Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

perversité et perversion (suite)

Nombre de conduites antisociales diverses sont des perversions. La kleptomanie, impulsion à voler (par plaisir ou par tendance inconsciente à l’autopunition masochiste) des objets en principe sans intérêt utilitaire, est un comportement rare dans sa forme pure. La pyromanie est l’impulsion obsédante à allumer des incendies. Signalons encore les pulsions agressives incontrôlées, les impulsions excessives et incoercibles aux jeux d’argent, le vandalisme, la mythomanie calomnieuse, l’escroquerie sous toutes ses formes, l’homicide.


Perversions sexuelles

Ce sont des comportements anormaux, très nombreux, qui se substituent plus ou moins complètement au coït normal entre partenaires de sexe opposé. On en distingue deux catégories.

• La première porte sur les aberrations dans le choix du partenaire ou de l’objet de désir. La masturbation ou onanisme, physiologique chez l’enfant et l’adolescent, est souvent pathologique chez l’adulte. L’homosexualité comporte de nombreuses variétés ou pratiques : uranisme, saphisme, pédérastie, lesbisme ou lesbianisme, avec attitudes passives ou actives selon les cas, sodomie (coït anal entre hommes ou entre adulte masculin et enfant ou adolescent). Le travestisme (ou transvestisme, ou éonisme), adoption des vêtements et des attitudes sociales du sexe opposé, est une perversion en fait très floue selon les modes du temps, mais plus précise quand il s’agit de prostitution homosexuelle avec prosélytisme. Il faut bien distinguer à ce propos le travestisme du transexualisme. La pédophilie est la recherche de rapports ou de simples contacts sexuels d’un adulte face à un enfant du même sexe ou du sexe opposé. La gérontophilie désigne un goût sexuel prononcé pour les vieillards ou les vieillardes, valable pour les deux sexes. La bestialité consiste en rapports sexuels et en attouchements avec des animaux. On en rapproche quelquefois la zoophilie (forme intellectuelle ou édulcorée des amoureux des animaux). Le fétichisme est constitué par le désir sexuel et l’orgasme provoqués par des objets féminins (vêtements, chaussures, une partie spéciale du corps, objets de toilette). La nécrophilie se marque par le plaisir sexuel et l’orgasme au cours de rapports ou d’attouchements avec des cadavres.

• La deuxième catégorie de perversions sexuelles se caractérise par une déformation de l’acte sexuel.

Les plus fréquentes de ces perversions sont le sadisme et le masochisme, qui apparaissent comme les deux faces d’une seule et même déviation sexuelle (érotisation de la douleur que l’on inflige au partenaire ou que l’on subit).

Le viol, en tant que perversion sadique, s’accomplit sur des adolescentes, des fillettes ou des femmes. Il se combine souvent à l’inceste. Ce dernier est en fait beaucoup plus fréquent qu’on ne le croit, et le viol proprement dit est plus rare qu’on ne le dit. Le viol peut s’accompagner de déformation de l’acte sexuel (torture, sodomie, violence, meurtre, dépeçage des victimes).

La nécrophilie, le vampirisme sont très étroitement liés au sadisme. La nécrophagie ou le cannibalisme, en prenant ces mots dans un contexte bien précis socio-culturel d’interdiction absolue, font aussi partie des comportements sadiques. On rapproche de la nécrophilie le goût excessif de certains sujets pour les personnes atteintes de maladies graves et incurables ou d’attachement électif sexuel à des partenaires mutilés ou affligés de difformités ou de monstruosités.

Très fréquent est l’exhibitionnisme, besoin incoercible d’obtenir un plaisir sexuel allant jusqu’à l’orgasme par l’étalement devant autrui des organes génitaux. C’est une perversion essentiellement masculine qui s’adresse à des femmes ou à des fillettes. Néanmoins, l’exhibitionnisme des femmes est à la fois plus subtil et plus socialement établi (dénudation du corps en vue de provoquer le désir sexuel). Ce qui est perversion chez la femme, c’est l’exhibition partielle ou totale du corps devant des adolescents ou des hommes avec refus ou interdiction du rapport sexuel.

Le voyeurisme, ou scoptophilie, consiste en un plaisir sexuel procuré par la vue (érotisation du regard) de rapports sexuels d’autrui, la vue même furtive ou ébauchée d’une partie du corps féminin, des activités intimes d’une femme. Les voyeurs sont peut-être les plus infantiles dans leur sexualité. À noter aussi une variété banale de perversion sexuelle désignée par le terme de frotteur. Les frotteurs prennent du plaisir à toucher, à caresser furtivement une femme dans certaines circonstances favorables (transports en commun notamment). Ils sont souvent incapables d’avoir par ailleurs des rapports sexuels normaux. Il y a de fréquentes intrications entre les différentes perversions : voyeurisme, exhibitionnisme, homosexualité, pédophilie. Citons, pour terminer, l’ondinisme, la coprophilie (« jeux » sexuels fondés sur l’urination, la défécation, etc.). Toutes ces perversions sont favorisées par l’alcoolisme chronique.

Ne sont pas exactement perversions le satyriasis chez l’homme ou la nymphomanie chez la femme. Il s’agit d’une excitation sexuelle anormale par son intensité, sa fréquence, son acharnement, mais avec un choix de partenaires hétérosexuels et la recherche d’un coït normal. Cependant, ce comportement sexuel frénétique n’est pas sans traduire un trouble neuropsychique qui peut s’accompagner de perversions sadiques.


Étiologie et pronostic des perversions

Les causes profondes des perversions sont pratiquement inconnues. On connaît seulement les structures psychopathologiques qui les accompagnent ou qui favorisent leur éclosion.
1. Des accès d’excitation maniaque, des dépressions mélancoliques, un certain nombre de psychoses chroniques sont responsables de perversions à un moment donné de l’évolution.
2. Tous les états d’affaiblissement démentiel (v. démence), surtout à leur début, peuvent donner lieu à des perversions instinctives orales ou sexuelles.
3. Un certain nombre d’états névrotiques structurés ou non sont jalonnés de déviations diverses plus ou moins culpabilisées. Dans l’ensemble, le névrosé lutte anxieusement contre sa tendance à la perversion. S’il cède à son désir, les sentiments de culpabilité et d’angoisse l’envahissent et le déterminent à consulter le médecin dans un contexte dépressif. La psychothérapie et les thérapeutiques de déconditionnement sont indiquées.
4. Chez les enfants et les adolescents, il convient d’étudier la perversion dans une perspective dynamique de maturation du système nerveux et d’évolution de la personnalité. Il faut surtout apprécier le niveau intellectuel et les facteurs extérieurs de conditionnement : les relations affectives intrafamiliales, la collectivité scolaire, la qualité de l’environnement socio-économique et culturel. Les perversions de l’enfant sont beaucoup moins fixes et stéréotypées que celles de l’adulte. Bien des remaniements peuvent se faire dans un sens favorable, et il ne faut pas donner à une déviation du comportement infantile une signification trop formelle. Son devenir est souvent incertain. Du point de vue psychothérapique et de celui du déconditionnement, on peut espérer agir avec efficacité.
5. En revanche, bien des perversions s’observent chez des débiles ou des arriérés mentaux avec une solide tendance à la répétition incoercible. Ce ne sont pas les plus graves. On peut leur assigner des limites ou des freins, étant donné la faiblesse des moyens intellectuels de ces sujets.
6. En fait, les perversions multiples, répétées, peu accessibles aux thérapeutiques ou aux mesures pénales, se rencontrent le plus souvent chez l’adulte déséquilibré de caractère, chez des personnalités psychopathiques, sans symptômes névrotiques, ou chez des pervers au sens strict. Il n’y a ni angoisse ni culpabilité que l’on puisse mobiliser par psychothérapie. L’insincérité, l’instabilité, l’impulsivité sont autant d’obstacles à une adaptation à la vie collective dans ce qu’elle exige de sens moral.
7. Enfin, il est des perversions isolées sans anomalie mentale majeure associée. Il y a une foule de petites perversions de l’adulte qui trouvent un exutoire sans grand dommage pour autrui. La plupart des déviations homosexuelles, par exemple, ne relèvent d’aucune mesure thérapeutique ni même judiciaire. En fait, les perversions les plus graves sont les toxicomanies et surtout l’alcoolisme, les perversions sexuelles qui s’attaquent aux enfants et aux adolescents, celles qui s’accompagnent de prosélytisme ou qui sont utilisées comme moyen de chantage ou de destruction morale d’autrui. Il va sans dire que les grandes perversions sadiques qui défraient la chronique constituent des monstruosités qui nécessitent l’internement ou des mesures pénales. Quant aux mécanismes intimes des perversions, on est réduit pour l’instant à des hypothèses.
Les unes se fondent sur la génétique, l’hérédité, les anomalies chromosomiques, les perturbations du développement de l’embryon in utero. À ce courant se rattachent les constatations classiques de perversions acquises et nées d’affections organiques cérébrales diverses.
Les autres s’inspirent des théories neurophysiologiques du conditionnement, avec leur prolongement en psychologie expérimentale, les tentatives thérapeutiques actuellement en cours dans de nombreux pays.
Dans le domaine de la psychanalyse, on a pu assister ces dernières décennies à une efflorescence d’interprétations, recourant aux perturbations des divers stades du développement psychosexuel du jeune enfant, et aux significations symboliques inconscientes de telle ou telle perversion. Aussi séduisante que soit la littérature psychanalytique à ce sujet, on peut avoir des doutes sur la validité scientifique de certaines de ses assertions. Il n’est pas douteux, par exemple, que les causes de l’homosexualité ne sont pas aussi clairement psychologiques que l’ont affirmé les analystes.
D’autre part, il faut citer les théories sociologiques, dont certaines relèvent de l’antipsychiatrie et qui considèrent les perversions comme le reflet pur et simple d’une société de répression.

Pour conclure, il n’est pas de domaine plus obscur en psychiatrie que celui des perversions. Nos connaissances neurophysiologiques en matière d’instincts, de tendances, de pulsions sont trop fragmentaires, et force est de supposer des origines multifactorielles, donc de diversifier au maximum les recherches.

G. R.

➙ Sexualité.

 P. Aulagnier-Spairani, J. Clavreul et F. Perrier, le Désir et la perversion (Éd. du Seuil, 1967). / La Sexualité perverse. Études psychanalytiques (Payot, 1972). / J. Chazaud, les Perversions sexuelles (Privat, Toulouse, 1973).