Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Peuls (suite)

L’unité résidentielle est le wuro. C’est un groupe d’abris non couverts ; chaque abri est un parc ouvert constitué par une haie semi-circulaire ; l’ouverture se tourne toujours vers l’ouest (contre l’harmattan), sur le corral. L’ameublement est réduit : lit, nattes, bagages du bœuf porteur (kaakol), calebasses, matériel de cuisine et de traite, cordes, selles de chameaux. Certains Peuls ont adopté la tente en peau des Touaregs, qui est un signe de richesse. Généralement, le chef de famille est le centre du campement. Autour de lui vivent ses épouses et ses enfants, et l’emplacement occupé par chacun dans le wuro correspond à son statut social.

Le patrilignage est endogame. La filiation patrilinéaire reste le fondement des droits sociaux, même si la parenté maternelle joue quelque rôle. Le père est responsable de ses enfants et la place qu’un enfant acquiert dans le patrilignage dépend de l’âge relatif de son père par rapport aux frères de ce dernier. L’intégration dans la famille consanguine est affirmée publiquement par l’imposition d’un nom (avec le sacrifice d’un bétail). Autrefois, le marquage des bêtes était le symbole d’un apparentement de lignages ; avec l’extension du lignage il y a eu segmentation, et les nouveaux segments adoptent un marquage dérivé et un autre nom, qui est ajouté à celui de l’ancêtre.

Le mariage peul est confirmé par un sacrifice de bétail important. Il assure la conservation du bétail dans la famille, car, généralement, le choix se porte sur la fille de l’oncle paternel. Dans les lignages islamisés, le bétail du mariage se divise en deux : d’une part ce qui est la dot, et qui appartient à la femme et à l’homme ; d’autre part ce qui est offert à l’épouse, et qui est sa propriété. Le mariage renforce la puissance économique du segment de lignage et, par le sacrifice de bétail, il réaffirme l’unité du lignage.

Aujourd’hui, l’autorité politique est représentée par le chef d’un fragment de lignage, mais ce chef a un pouvoir essentiellement représentatif ; il ne décide et n’ordonne qu’avec l’accord des hommes adultes. Il assume souvent le rôle de juge, de représentant administratif et surtout il est responsable des parcours de transhumance pendant l’hivernage.

Autrefois il y a eu des théocraties autoritaires (Cheikhou Ahmadou et El-Hadj Omar) qui montraient une certaine cohésion ; ce sont surtout les États nés de la « guerre sainte » contre les suzerains musulmans infidèles qui disposèrent d’une organisation plus complexe et plus stable. En effet, ils avaient été en contact avec les royaumes haoussas, aux structures très élaborées.

L’islām a marqué les Peuls, même si leur pratique religieuse n’est pas tout à fait orthodoxe. On rencontre des lettrés peuls dont la culture islamique est très étendue. Les écoles coraniques sont répandues ; elles recrutent peu de filles.

La littérature profane se manifeste sous forme de cycles épiques ; elle a ses bardes et ses professionnels.

J. C.


L’histoire des Peuls

Les Peuls n’ont cessé de poser l’énigme de leur origine.

L’observation de leurs caractères constitutifs, l’appel aux sources écrites anciennes, leurs propres traditions suggèrent qu’ils sont venus de l’est de l’Afrique. Pour certains, ils se rattacheraient aux Judéo-Arabes, voire aux Dravidiens ou même aux Malayo-Polynésiens ; pour d’autres, aux Hamites, et, effectivement, bien des traits les rapprochent des peuples d’éleveurs qui vivent sur les hauts plateaux d’Afrique orientale. Ils auraient émigré d’est en ouest en contournant le Sahara, en général par le nord, pour arriver dans la vallée du Sénégal au haut Moyen Âge, époque à partir de laquelle leur existence y apparaît vraisemblable. Il ne s’agit là que de présomptions ; aucun des éléments sur lesquels on se fonde n’a encore pu être étayé de façon solide, même pour la langue, dont la filiation reste incertaine ; on a de sérieuses raisons de penser qu’elle appartient au groupe sénégalo-guinéen, auquel cas elle aurait été empruntée aux populations sédentaires du bassin du Sénégal.

Les progrès récents des connaissances archéologiques sur le Sahara ouvrent des perspectives différentes. L’étude des peintures rupestres qu’on y a découvertes apprend qu’au cours d’une période plus humide (Ve-IIIe millénaire av. J.-C.) cette région était habitée par des pasteurs de bovidés qui, le dessèchement s’accentuant, auraient dû se retirer vers le sud. Semblables en beaucoup de points (type négroïde, habillement, armes, habitat) à certains groupes peuls actuels, ces pasteurs en seraient alors les ancêtres directs. Si séduisante que paraisse cette hypothèse, elle ne peut encore être démontrée.

Les Peuls ne sont pas signalés avant la célèbre carte majorquine de 1339. Ce sont Maurice Delafosse et Henri Gaden qui reconstituèrent leur histoire en les faisant partir du Fouta-Toro (Sénégal) vers le ixe s. À ce moment-là, les Peuls étaient encore animistes et nomades, poussant devant eux leurs troupeaux au gré des nécessités, comme aujourd’hui encore les Torobés du Mali ou les Bororos du Niger. De cette façon s’opéra une dispersion qui n’est pas encore achevée aujourd’hui et dont les grands jalons se retrouvent dans les hégémonies qui se sont installées sur ses traces.

La première étape s’effectua, via Niovo et Nara, vers le Macina (Mali). Au xve s., les Peuls y étaient assez nombreux pour constituer un premier royaume, où le pouvoir était exercé par un ardo suprême, de la tribu des Dialloubés, et par d’autres ardo, chefs de tribu qui réglaient la transhumance. Mais ils dépendaient des empires qui se succédèrent tant à l’ouest qu’à l’est. Du Macina partirent de nouvelles migrations, à la fois vers le Fouta-Djalon (Guinée), le Tiptako (Haute-Volta-Niger), le Gober (Nigeria), le Baguirmi (Tchad). Aux xviie et xviiie s., les Peuls se trouvaient partout dans la frange sahélo-soudanienne de l’Afrique occidentale.