Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Perón (Juan Domingo) (suite)

• 1973 : le candidat péroniste, Hector Campora, est élu président (mars) ; Perón rentre en Argentine (juin) ; Campora et son vice-président démissionnent (juill.) ; la convention du mouvement justicialiste vote à main levée la candidature de Perón à la présidence et de sa troisième épouse, Isabel Martínez, à la vice-présidence ; Perón commence sa campagne électorale (août). Le 23 septembre, il est élu président avec 61 p. 100 des suffrages exprimés ; sa femme devient vice-présidente.

• 1974 : Perón meurt (1er juillet), sa femme lui succède à la présidence.


Perón et l’armée

Le général Perón est l’héritier de la révolution militaire de 1943, faite par les officiers dégoûtés des politiciens. Triomphalement porté à la présidence en 1946 et fort de l’appui des masses populaires, il se garde bien de rompre avec ses collègues, combinant ainsi la légitimité militaire et civile. À travers ces deux appareils de légitimité, il capitalise un fort avoir politique et se fait accepter de la majorité des Argentins. Il est impossible de comprendre Perón en l’isolant de l’armée ; la preuve en est la chute immédiate du régime dès qu’il fut abandonné par les militaires, puis l’impossibilité pour Perón de revenir au pouvoir contre le veto de l’armée, en dépit d’une popularité qui ne fit que croître.


La popularité du président Perón

Le triomphe péroniste de 1946 s’explique par la disponibilité des masses populaires, séduites depuis 1943 par l’homme fort qui canalisait leurs aspirations nationalistes au changement. Depuis le ministère du Travail, il se gagnait le soutien des ouvriers, contrôlés par les syndicats, qu’il faisait réorganiser, mais aussi celui des masses populaires en général. On a dit que la popularité de Perón reposait sur la personne de son épouse, Éva Duarte, idole politique des masses, propagandiste de génie, qui après sa mort est devenue l’objet d’un culte religieux. Sans aucun doute, le fanatisme que les foules manifestaient envers la femme de Perón et la protection exercée par « Evita » en faveur des « descamisados » ont grandement servi Perón. Lui-même exerçait cependant une réelle attraction sur le peuple, et sa présence physique, son charme athlétique, ses succès féminins qui faisaient de lui le « macho », le « mâle » par excellence, correspondaient à la fascination qui émanait de sa femme. Les époux se partageaient de la sorte les fonctions : la popularité d’Evita permettait à Perón de jouer le rôle d’arbitre et de guide national qui revenait au président dans la hiérarchie politique telle que la concevaient les militaires. Perón dut abandonner cette position après la mort de sa femme, pour occuper la place qu’elle laissait vide et se mettre à la tête de ses partisans, au moment où la crise économique déferlait et ne lui permettait plus de subventionner sa popularité par des augmentations de salaires. Le mouvement ouvrier étant contrôlé par des inconditionnels, Perón pouvait abandonner sa politique populiste et son nationalisme étatique. De 1950 à 1955, on assiste au déclin des aspects « socialistes » du régime et à l’exaltation des aspects autoritaires et dictatoriaux. Au moment de sa chute, Perón est au plus bas de sa popularité sans que l’on puisse parler de renversement de situation. Il tombe non parce qu’il est impopulaire, mais parce qu’il s’est aliéné l’armée et l’Église en exigeant d’elles une soumission inconditionnelle et la fidélité envers sa personne.


La popularité de Perón en exil (1955-1972)

Fort des structures politiques et syndicales, fort d’une popularité qui n’a cessé de croître après son départ, Perón se trouve dans l’impossibilité de revenir au pouvoir, à cause du veto de l’armée. Dans le même temps, les forces politiques traditionnelles et l’armée qui travaille à son compte propre ne parviennent pas à lever l’hypothèque péroniste, toute élection libre se traduisant par la victoire des « justicialistes ». L’histoire argentine de 1955 à 1972 est faite de ce paradoxe qui a usé les meilleurs politiciens. L’incroyable capacité manœuvrière de l’exilé, qui lui permet pendant tant d’années de contrôler ses partisans et de bloquer la vie politique argentine, explique partiellement un rôle rendu possible par l’apparition du mythe péroniste.

Jugements sur Perón

« Le gouvernement de Perón a eu un singulier caractère bonapartiste : pour mener à bien la politique de la bourgeoisie nationale et résister à la formidable pression de l’impérialisme, il dut s’appuyer sur les masses ouvrières, la petite bourgeoisie pauvre et les secteurs populaires de la province précapitaliste. » (Jorge E. Spilimbergo, Nacionalismo oligárquico y nacionalismo revolucionario, Buenos Aires, 1958.)

« Malgré son manque d’originalité le péronisme aurait pu être, à cause de sa simplicité et de son énorme force symbolique, un véritable élément mystique en d’autres mains, des mains capables de lui injecter le feu de l’idée par l’idée. » (S. Busacca, La democracia cristiana en busca del país, Buenos Aires, 1958.)

« Perón démasque bruyamment les groupes traditionnels. « Enlevez le couvercle ! » telle aurait pu être la consigne criarde et inefficace liée à l’ambiguïté de son action historique. » (David Viñas, Literatura argentina y realidad política, Buenos Aires, 1964.)

« Maintenir la paix sociale, telle fut une des premières contributions de l’État péroniste à la prospérité de la bourgeoisie agro-industrielle argentine. » (S. Frondizi, La realidad argentina, Buenos Aires, 1957.)


Le mythe péroniste

En 1955, les militants ouvriers sont presque seuls à regretter le départ de Perón ; en 1972, presque toute l’Argentine attend le retour du grand homme comme celui du Messie. De l’extrême droite à l’extrême gauche, on chante :
« Perón, Perón que tu est grand !
que tu es fort, mon général ! »

Perón, redevenu en septembre 1973 président de la république fut de nouveau et jusqu’à sa mort, le 1er juillet 1974, le catalyseur de tous les mécontentements et le support de toutes les espérances.

J. M.

➙ Argentine.