Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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pétrographie et pétrologie (suite)

Historique et méthodes

Théophraste, avec son traité sur les roches et les minéraux, est probablement le premier auteur d’un ouvrage de pétrographie. La pétrologie est beaucoup plus récente. Bien que céramiste et géologue, Bernard Palissy ne paraît pas avoir réalisé d’essai sur les roches mêmes. H. B. de Saussure est le premier, au xviiie s., à tenter de vérifier une hypothèse, celle de Nicolas Desmaret, qui suggérait que les basaltes d’Auvergne provenaient de la fusion des granités sous-jacents. Ses expériences de fusion, d’abord sur des granités suisses, puis, par souci de rigueur, sur des granités auvergnats, ne lui donnent rien qui soit comparable à un basalte, et il en conclut simplement que les basaltes ne sont pas des granités fondus. Alors que la pétrographie se développe largement au xixe s. à la suite des travaux de James Hutton (1726-1797), son aspect expérimental, souvent bloqué par des impossibilités techniques, n’est vraiment abordé que dans les dernières décennies avec H. Le Chatelier* et surtout après 1920 par Norman L. Bowen (1887-1956). Après l’usage de l’œil, très tôt aidé d’une loupe, seule arme dont disposait Hutton, l’utilisation du microscope polarisant ouvre un champ nouveau à la pétrographie. William Nicol invente (1829) le prisme de calcite coupé et recollé, qui porte son nom. Le nicol, maintenant remplacé par un Polaroïd, plus absorbant, mais beaucoup moins coûteux, ne laisse passer qu’un seul des rayons réfractés et polarisés par le cristal. L’installation, sur le trajet d’un faisceau lumineux, d’un prisme fixe (nicol polariseur) avant l’objet et d’un prisme mobile après l’objectif (nicol analyseur), polarisant la lumière dans un plan perpendiculaire au premier, transforme un microscope banal en microscope polarisant complété par une platine tournante. Encore faut-il disposer d’un objet translucide, et Nicol invente la technique des lames minces. Il est ainsi possible, par référence à des études sur des échantillons, assez gros pour avoir été isolés et analysés, de déterminer non seulement la nature des minéraux, mais aussi leur composition à partir de leur propriétés optiques. Ferdinand Zirkel (1838-1912), Harry Rosenbusch (1836-1914), Ferdinand André Fouqué (1828-1904), Albert Michel-Lévy (1877-1955) ont été les promoteurs de cette technique, bientôt complétée par l’invention, par Ievgraf S. Fedorov (1853-1919), d’une platine orientable sur trois axes perpendiculaires. Cette possibilité nouvelle ouvre la voie non seulement à des études minéralogiques plus précises, mais encore à une méthode de repérage des orientations des minéraux dans les roches et des roches dans les formations élaborée par Hans Cloos (1885-1951) et par Bruńo Sander (né en 1884) et permettant d’accéder à la structure la plus intime de la roche, sa fabrique. Le perfectionnement des méthodes analytiques, par la chimie classique d’abord, puis les méthodes physiques (spectrographie d’émission, spectrophotométrie, fluorescence X, et surtout, la dernière en date et la plus précieuse, la microsonde électronique inventée par Castaing) ont apporté une contribution essentielle à l’étude des roches et des minéraux. La méthode ancienne (1903), mais toujours féconde, de W. Cross, J.-P. Iddings, L. V. Pirsson et de H. S. Washington permet, à partir d’une composition exprimée en molécules, de calculer la norme, c’est-à-dire la composition en minéraux virtuels de formule simple, de comparer ainsi les roches vitreuses et les autres, de faire apparaître des filiations inattendues et l’importance de différences minimes à première vue. Parallèlement, les travaux de W. L. Bragg ouvrent la voie à une autre technique de base des pétrographes, la diffraction des rayons X, qui permet d’obtenir un diffractogramme, véritable fiche d’identité minérale, même sur les très petits cristaux, naturels ou artificiels. Pentti Eskola (1883-1966) étend cette méthode aux roches métamorphiques en se référant pour le calcul à des assemblages de minéraux différents selon les conditions de la transformation. La multiplication des données se trouve heureusement coïncider avec la mise au point de machines permettant de les traiter de plus en plus vite. La possibilité de tester un très grand nombre de modèles a fait, elle aussi, apparaître des corrélations insoupçonnées. Le matériel indispensable s’est ainsi alourdi, mais la pétrologie, comme l’ancienne pétrographie, a toujours le même but qui l’attache aux autres sciences de la Terre : la découverte, dans les roches, des marques de l’histoire de la Terre.


Les marques des climats de surface

Les roches exposées aux intempéries se fragmentent ou s’altèrent de façon différente selon les climats. Qu’il s’agisse des lithosols des déserts froids polaires ou de haute montagne et des déserts chauds, des sols d’épaisseur et de compositions variées des régions tempérées ou intertropicales, les sols constituent un matériel meuble que les transporteurs de surface, la glace, les eaux, le vent, peuvent enlever en totalité ou en partie. Les caractéristiques de chacun de ces agents imposent leur marque aux matériaux transportés et à ceux qui sont abandonnés. Les glaces, avec leur haute viscosité, peuvent entraîner aussi bien les blocs de plusieurs mètres cubes que les particules les plus fines. Les objets qu’elles transportent se rayent, rayent et polissent leur support, mais conservent des formes anguleuses. Les moraines fossiles, les tillites, du Paléozoïque africain signent parfaitement un climat glaciaire et permettent de délimiter un inlandsis ancien. Les eaux sont beaucoup plus sélectives. Elles effectuent un tri. Les dépôts sont classés par ordre de densité et de dimension ; les objets transportés sont polis, émoussés, orientés par des courants qu’il est possible de reconstituer après plusieurs millions ou milliards d’années. Les varves, formées d’une stratification de couches quartzeuses grossières et blanchâtres ainsi que de couches argileuses sombres, traduisent l’alternance d’hivers et d’étés très lointains. Avec le vent, la sélection est encore plus vigoureuse. Les poussières et les sables fins enlevés aux moraines, aux sols, aux alluvions sont parfaitement classés, mais les anciens lœss, les anciennes dunes sont exceptionnels, car ils sont plus fragiles que les dépôts des glaces ou des eaux courantes, et il faut aller jusqu’à l’observation précise des grains de sable pour y retrouver, sous la forme d’impacts minuscules, la marque du transport éolien. Les reliefs, les galets, les blocs soumis à réalisation portent également ces marques et, plus stables, ils ont permis de retrouver la direction des vents dominants, il y a plus de 200 millions d’années, sur la Grande-Bretagne permienne. Les éléments que l’eau, dans les sols des régions tempérées et intertropicales, arrache aux minéraux sont entraînés en solution. Leur fixation par les organismes ou leur précipitation sont liées à des conditions précises de climat. Les récifs marquent, dans le passé comme de nos jours, les eaux peu profondes, claires et riches en nourriture. Les accumulations de sel gemme et de gypse signalent les bassins côtiers ou continentaux où l’évaporation est intense. Le tri opéré au moment de l’hydrolyse, aidé par des conditions de précipitation bien définies, conduit ainsi à une concentration d’éléments dans les sédiments. Mais il laisse sur place d’autres éléments, en particulier Al3+, auquel s’ajoute, dans des conditions oxydantes, Fe3+. Ces concentrations en chaîne n’ont pas seulement un intérêt pratique ; elles sont la marque de conditions précises dans des climats anciens : on sait ainsi qu’au Crétacé l’aluminium se concentrait dans la France méridionale comme il se concentre actuellement au Cameroun ou en Guinée.