Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

argots

Ensemble de mots employés et compris uniquement dans certains groupes restreints, et dont l’utilisation dénote justement l’appartenance à ces milieux. En principe, on distingue les argots proprement dits (de la pègre) et les argots professionnels. Dans la pratique, les limites sont parfois difficiles à tracer.



Langage et groupes sociaux

La langue varie dans le temps et dans l’espace. En outre, en un même temps et lieu, elle prend diverses formes en fonction des couches et des groupes sociaux qui l’utilisent. Alors que ces variations peuvent d’une manière générale affecter également la syntaxe, l’argot, lui, ne se différencie de la langue commune que par le vocabulaire. À partir du xvie s., on rencontre dans tous les pays des argots criminels :

Les groupes qui ont des argots se définissent par un certain nombre de traits communs : leurs membres sont liés par une certaine solidarité ; ils ont affaire à une société plus large qui leur est hostile. Le caractère primitivement secret de l’argot est lié à un besoin de défense face à la police (argot criminel), aux passants (argot des mendiants), à l’administration (argot des grandes écoles), aux supérieurs (argot militaire). Le sentiment de solidarité a également pour conséquence l’utilisation de l’argot comme signe de reconnaissance et d’appartenance au groupe. Ainsi, quand certains mots argotiques sortent de leur milieu et passent dans la langue commune, ils y gardent une nuance affective en rapport avec leur origine, avec le décri des groupes qui les utilisaient. Le lien étroit qui existe entre certaines microsociétés et l’argot est illustré par l’histoire même du mot. D’origine obscure, argot aurait d’abord désigné (cette interprétation est très controversée) la collectivité des mendiants et des gueux, qui constituaient dans les « cours des miracles » le « royaume d’Argot ». Par la suite, le terme aurait été utilisé pour nommer la langue qu’on y employait. Le lexique de l’argot proprement dit est donc particulièrement riche en mots concernant la prostitution, la mendicité, le vol et la tromperie, la justice et la police.


Argot, sabir et pidgin
L’argot et les langues étrangères

L’argot se rapproche des sabirs et des pidgins (v. bilinguisme) : comme eux, il prend souvent naissance aux frontières linguistiques, aux limites de parlers différents. En France, on localise un nombre important d’argots en Lorraine, dans le Dauphiné ; de même en Italie, au Piémont. Mais les sabirs et les pidgins sont des hybrides issus de parlers en contact, et permettant à des individus de langue différente de se comprendre, soit dans un domaine bien particulier comme le commerce (sabir), soit sur un plan plus général (pidgin) ; l’argot, lui, est la forme prise par une seule langue, et il a pour but de se rendre incompréhensible au non-initié. Aussi les sabirs et les pidgins sont-ils pourvus d’un lexique comprenant les termes les plus courants de la langue ou des langues de base ; contrairement à l’argot, c’est sur la syntaxe, considérablement simplifiée, que porte le travail d’élaboration propre aux sabirs et aux pidgins.

L’argot emprunte peu. Les termes dialectaux entrent dans le lexique argotique en même temps qu’arrivent les individus qui les emploient. C’est le cas notamment pour les termes d’origine méridionale introduits à Paris par le « milieu » marseillais : nervi, souteneur ; castagne, coup ; se cavaler, s’enfuir ; mandale, gifle.

Les mots provenant d’Afrique du Nord ont d’abord pénétré dans l’argot militaire, et ensuite dans l’argot parisien, grâce à des truands ayant passé par les bataillons disciplinaires : il en est ainsi pour caïd, chef de bande ; fissa, vite ; flouze, argent ; bezef, beaucoup ; toubib, médecin. C’est enfin aux langues étrangères que l’argot prend les mots désignant les peuples qui les parlent. Ces termes ont toujours une valeur plus ou moins péjorative : le comportement linguistique de l’argotier est xénophobe.


Argot et langue technique

Comme les vocabulaires techniques, l’argot est souvent utilisé par des personnes exerçant des activités déterminées. On peut définir les termes de métier comme les mots « qui distinguent d’une façon précise des choses ou des actions pour lesquelles la langue commune ne possède pas de noms » (Guiraud). L’argot criminel a ainsi un certain vocabulaire technique destiné à nommer certains aspects d’une activité spécifique : cravate ou serrage, attaque simple, sans armes ; piquage, attaque au couteau ; braquage, attaque avec une arme à feu. La précision de ce vocabulaire s’apparente à la richesse indispensable des termes qui, par exemple, en menuiserie, désignent les divers types de rabots. L’ignorance des vocabulaires techniques a fait prendre pendant longtemps des termes professionnels pour des mots argotiques. Ainsi, il est probable que la plupart des éléments de la liste établie au procès des Coquillards sont uniquement des mots techniques. Au contraire, les mots de l’argot proprement dit ont un caractère parasitaire, second : chaque terme recouvre un terme de la langue courante et a le même sens que lui, mis à part certaines nuances affectives. Les mots argotiques désignent des notions pour lesquelles la langue commune ou, dans le cas des argots de métier, la langue professionnelle ont déjà des noms. Enfin, s’il est vrai que le vocabulaire technique est souvent inconnu des non-spécialistes, son caractère hermétique n’est qu’accidentel, alors que celui de l’argot est intentionnel.


Histoire des argots

L’existence d’un langage argotique en France est attestée dès la fin du xiiie s. ; dans le Jeu de saint Nicolas, Jean Bodel prête à trois truands des répliques incompréhensibles, dont le vocabulaire semble conventionnel et secret. Au procès des Coquillards, en 1455, l’un des accusés révèle la plupart des mots que les complices utilisent, et qu’on retrouve également dans onze ballades attribuées à Villon ainsi que dans plusieurs passages des « mystères » de l’époque.