombreuses autres villes. Le culte de ces personnifications des forces de la nature est célébré soit dans des hauts lieux sauvages (sommets, grottes, bouquets d’arbres), soit dans des aires aménagées (sanctuaires à ciel ouvert, comme à Amrit, temples, comme ceux de Byblos). La divinité y est normalement représentée par des pierres dressées (les bétyles, du mot sémitique « maison de dieu ») et des poteaux ou des arbres ébranchés (les asherah) ; plus rarement, on lui donne l’allure d’un personnage du panthéon égyptien. Outre les rites courants de l’Antiquité, les Phéniciens, comme avant eux les Cananéens, pratiquent la prostitution sacrée (en l’honneur des divinités) et le sacrifice des enfants (en particulier celui du fils premier-né), qui sont brûlés dans des aires sacrificielles (la Bible parle de tophet) où on accumule urnes et stèles funéraires.


Les institutions politiques

La religion y joue longtemps un grand rôle. Depuis ses origines, la cité-État a été gouvernée par un roi ; et, si on peut généraliser à partir des très rares exemples connus, ce souverain est choisi dans une famille sacrée et exerce la fonction de prêtre de la divinité poliade. Mais son pouvoir politique est limité par un Conseil des Anciens et une assemblée des citoyens qui en viendront à la suppression de la royauté, dont le plus ancien exemple se situe à Tyr de 563 à 577. La cité-État est alors gouvernée par des magistrats, généralement par deux « juges », ou suffètes (suffes, en latin, qui vient du sémitique shophet, « celui qui fait triompher la justice »).


La société et l’économie

En dehors de Carthage, où le peuple s’oppose incontestablement à une aristocratie de familles riches, nous ignorons tout des structures sociales des cités phéniciennes et en particulier de l’origine (fonction militaire, richesse agraire ou richesse tirée du commerce ?) des oligarchies que l’on croit voir un peu partout.

Mais, en admettant qu’il n’y ait pas de vraie politique économique dans l’Antiquité, il est tout de même évident que, chez les Phéniciens au moins, le progrès économique est une affaire qui intéresse la cité.

Chaque État comporte une bande étroite allongée de la mer à la haute montagne, avec les abris du littoral, une petite plaine agricole, la montagne portant des terrasses pour la culture, et, plus haut, des pâturages et des forêts. Cet ensemble est bien utilisé : blé, olivier, vigne donnent de bons rendements ; la collecte du murex (coquillage dont la chair putréfiée sert à teindre les tissus en couleurs foncées, rouge ou bleu) et l’exploitation de la forêt (cèdre, genévrier, sapin, pin, etc., donnant bois et résines) procurent des produits de grande valeur.