Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pérou (suite)

La fin du xviiie s., marquée (en 1780-81) par le grand soulèvement populaire de José Gabriel Condorcanqui, dit Túpac Amaru (1740-1781), voit la réforme commerciale et administrative profiter à Buenos Aires aux dépens de Lima, qui cesse d’être le centre vital de l’Amérique du Sud. Les commerçants étrangers sont les premiers bénéficiaires d’une situation qui mécontente l’aristocratie de Lima. Tout cela, ainsi que la crise européenne de la Révolution française et de l’Empire, conditionne économiquement et idéologiquement le processus de l’indépendance.


Le xixe siècle


L’indépendance

De la conjonction de l’opposition des grands propriétaires créoles et des négociants, rendue possible par la passivité des paysans qui succède à l’écrasement des rébellions indiennes, naît l’épisode de l’émancipation, « œuvre commune des marchands anglais et des grands propriétaires ». L’originalité de l’indépendance péruvienne, c’est qu’elle est venue très tard et que les Péruviens n’y ont pas participé. Le Pérou est resté jusqu’au bout un bastion loyaliste fidèle au roi d’Espagne et le principal obstacle à l’indépendance de l’Amérique du Sud. Des vice-rois habiles et énergiques ont pu compter sur la fidélité des masses populaires et sur l’immobilisme des créoles, terrorisés par le souvenir de Condorcanqui (Túpac Amaru). L’Indien sert deux fois l’Espagne, par sa fidélité qui fait de lui le soldat vainqueur des insurgés, par la terreur qu’il inspire aux créoles.

L’indépendance, proclamée le 28 juillet 1821, dans ces conditions, vient du dehors, imposée par des armées étrangères, vénézuélienne, chilienne, argentine, commandées par San Martín* ou Bolívar*. Ce n’est que très tard, au dernier moment, quand tout le reste de l’Amérique est déjà indépendant que les grandes familles de Lima se décident pour l’indépendance. En 1824, la bataille d’Ayacucho (9 déc.), gagnée par Sucre, décide du sort du Pérou, même si la résistance royaliste se poursuit dans certaines régions.

Le pays sort grandement ravagé par la guerre de 1820 à 1824 ; toute l’économie s’effondre et se restructure au niveau des grands domaines, dans un cadre néo-féodal. Le départ de l’administration espagnole après Ayacucho laisse le pays dans la vacance politique favorable à la désagrégation. Sur les ruines se constituent des petites sociétés régionales vaguement fédérées entre elles, correspondant aux régions géographiques : la côte pacifique, le haut plateau, le Cuzco, la vallée d’Ayacucho, etc.

Il importe peu que quatre étrangers se succèdent à la tête du pays (San Martín, Bolívar, José de La Mar, Andrés de Santa Cruz [1792-1865]) ou que sept présidents revendiquent en même temps le pouvoir (au cours de l’éphémère confédération Pérou-Bolivie [1836-1839]). Le pouvoir réel appartient aux grands propriétaires, exclus pendant trois siècles du gouvernement, maîtres maintenant des sociétés régionales, les seules qui existent, et capables d’étendre leurs privilèges en même temps que leurs propriétés.

La domination extérieure revient à la Grande-Bretagne, qui l’exerce indirectement de manière commerciale et financière. Les militaires, souvent d’origine plébéienne, se disputent le pouvoir, tandis que la montagne, ruinée, est délaissée. Les Indiens rétrogradent alors dans des conditions faussement primitives qui renforcent le pouvoir des aventuriers venus se tailler de grands domaines. La sierra, objet de toutes les attentions espagnoles, est restée abandonnée jusqu’à la seconde moitié du xxe s. Le xixe s. voit le dépouillement des communautés indigènes dans le cadre de la nouvelle juridiction libérale.

Au milieu du siècle (de 1845 à 1851 et de 1855 à 1862), l’autoritaire président et général Ramón Castilla (1797-1867) met sur pied un régime qui s’appuie sur la nouvelle richesse du guano, engrais naturel vendu en Europe par les Britanniques. La prospérité de l’État et des particuliers devait durer de 1845 à 1880, en dépit des crises politiques, de la guerre civile, d’une tentative étonnante de reconquête espagnole et des rébellions indigènes.


La guerre du Pacifique (1879-1883)

En 1879, le Pérou affronte la Prusse américaine, le Chili, qui visait depuis longtemps les nitrates boliviens et péruviens. La guerre, puis la défaite, que le Pérou transforme en désastre pour n’avoir pas su s’incliner après le verdict des armes, valent au pays la perte des provinces des nitrates, tout le Sud péruvien (traité d’Ancón, 20 oct. 1883). Cette guerre provoque de grands changements au sein de la classe dominante, ruinant les uns, enrichissant les autres, favorisant l’agriculture de plantations sur la côte et la fusion des nouvelles élites de l’argent. À long terme, la guerre signifie la fin du monopole politique exercé par les généraux métis de la sierra.


Piérola (1879-1881 et 1895-1899)

Le caudillisme militaire est liquidé par Nicolás de Piérola (1839-1913), étrange « caudillo » civil, fort de sa popularité auprès des masses plébéiennes, qui lui vaut le surnom de « calife des vrais croyants ». Le chef démocrate, qui avait excité si longtemps les masses contre la ploutocratie, s’applique à mettre en place une administration civile. Son système fiscal et sa politique dissipent les équivoques engendrées par sa phraséologie. Il est l’homme du moment, le moment où apparaît l’industrie moderne, qui transforme surtout la vie de la côte et modifie les termes de la vie politique, le moment où la vieille aristocratie cesse de prévaloir, tandis que se développe une classe capitaliste.

Les successeurs de Piérola suivent ses traces après la guerre civile de 1895 et bénéficient d’une conjoncture économique favorable au commerce international. La Première Guerre mondiale vient modifier une situation qui reposait essentiellement sur le contrôle que la Grande-Bretagne exerçait sur le pays.


Le xxe siècle


Leguía (1919-1930)

L’ouverture du canal de Panamá et la Première Guerre mondiale donnent le signal d’un profond changement économique et social ; la domination britannique cède le pas à l’influence nord-américaine, tandis que les groupes urbains instruits et pauvres se radicalisent, et que les paysans se manifestent par des rébellions localisées, mais périodiques. La Première Guerre mondiale provoque une flambée des prix et de la production nationale. La sierra, négligée depuis cent ans, est réveillée (d’où les soulèvements paysans) par la pénétration nouvelle des spéculateurs miniers et agraires, péruviens ou étrangers.