Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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peinture (suite)

Il faut noter que le procédé flamand, en partie répandu en Italie à la fin du xve s., donnait une matière très unie, d’un grand éclat et d’un aspect généralement lisse, lié à l’usage d’un support de bois. Les Italiens — les Vénitiens en premier lieu — devaient modifier cette technique en peignant plus large et, avec Titien, en conférant à la pâte un modèle nouveau, en jouant avec les empâtements et les glacis. Peu à peu, il devait en sortir une « attaque » particulière de la touche, qui confère à la deuxième partie de la production de Titien une, allure nouvelle, dont on retrouve les suites chez le Greco*, Rubens* ou Rembrandt : la possibilité d’une expression picturale individuelle se trouvait considérablement accrue. L’usage de plus en plus large de la toile tendue sur châssis ajouta encore à cette mutation, le grain de la toile intervenant dans le traitement de la surface picturale. Par contrecoup, on devait abandonner les enduits de gesso, beaucoup trop friables pour une toile toujours souple et qui pouvait se rouler. D’où l’inauguration d’enduits à base de farine et de blanc à l’huile. L’impression (imprimitura) qu’on posait sur la toile, parfois à base de blanc de plomb, constituait un « lit » coloré dont dépendaient les premiers accords chromatiques. Mais, comme l’a remarqué A. Ziloty à l’occasion d’une étude sur le procédé de Van Eyck*, la peinture à l’huile était organisée comme une orchestration « en profondeur », assise par assise. Pendant trois siècles au moins (et de nouveau de nos jours grâce à l’abstraction), la préparation des structures de dessous devait également prendre une grande importance, soit qu’on les disposât à partir d’une monochromie à trois nuances (sombre, claire et valeur intermédiaire), soit qu’on établît, à la manière vénitienne, les premières couleurs de base (cette fameuse peinture « sans dessin » mentionnée par Vasari à propos de Giorgione*). Les possibilités offertes par les effets de translucidité et de « fusion » entre couches voisines permettaient ensuite une cohérence optique remarquable — du sfumato vincien (véritable lavis à base d’huile) aux empâtements les plus marqués, à la manière d’un Courbet* au xixe s. ou d’un Nicolas de Staël* au xxe.

Des modifications profondes des pratiques du métier et souvent des négligences devaient assez rapidement rendre aléatoires les avantages de la nouvelle technique. Ce sont les mêmes difficultés qui apparaissent encore aujourd’hui : purification insuffisante de l’huile, aggravée par l’emploi des huiles « crues » non polymérisées par chauffage, abus de vernissage, effet de jaunissement et de « rancissement ». Au cours du xixe s., il devait s’y ajouter un autre danger : la mise en tubes de couleurs standardisées, broyées à l’huile par avance et non plus préparées à l’atelier. Si elle présentait un avantage indéniable, pour la peinture de plein air en particulier, cette innovation multipliait les risques de mauvaise fabrication. Car, pour assurer à la couleur ainsi traitée une certaine durée et lui conférer plus de « corps », on ajoutait toutes sortes de produits mal contrôlés. Au cours de la même période, la création de couleurs de synthèse à l’aniline devait accroître ces difficultés, tandis qu’une série d’expérimentations nouvelles fondées sur l’usage de l’oxyde de plomb comme siccatif et de diverses résines pour les vernis allaient transformer en suicide le vieillissement de bien des tableaux des xixe et xxe s. Grâce aux progrès de la chimie organique, on dispose pourtant aujourd’hui de meilleures couleurs, beaucoup plus stables à la lumière, et de bien meilleures préparations pour les liants. Sous l’impulsion de différents chimistes attentifs à la qualité de certains chefs-d’œuvre anciens, on a même pu créer, pour les besoins de la restauration, des media répondant aux divers types de matière picturale.


Les techniques nouvelles

Si la technique à l’huile demeure encore de nos jours une expression picturale des plus divulguées, elle est, néanmoins, sérieusement concurrencée par le développement des procédés nouveaux issus des créations de la chimie organique des plastifiants.

Il s’agit à l’origine de peintures « industrielles » offrant des garanties de solidité à la lumière et d’éclat, et qui ont été utilisées en peinture artistique le plus souvent pour le mur — particulièrement par les « muralistes » américains, au Mexique* et aux États-Unis, dès avant la Première Guerre mondiale. Pallier les difficultés présentées par l’usage d’huile tout en conservant les qualités que celle-ci avait présentées fut tout d’abord le but recherché par certains peintres contemporains. Parti de peintures au silicate d’éthyle et de peintures glycérophtaliques, on en est venu, surtout à partir de 1950, à profiter de nouveaux procédés de fabrication de résines de synthèse en émulsion, de types vinylique et acrylique, fondées sur l’existence d’un liant incolore et stable qui assure aux pigments (d’origine synthétique pour la plupart) un éclat et une pureté bien supérieurs à ceux qui étaient obtenus autrefois avec de l’huile et avec le système des anciennes émulsions. Ces peintures, caractérisées par les grosses molécules de leur liant, qui est dispersé dans l’eau, se distinguent lors du séchage par la constitution d’une pellicule très souple et très adhésive. D’une exceptionnelle pureté chromatique, très siccatives, d’une grande limpidité, échappant au phénomène de diffusion du liant, permettant par conséquent un travail par superpositions, elles sont actuellement très appréciées.

Dans tous les cas, à leur très haut degré de siccativité, qui peut être contrôlé par la quantité d’eau utilisée et par l’usage de ralentisseurs, s’est ajoutée la possibilité d’obtenir des effets semblables à ceux de la tempera — matité et saturation pour les peintures vinyliques, un éclat supérieur à celui de l’huile pour les peintures acryliques. On peut facilement superposer les couches sans risquer l’embu, obtenir des effets de glacis et, en fin d’exécution, utiliser de la peinture acrylique sur des dessous « en vinylique ». Grâce aux produits vinyliques, on peut, désormais, obtenir des enduits d’une grande souplesse pour les toiles, permettant d’éviter les cassures des anciens enduits à base de céruse. Par rapport à la peinture vinylique plus mate (texture légèrement poreuse), les peintures acryliques présentent une pellicule d’une grande densité et d’un éclat plus grand que celui des anciennes peintures flamandes ; elles sont d’ailleurs recommandées pour les enduits sur ciment et sur béton. De nombreux artistes utilisent les peintures acryliques pour leur associer des produits hétérogènes : sables, gravillons, cailloux. Les liants de ces peintures donnent également d’excellents vernis.

L’école américaine postérieure aux années 60, où l’accent est souvent mis soit sur la richesse de la matière, soit sur son éclat, est l’un des meilleurs témoins de l’évolution esthétique contemporaine, à laquelle correspond le développement de ces peintures nouvelles.

J. R.

➙ Aquarelle / Dessin / Genre (peinture de) / Nature morte / Paysage / Portrait / Sémiologie.